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Il reconnut donc Dieu, le fit l'auteur et le soutien des lois morales, et enseigna que l'âme se rapproche de lui par la raison. Ce n'était pas assez pour lui de la haute philosophie; il invoqua l'inspiration de son démon ou génie familier, soit qu'il voulût par là indiquer la conscience, soit qu'il fit allusion à quelque chose de plus élevé. Subtilisant sur l'expression, on a dit que, pour lui, ce n'était pas un démon, mais quelque chose de divin (apóviov): distinction plus subtile que réelle. Il est certain qu'il parle souvent de ce démon; dans sa propre apologie, il assure même qu'il lui parlait, et que, loin de le pousser à quelque acte, il l'empêchait d'en faire plusieurs.

Les hommes élevés sont religieux ; la raison pure peut faire un honnête homme, mais il faut l'enthousiasme aux grands, chez lesquels on trouve les singularités que les petits affectent. « A a Potidée (dit Alcibiade dans le Banquet), Socrate, un matin, de«bout et immobile, se mit à méditer. Il était midi; les gens le re<< gardaient, surpris de le voir rester en extase depuis le matin. « Vers le soir, les soldats ioniens, après avoir diné, apportèren t << dans ce lieu leur couchette pour dormir au serein, et voir si Soa crate passerait la nuit dans la même position; en effet, il resta « debout jusqu'à l'aube, fit alors sa prière au soleil et se retira. » D'autres racontent qu'en se promenant avec ses amis, il s'arrêtait souvent, et disait ensuite qu'il avait entendu son démon; tantôt illui semblait que cet esprit lui suggérait ce qu'il avait à dire, tantôt qu'il rappelait quelque chose à sa mémoire.

Était-ce imposture ou faiblesse? Nous reproduisons la croyance de ces communications de l'homme avec des êtres supérieurs, que nous trouvons au berceau de l'humanité, et que les siècles les plus éclairés cherchent à expliquer, au lieu de les nier. Notre âge, peutêtre, marche à grands pas vers la révélation de ces mystères.

Il se déclara aussi citoyen du monde; mais ce mot ne pouvait encore être compris, parce que ce n'était pas à la philosophie, mais à la religion de le proclamer. Il n'est pas possible, en effet, de comprendre l'unité du genre humain, tant qu'on n'a pas compris l'unité de Dieu. Philosophie, vertu, bonheur, consistent pour Socrate dans la possession de la vérité, ce qui équivaut à dire dans l'intuition des essences qui sont la partie divine des choses (ou les dieux) auxquelles l'âme est unie, même ici-bas, par sa

choses. Aussi s'aperçut-il que l'universel n'appartient pas aux choses sensibles, mais à ce qui est l'opposé, aux choses non sensibles, puisqu'on ne saurait trouver une raison commune aux choses qui changent à chaque instant, et dès lors ne sont pas susceptibles d'une définition commune.

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nature, bien qu'elle en soit détournée par les affections corporelles. Connaître et contempler ces dieux, c'est la vertu; la mort, qui affranchit l'âme et la réunit à Dieu, est le bonheur. Jusqu'à ce qu'elle vienne, l'homme doit s'exercer à détacher l'âme de son corps, en contemplant les essences. Philosopher, c'est vivre vertueusement; ainsi la philosophie est la préparation continuelle à la mort, et la vertu la contemplation des essences des choses.

Mais l'action vient ici se confondre avec la contemplation, la spéculation avec l'œuvre, la science avec la vertu, ce qui jeta de l'incertitude dans ces nobles doctrines, et mêla la science théorique et nécessaire avec la science pratique et volontaire; au lieu de calculer le mérite de l'homme d'après les obstacles corporels dont il triomphe, Socrate fait consister sa perfection morale à contempler les essences, sans avoir aucun combat à soutenir (1). Or, comme tous ne peuvent acquérir la science, tous ne seraient pas libres de parvenir à la vertu, réduite à une simple spéculation de l'intelligence.

Socrate, au surplus, n'affirmait rien; aussi la sagesse païenne, touchant au plus haut degré où elle soit parvenue, était-elle réduite à confesser qu'elle ne savait rien. On cite souvent ces paroles de lui: Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien, comme si l'on voulait en conclure qu'il n'était qu'un pur sceptique, et qu'il ne pouvait dès lors qu'entraîner dans le doute. Et pourtant c'était la première opposition aux sophistes, dont les doutes, comme il arrive souvent, se résolvaient en un dogmatisme arrogant, au point qu'ils affichaient la prétention d'enseigner toutes les sciences et tous les arts. Socrate, au contraire, n'enseignait aucune science, excepté celle qui est nécessaire à tous la manière de penser juste, le sens droit. Il devait, en effet, connaître le vrai savoir, et Platon (dans le Memnon) assure qu'il distinguait la science véritable de l'opinion. Aristote lui attribue deux choses: la preuve par induction, et la détermination générale des idées; il fut donc le fondateur de la méthode scientifique en général.

