Imatges de pàgina
PDF
EPUB

Platon. 429-348.

Platon, né dans l'ile d'Égine, descendant de Codrus et de Solon, doué d'une imagination féconde et hardie, d'un jugement solide et pénétrant, d'un goût exquis, d'un cœur bienveillant et énergique, reçut une éducation poétique et libérale. L'amitié de Socrate lui inspira le goût le plus vif pour la philosophie et détermina sa vocation. Nous avons pu voir que la philosophie se fondait sur deux doctrines, l'une positive et traditionnelle, l'autre rationnelle et spéculative; ce qui motive la distinction qu'Aristote fait des sages en théologiens et en philosophes. Pythagore, c'est-à-dire l'école italique, appartenait aux premiers, s'occupant à recueillir et à comprendre les vérités que Dieu révéla primitivement aux hommes; Thalès, fondateur de l'école ionienne, faisait du raisonnement l'unique base de la science. A partir d'Anaxagore, la philosophie rationnelle inclinait à se réunir à la philosophie traditionnelle; cette réunion, hautement annoncée par Socrate, fut accomplie par Platon.

Ce philosophe, comme son maître, avait la morale pour but principal; mais il ne se contenta point de l'expérience commune, et sentit l'importance de la philosophie spéculative. Tandis que les autres écoles ne cherchent la solution de l'énigme de la'nature que dans le moi, dans l'expérience et dans l'histoire, Platon s'élève au-dessus de la réalité et de la vie; il recherche la connaissance de la Divinité dans une révélation primitive et dans une réminiscence intérieure. Il avait appris des pythagoriciens à faire cas des mathématiques, et voulait que l'étude de la philosophie commençât par elles (1). En étudiant les sophistes et les éléatiques, il vit que les principes des connaissances doivent résider dans l'intelligence, et que l'important est de distinguer les connaissances fixes de celles qui sont

(1) Que Platon ait emprunté les nombres aux Égyptiens ou aux pythagoriciens, nul doute. L'UN semble ne faire qu'une même chose avec l'ÊTRE ; c'est du moins ainsi que l'entendait Parménide, selon un passage précieux de Plutarque que voici : ΟΝ μὲν, ὡς ἀΐδιον καὶ ἄφθαρτον, ΕΝ δὲ ὁμοιότητι πρὸς αὐτὸ καὶ τῷ μὴ dé×ɛolai diapopàν, πpoσayopeúsac (Adv. Coloten, XIII.) Nous savons, par la réfutation d'Aristote, que Platon, dans sa République, prétendait que les changements dans les États arrivaient quand, en ajoutant la racine cubique du nombre des années à un multiple de cinq, il en résulte deux harmonies, c'est-à-dire lorsque le nombre de cette figure devient solide, car alors la nature produit des êtres dépravés et indociles à toute éducation.

Qu'est-ce que cela veut dire?

Nous savons encore que, dans l'école de Pythagore, on jurait par le quaterne; c'est pourquoi nous lisons dans Macrobe: Per qui nostræ animæ numerum dedit esse quaternum. Ce quaterne était l'esprit, la science, l'opinion, le sentiment (νοῦν, επιστήμην, δόξαν, αἴσθησιν). Aristote assure que les nombres de Py. thagore sont les idées, ött elồn ảpisμ.oí. (Métaph.), I, § 10.

variables, les dernières dérivant des sens, les autres consistant dans les idées. Or ses recherches avaient précisément pour objet de trouver ce que les choses renferment de fixe et d'invariable. Il distingua dès lors dans l'intelligence une partie liée à la conscience de la variabilité, une autre inaltérable et nécessaire ; il sépara donc la conjecture du savoir, et démontra qu'une philosophie scientifique ne peut se fonder sur l'expérience des sens. Au lieu de chercher à prouver, avec les deux écoles éléatiques, l'existence du fini et de l'infini, il l'admit comme condition essentielle de la science, et reconnut à l'âme certaines notions innées qu'il appela idées, principes des connaissances, types des choses, auxquels nous reportons, par le moyen de la pensée, l'infinité des objets particuliers. Elles sont préexistantes à l'âme, et l'expérience, en nous offrant des images faites à leur ressemblance, vient les développer peu à peu, si bien que connaître n'est pour l'âme que le souvenir d'un état antérieur aux liens du corps. Or, si les objets de la sensation correspondent, au moins en partie, aux idées, il doit y avoir un principe commun à ces objets et à l'âme qui en a connaissance, et ce principe est Dieu, qui forma les objets sur le modèle des idées. L'âme est, de plus, une force active par elle-même, et c'est de son union avec le corps que provient une partie raisonnable et une autre déraisonnable.

