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Aristote prélude à sa tâche par la critique; il met en balance les écoles italique, ionique et platonique qui le précédèrent, et cherche partout la vérité en signalant l'erreur sans indulgence, mais aussi sans injustice. L'école ionique ne reconnaît qu'un principe matériel, dont les sensations sont des transformations; elle porte dès lors au scepticisme, que n'évitent pas non plus les abstractions pythagoriciennes. Socrate essaya de sauver d'un tel naufrage les idées du bien et du mal, en démontrant qu'elles n'avaient pas seulement une existence logique, mais qu'elles contenaient encore l'essence; il donna de plus à la philosophie une méthode, l'induction et la définition, Platon fit de cette méthode une théorie, et créa la dialectique qui, partant de l'opinion et de l'apparence, cherche la vérité en interrogeant. Mais l'interrogation ne conduit qu'à la probabilité; on ne peut même parvenirà la science certaine et à l'universalité substantielle qu'en se fondant sur l'affirmation immédiate de l'essence.

Aristote veut donc réduire la dialectique à ses justes limites, en la plaçant au-dessous de la science, comme un art destiné à exercer l'esprit. En ce qui concerne la source primitive des connaissances humaines, il établit que rien n'existe dans l'intelligence qui n'ait auparavant existé dans les sens. La nature ne peut se concevoir que par l'expérience. La science de la nature est la

Ce dernier, au lieu de livrer au public un si riche trésor, le transféra à Scepsis, sa patrie, de sorte que cette collection précieuse passa, lorsqu'il mourut, à ses héritiers, gens peu instruits qui la mirent sous clef : bien plus, lorsqu'ils apprirent qu'Attale, roi de Pergame, faisait chercher par terre et par mer des livres pour sa riche bibliothèque, qui rivalisait avec celle d'Alexandrie, ils la cachèrent dans une cave, où elle eut à souffrir de l'humidité et des vers. Les héritiers de ceuxci la vendirent enfin à Apellicon de Téos, citoyen d'Athènes, qui, plus bibliophile que philosophe (φιλοβίβλος μᾶλλον ἢ φιλόσοφος), transcrivit les livres, en combla maladroitement les lacunes, et les publia remplis de fautes. Ces livres, déposés plus tard dans la bibliothèque d'Athènes, furent, quand Sylla prit cette ville l'an 86 av. J.-C., transportés à Rome, et là ils passèrent par les mains du grammairien Tyrannion, d'Amisus dans le Pont, tombé au pouvoir de Lucullus. Comme il était un partisan d'Aristote, il corrompit le gardien de la bibliothèque où étaient les œuvres du philosophe; il les eut ainsi à sa disposition, et en fit tirer des copies; mais les scribes ne se donnaient pas la peine de les collationner avec l'original, ce qui arrive encore tous les jours pour les autres livres qu'on met en vente, soit à Rome, soit à Alexandrie. » C'est ce que nous apprend (liv. XIII, p. 608) Strabon, qui était disciple de ce même Tyrannion. Plutarque (Vie de Sylla) ajoute que Tyrannion corrigea ces exemplaires, et qu'Andronicus de Rhodes en obtint des copies qu'il publia, ainsi que les titres des différents ouvrages de ce philosophe, connus de son temps. Athénée, au contraire (Deipnosoph., I, p. 3), affirme que Ptolémée Philadelphe acheta de Nélée lui-même les œuvres de son maître, et les plaça dans la bibliothèque d'Alexandrie.

Aristote. 384-322.

science générale des corps, en tant qu'ils sont variables; elle comprend le développement des idées suivantes : nature, cause, accident, fin, changement, infini, espace et temps. Tout changement suppose la matière et la forme. Il doit y avoir un premier moteur, et la première chose mue éternellement est le ciel.

Aristote semble par là rétrograder de Socrate à Thalès, et ramener les idées à la sensation, si ce n'est qu'en séparant cellesci des notions nécessaires et absolues, il se rapproche de l'idéalisme de Platon (1), même lorsqu'il croit le combattre. Mais, quoiqu'il distingue radicalement l'intelligence du sens, les formes constitutives de l'esprit de ses applications particulières, le nécessaire du contingent, il est difficile de préciser où réside le milieu qu'il établit entre l'idéalisme et le sensualisme. Néanmoins il se détache tout à fait du sensualisme moderne vulgaire, quinie que l'idée sensible puisse devenir idée de substance, de cause, d'infini; tandis qu'Aristote admet dans la connaissance, non une génération, mais un ordre chronologique : l'idée sensible est antérieure aux autres; mais, au delà des sens particuliers, il est un sens général, c'està-dire l'intelligence, qui plane sur le monde des contingences, et qui ne peut dériver de l'expérience. La connaissance, selon lui, est médiate ou immédiate: nous percevons immédiatement le particulier, tò xao' Exaota, et l'universel, tò xa06λou, médiatement ou à l'aide de définitions et de raisonnements. La philosophie doit donc, avant tout, déterminer les lois intérieures de la raison, et la logique est en effet l'œuvre capitale d'Aristote; elle a survécu à toutes les crises de la science, comme théorie du raisonnement et de la démonstration, et fut alors d'une opportunité singulière pour remédier à l'épidémie sophistique.