En distinguant aussi clairement les facultés de connaître, de sentir et de vouloir, Platon fit faire des progrès immenses à la philosophie, qu'il divisa en logique, métaphysique et morale. Recherchant dans la morale le bien suprême et la vertu, il pensa qu'il fallait viser à corriger la politique et les institutions, plus encore qu'à perfectionner les individus. Il recommanda, en appliquant sa théorie idéaliste, d'agir conformément à l'idée rationnelle du bien et par le seul amour de la justice. La vertu, qui consiste dans l'effort de l'humanité pour ressembler à Dieu, est une et composée de quatre éléments, science, courage, tempérance, probité. L'éducation est la culture libre et morale de l'esprit. La politique, application en grand de la loi morale, est la science de réunir les hommes en société sous la surveillance de la morale. C'est à cette science que se rapportent les quatre dialogues du Gorgias, des Lois, du Politique ou du Gouvernement, et de la République, ce dernier surtout, dans lequel, dégoûté de la constitution athénienne, Platon penche visiblement pour la monarchie; mais, comme il voyait les maux qu'elle avait produits en Crète et à Sparte, il en créa une idéale à l'aide des renseignements

recueillis dans ses voyages et durant son séjour à la cour de Denys de Syracuse(1).

La république de Platon est donc une utopie impraticable comme tant d'autres; mais plusieurs des moyens par lesquels il poursuit son but idéal étaient applicables, et lui font un grand honneur. La peine ne doit être infligée que pour rendre meilleur ou moins méchant, et les tribunaux ne sont pas institués pour être des instruments de vengeance. Le coupable ne peut être puni avec justice de la peine capitale, s'il n'est établi qu'il a reçu la meilleure éducation possible; ses enfants ne doivent pas participer à l'infamie. C'est une calamité pour un État quand les tribunaux, faibles ou muets, dérobent leurs jugements aux regards du public, et prononcent des sentences à huis clos. Que la loi n'aggrave pas la peine du vol en proportion de sa valeur, mais seulement dans le cas où celui qui l'a commis se montre incurable. Il alla jusqu'à prévoir que, si un être souverainement juste apparaissait sur la terre, il serait emprisonné, frappé, crucifié par ceux qui, comblés d'iniquités, seraient en renom de justice.

Dans le temps où les sociétés capricieuses et remuantes de la Grèce, étourdies par leur liberté arbitraire, oubliaient les lois stables de l'humanité et abandonnaient le droit aux fluctuations populaires ou à de savants sophismes, Platon proclamait une justice supérieure et éternelle, l'ordre, la morale, Dieu. Il est vrai que cette idée de Dieu, de l'humanité, de la cité, l'éblouit au point qu'il ne sait plus apprécier l'homme, foule aux pieds la liberté individuelle et considère les individus humains comme les arbres d'une forêt, que la hache fait servir tous à une même fin. C'est pour cela qu'il veut que certaines vérités ne soient point divulguées, et qu'il établit une aristocratie du savoir. Il consacre l'esclavage si un citoyen tue son esclave, il suffit qu'il se purifie; si c'est celui d'un autre, qu'il paye deux fois sa valeur au propriétaire; quant à l'esclave qui tue son maître, on peut lui faire souffrir tous les tourments à son gré, jusqu'à ce qu'il rendre le dernier soupir; s'il tue un autre esclave, que le bourreau le fasse expirer sous les verges.

:

Les femmes et les enfants sont la propriété de l'homme, privés de personnalité et mis en commun à titre de patrimoine social. «Il << y aura des gardiens préposés à l'allaitement des enfants; ils << conduiront les mères aux berceaux tant qu'elles auront du lait, « et veilleront à ce qu'aucune d'elles ne puisse reconnaître son

(1) Voyez principalement les Lois, IX.

« enfant (1). » Tant il méconnut le caractère sacré de la femme, son égalité naturelle avec l'homme; tant les idées du juste et de l'honnête étaient encore confuses dans les esprits même les plus élevés !

Aristote, qui trace avec tant de précision les limites entre l'homme libre et l'esclave, qui n'est pas un homme, réfute cependant Platon : « Dans une société civile, dit-il, où la bienveillance est « pour ainsi dire délayée entre tous, elle doit être bien faible, et << il est presque impossible à un père de dire, Mon fils, à un fils, « Mon père. Ainsi que la douce saveur de quelques gouttes de « miel disparaît dans une grande quantité d'eau, de même « l'affection que font naître ces noms si chers se perdra dans un « État où il sera complétement inutile que le fils songe au père, « le père au fils, et les enfants à leurs frères. L'homme a deux << grands mobiles de sollicitation et d'amour c'est la propriété « et l'affection (tò lôtov xai tò åɣaлtóν); or ni l'une ni l'autre <«< ne peuvent subsister dans une pareille forme de gouverne« ment (2). »

Socrate s'était raillé du sophiste qui appelait beau ce qui délectait les yeux et les oreilles. Platon réprouve aussi cette définition dans l'Hippias, et veut que le beau soit l'éclat de la vérité; le plaisir, engendré par l'art qui l'exprime, est d'une nature élevée, parce qu'il s'allie étroitement au vrai, et il ne peut être senti que par ceux qui réunissent la science et la vertu; le jugement d'un seul d'entre eux a plus de prix que celui d'une multitude entière. Le but de l'art est donc de porter au bien, en améliorant, en élevant l'âme, et en inspirant cet amour (amour platonique) qui conduit à la vertu (3).

Ainsi Platon, tout en choisissant dans les divers philosophes, sut conserver un caractère d'originalité, et ramener les opinions divergentes à un système harmonique, où l'unité se fonde sur les idées; tous les motifs de notre activité spéculative ou pratique acquièrent la même importance morale, et le lien entre la vertu, la vérité et la beauté se trouve consolidé.

(1) PLATON, la République, liv. V, p. 460 D.

(2) ARISTOTE, la Politique, liv. II, ch. 1, § 17.

(3) Les deux épigrammes suivantes, attribuées à Platon lui-même (V. Diog. Laërt., III, 29, 32), ne permettent pas d'entendre l'amour platonique dans le sens qu'on attache vulgairement à cette expression: 'Aorpéas εioalpɛis, xtλ. « Quand tu considères les astres, cher Aster, je voudrais être le ciel, pour te voir avec autant d'yeux qu'il y a d'étoiles. » Tàv Yuxǹv 'Ayálwva, xt). « Lorsque j'embrassai Agathon, mon âme vint tout entière sur mes lèvres, prête à s'envoler. »

Comme son maître Socrate, il fit usage du dialogue, mais sans affecter le ton familier des autres disciples; dans ce genre, il reste sans égal, bien qu'il se montre souvent prolixe et parfois obscur, soit pour chercher trop l'élégance, soit à cause du souvenir encore récent de la ciguë de Socrate. Il fit surtout beaucoup de cas des traditions, persuadé que, tout altérées qu'elles étaient pour avoir passé par la bouche du vulgaire, elles conservaient un fond de vérité que le philosophe devait respecter, et que, par leur forme, elles pouvaient être fort utiles à l'artiste pour atteindre à la haute éloquence. Il montre un mépris continuel pour la multitude, et donne de l'importance à la philosophie par opposition aux opinions vulgaires.

Toujours riche de poésie et d'art, il sait modérer l'audace d'une pensée par l'harmonie et la suavité des formes. Il abonde en figures, en fables, en comparaisons, témoigne d'une admirable connaissance des hommes et des choses, et possède un talent d'exposition qui n'a jamais été surpassé. Son école était fréquentée par des personnages célèbres; car les anciens discutèrent la question de savoir si elle avait formé plus de tyrans ou plus d'ennemis des tyrans (1); on y voyait encore, en plus grand nombre que les hommes de mérite, les élégants et beaucoup de femmes, entre autres Axiothée de Phlionte et Lasthénie de Mantinée. Platon se résigna en partie à la corruption de sa patrie, ne voulant pas ramener la génération en arrière. Peut-être il renonça trop à l'espoir d'être utile à son pays; il détourna donc les regards des événements particuliers pour les concentrer sur le cours universel des choses. Il mourut dans un banquet, après avoir formé beaucoup de disciples qui, des jardins d'Académus où le maître les réunissait, furent appelés Académiciens.

Aristote, disciple et rival de Platon, donnait ses leçons dans le Lycée, en se promenant (πεрtлατν), ce qui valut à ses disciples le nom de Péripatéticiens. Il naquit à Stagire, et fit l'éducation d'Alexandre, qui lui fournit d'immenses moyens d'étude. Élevé dans la doctrine de Platon, il prit à tâche de la critiquer, et mourut dans l'île d'Eubée. Il écrivit sur toute la science humaine; mais ici nous ne nous occupons de lui que sous le rapport de la philosophie, en regrettant que ses livres, déjà obscurs par eux-mêmes, le soient devenus plus encore par ses commentateurs (2).

(1) Athénée (XI, 508) donne une liste des tyrans sortis de cette école ; Plutarque (adv. Colot., 32) en donne une autre des ennemis de la tyrannie.

(2) « Aristote légua sa bibliothèque à Théophraste, qui à son tour la laissa, après y avoir réuni la sienne, à Nélée de Scepsis, son disciple et celui d'Aristote.

« AnteriorContinua »