(1) Voici la déduction des théories péripatéticiennes :

1o Dans le nombre des manières et des conditions à l'aide desquelles nous percevons le vrai, quelques-unes sont toujours vraies, d'autres peuvent nous tromper. Les premiers sont la science et l'intelligence, les autres l'opinion et le raisonnement.

2o Dans l'ordre scientifique, l'intelligence est ce qu'il y a de plus sûr et de plus exact.

3o Les principes sont plus faciles à saisir que les démonstrations.
4° Le principe de la démonstration n'est pas la démonstration même.

5o Le principe de la science n'est pas la science.

6° L'intelligence est le principe propre de la connaissance. Cette théorie constitue donc un idéalisme réaliste, appuyé sur l'observation et sur les faits fournis par la sensation, ayant néanmoins pour point de départ les conditions et les lois de l'intelligence. Schelling a dit : « L'idéalisme est l'âme de la philosophie, le réalisme en est le corps; ce n'est qu'en les réunissant tous deux qu'il est possible de former un tout qui est vie. » Ueber das Wesen der menschlichen Freiheit.

Un fait étant donné, la science doit en démontrer la cause; or, comme les sciences sont ordonnées progressivement, non moins que les causes, la philosophie a d'abord pour objet les causes les plus élevées, les premiers principes. Dans la série des causes, il est une cause première; dans la série des changements, un changement final la connaissance marche donc entre ces deux extrêmes, puisqu'elle doit avoir, de toute nécessité, un point de départ et une limite pour s'arrêter.

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Les conditions de l'existence réelle se trouvent dans quatre principes matière, forme, cause motrice, cause finale. L'être a pour antagoniste le non-être; les oppositions, ainsi que les catégories dans lesquelles se rangent les propositions premières, forment les bases de la science. Ces catégories sont au nombre de dix substance, quantité, qualité, rapport, lieu, temps, situation, possession, action, passion.

Passant de cet instrument de la science à la science elle-même, Aristote la définit le mouvement de la raison, dont les termes principaux sont la spéculation et la pratique. Les sciences spéculatives ont pour objet l'ordre réel, indépendant de la volonté humaine; les autres, l'ordre accidentel et volontaire. Il chercha, au moyen de l'induction et de la réflexion, à établir un système encyclopédique des sciences, et ce système lui révélant les lacunes qui n'apparaissaient pas dans le désordre, il créa plusieurs branches du grand arbre scientifique, et inventa le langage de toutes les connaissances humaines.

Aux sciences purement théoriques appartiennent la métaphysique (1), reine des sciences, et les mathématiques; aux sciences expérimentales, l'histoire naturelle et la psychologie; aux sciences mixtes, différentes parties de la physique générale (2). La question si l'âme est distincte du corps; si la force qui en nous sent, pense, veut, est la même qui conserve et entretient notre or

(1) Aristote légua son livre de la Métaphysique, qu'il n'avait pas achevé, à Eudème, qui ne le termina pas non plus. De là, des interpolations et un désordre tel que saint Augustin considérait comme un prodige de parvenir à le comprendre. Avicenné avouait, après l'avoir lu quarante fois, qu'il ne l'entendait pas parfaitement.

(2) On a dit que Callisthène avait envoyé à Aristote un système technique de logique complet, dont les brahmines lui avaient donné communication, et qui devint le fondement de la méthode aristotélique. Son syllogisme se trouve en effet dans le philosophe indien Kanada sous cette forme: 1° Celle montagne brile, 2o parce qu'elle fume; 3° ce qui fume brule; 4o or la montagne fume, 5o donc elle brûle. Quelques-uns réduisent ce syllogisme à trois termes, ce qui le rend plus conforme au syllogisme grec.

ganisme; si l'intelligence et la nutrition viennent de la même puissance, n'avait jamais été posée catégoriquement avant Platon, ni appuyée d'arguments aussi beaux et aussi invincibles. Mais, par cela même, il devait rencontrer beaucoup de contradicteurs, dont le plus habile fut Aristote. Ce n'est pas qu'il nie l'âme, mais il dissimule sa croyance de telle sorte qu'on ne peut affirmer s'il acceptait l'immortalité. Son Traité de l'âme, qui est le plus parfait quant à la forme, pourrait servir à fixer notre opinion; mais il donne pour conclusion que l'intelligence n'est que la succession des pensées (1): théorie renouvelée par Spinosa et Hume. Il ne dit rien de la conscience morale de l'homme, bien que, dans l'Éthique il en fasse le fondement de la loi morale. Si l'âme n'est que la forme du corps, à la dissolution de celui-ci, elle se confondra avec la substance infinie: conséquence inévitable, dès qu'il ne distinguait pas suffisamment l'âme du corps, réduisait l'homme à un principe, et ne voyait pas que l'âme ne peut être observée que par l'âme elle-même. Dès lors il reniait Platon, pour reculer vers le passé, dont les physiologistes modernes, qui poussent avec excès leur science dans l'observation des phénomènes de l'esprit, se montrent encore les adorateurs (2).

Quant aux sciences pratiques, c'est-à-dire la morale, la politique, l'économie, l'empirisme ne put lui fournir qu'une théorie morale du bonheur. Le point fondamental est l'idée du souverain bien et du but final. Ce but est le bien-être, súdαμovíα, εuπρažía, ou la somme des jouissances qui résultent de l'exercice parfait de la raison. Platon avait dit que l'homme n'est pas librement méchant, la raison ne pouvant vouloir que le bien. Aristote, au contraire, démontra le libre arbitre. Il voulut prouver, par induction, qu'un juste milieu harmonique entre le trop et le trop peu, entre l'excès et le défaut, forme l'essence de la vertu. Il voyait bien que cette mesure ne pouvait être appliquée à certains actes, tels que la haine, l'adultère, le vol, l'homicide; mais cela ne suffit pas pour lui faire apercevoir la fausseté de son principe moral, qui réduit la vertu à n'être qu'un terme moyen. La justice n'a plus pour appui un sentiment intime, direct et psychologique; elle n'est qu'une déduction logique, un jugement, une proportion mathématique entre le trop et le trop peu (3).

Comme il avait reproché à Socrate d'avoir réduit toute vertu à la partie intellectuelle, il attribua à chaque faculté humaine sa vertu

(1) Liv.I, c. 3, § 13.

(2) Voir BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE, De la psychologie d'Aristote, 1846. (3) Bodin reproduisit cette théorie dans le seizième siècle.

propre, prise dans la signification originaire de force (ápstý ), c'està-dire sa perfection, et il en forma deux classes : les vertus intellectuelles et les vertus morales. Il reconnut que les premières n'étaient pas imputables à la personne, et qu'il ne lui en revenait aucun mérite. Néanmoins la classe des vertus morales était encore trop étendue, puisque l'épithète morales ne se bornait pas à signifier, comme nous l'entendons, ce qui est juste, mais aussi toute habitude volontaire apte à perfectionner les puissances mixtes dont se compose la nature humaine. Ainsi, confondu avec des aptitudes avantageuses à l'homme sans être morales en elles-mêmes, ce qui est juste n'était pas, à ses yeux, la vertu, mais seulement une vertu. Le christianisme seul devait pouvoir donner la définition exacte de la vertu, en déclarant que la rectitude de la volonté consiste dans sa conformité avec la loi éternelle; car cette loi n'est que l'ordre divin des êtres, conçu par nous en partie à l'aide des lumières de la raison, en partie par la manifestation positive de la Divinité et par la grâce.

En pratique, la vie civile est dans la nature, et l'homme est un animal sociable, telle est la conclusion d'Aristote, qui, de la constitution de la famille, déduit la nécessité naturelle de vivre en société : << Si l'homme, dans l'isolement, ne peut suffire à ses propres besoins, «< il sera, comme les autres parties, dépendant du tout. Celui qui << ne peut rien mettre en commun dans la société, et n'a besoin de << rien parce qu'il se suffit à lui-même, ne saurait être membre de « la cité, et il faut qu'il soit une brute ou un dieu. La nature pousse <«< donc instinctivement tous les hommes à l'association politique. « Le premier qui l'institua rendit un immense service; car si « l'homme, parvenu à toute sa perfection, est le premier des « animaux, il en est bien aussi le dernier, lorsqu'il vit isolé, sans « lois et sans justice (1). »

(1) Politique, liv. I, ch. 1, 3, 12. Cicéron soutient aussi, dans son traité de Republica, que le peuple est cætus multitudinis, juris consensu et utilitatis communione sociatus, non par faiblesse, mais par sociabilité naturelle; car la nature ne fit pas l'homme isolé, mais le destina à vivre avec ses semblables.

Il est curieux de voir proclamées, il y a tant de siècles, ces vérités qui, méconnues depuis, entraînèrent à tant d'erreurs Hobbes, Rousseau et leurs sectateurs, soit dans les écoles, soit dans les assemblées. L'éloquent auteur du Contrat social se laissa aller au plus misérable enfantillage lorsqu'il traça cette tirade, si magnifique pour le style: « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire: Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardezvous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits

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