Phèdre lui ayant demandé ce qu'il pensait de l'explication que les physiciens d'alors donnaient des mythes religieux, il répondit : « Ces choses requièrent beaucoup plus de temps et de subtilité << que je n'en ai. Je suis occupé de ce précepte delphique: Connais« toi toi-même, et il est impossible qu'il reste à celui qui le mé<< dite assez de temps pour d'autres choses. Je m'inquiète peu de

(1) M. Cousin trouve qu'il n'y a vertu qu'où il y a combat ; Socrate, au contraire, ne la reconnait que du moment où le combat a cessé.

a toutes ces questions et je me borne à croire ce que croit la mul« titude, ne m'occupant que de l'étude et de la conscience de ma << personne. »

La connaissance de soi-même ne consiste pas seulement à comprendre les choses que l'on fait ou non, mais à connaître leur valeur morale. Ce précepte delphique signifie donc : « Comprends la << valeur scientifique de tes pensées, et tu découvriras que la science << humaine est nulle, mais que l'homme a conscience de la certitude « et de la vérité des actions morales, aussi bien que de tout ce qui «< concerne la vie. » C'est donc sur la conscience, qui nous révèle aussi que la matière est régie par quelque chose de divin, que Socrate voulut appuyer la science. Examinantle côté rationnel, il trouvait l'unité de la science dans la raison divine, et pour lui le côté matériel n'a ni sens ni valeur, sans un but rationnel. Par cette doctrine, il élevait l'activité morale au niveau de l'activité scientifique. La connaissance est le but de l'activité morale, et la connaissance véritable est celle du bien, de la raison et de Dieu qui gouverne le monde. En conséquence, la vertu est une, c'est-à-dire la raison; rien de ce qui se fait avec raison n'est mauvais.

Dans les détails, il s'en remettait aux lois de l'État et à la vocation spéciale que la Divinité suscite dans chaque homme.

La doctrine de Socrate devait donc exciter, non pas un mouvement partiel dans quelque branche de la philosophie, mais un mouvement scientifique nouveau et complet, qui dérive de la conscience du savoir général, et s'étend à tout ce que l'homme peut apprendre. Socrate ne développe aucun système de morale, mais porte l'attention sur l'activité rationnelle, sur la conscience morale de l'homme. Il ne donna point une théorie de la matière et de la forme de la science, mais il en enseigna la pratique; puis il inculqua cette pensée lumineuse, que la valeur de toute connaissance doit être examinée uniquement selon sa concordance avec la science entière; que toute pensée doit rendre compte d'elle-même et prendre racine dans la connaissance de soi-même et de Dieu ( Ritter).

Socrate avait notablement développé le sentiment moral, mais sans le rapporter à des principes certains, et sans montrer de quelle manière il oblige le libre arbitre. Ne voulant pas mettre d'entrave à celui-ci par un système, il en résulta qu'au lieu de fonder une école, il ne fit que donner à réfléchir. Le mot de Prudence ou sagesse, qu'il posa comme principe moral, était trop indéterminé, et n'ôtait pas la confusion entre la théorie et l'œuvre, le dogmatisme et la vertu. Il n'y a donc pas à s'étonner si ses disciples suivirent les routes les plus diverses, et même les plus opposées, chacun d'eux

HIST. UNIV.

T. I.

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Cyniques.

424.

413-323.

321.

Cyrénéens.

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323.

posant et résolvant d'une façon différente les problèmes fondamentaux de l'humanité. Xénophon, Eschine, Simon, Criton, tous Athéniens, et le Thébain Cébès (1) s'appliquèrent à la morale. L'Athénien Antisthène eut la science pour objet : il fonda l'école cynique; Aristippe, celle de Cyrène, et Pyrrhon, la sceptique. Euclide de Mégare, Phédon d'Élis, Ménédème d'Érétrie, s'occupèrent de théories; Platon seul embrassa la pensée de Socrate sous tous les aspects.

Antisthène, vertueux avec exagération, faisait consister la vertu dans l'abstinence, qui nous rend indépendants des choses extérieures: selon lui, le beau était le bien; le laid, toute chose déshonnête; le reste, indifférent. Il fallait, disait-il, vivre selon la nature, et mépriser les convenances sociales. Il n'admettait qu'un Dieu; ses disciples renchérirent sur lui et se rendirent fameux par des folies. Diogène de Sinope roulait dans les rues d'Athènes un tonneau dans lequel il logeait; il se livrait publiquement à tous les actes naturels, sortait de jour, une lanterne à la main, pour chercher un homme, et disait qu'il n'en avait pas trouvé dans toute la Grèce, mais seulement des enfants à Sparte. Cratès de Thèbes jeta à la mer tout ce qu'il possédait, et, voyant un enfant boire dans le creux de sa main, brisa une tasse de bois, seul meuble qu'il eût conservé; Hipparchia, sa bien-aimée, suivit son exemple, abandonnant famille et tout pour s'en aller avec lui.

Aristippe de Cyrène, en Afrique, tout au contraire des cyniques, mettait la vertu dans la satisfaction harmonique de toutes les inclinations et dans la jouissance la plus prolongée. Agis toujours de manière qu'il t'en revienne le plus de bonheur possible, telle était sa morale, avec l'égoïsme pour résultat; car ne serait-ce pas folie que de se sacrifier pour autrui ?

Théodore, sorti de son école, en tira, comme conséquence légitime, qu'il n'existe point de vertu, et que l'homme doit s'en tenir à l'impression pratique et prendre dès lors le plaisir pour but unique. Hégésias demanda: Le plaisir parfait peut-il s'obtenir? et, se voyant forcé de répondre non, il déclara l'homme malheureux de sa nature, la vie un mal et la mort un bien (2): conséquence qui devait suffire pour lui faire connaître l'erreur de

(1) On attribuait à Cébès de Thèbes, disciple de Socrate, le Tableau figuratif de la philosophie (IIívak); mais on veut maintenant qu'il ait pour auteur Cébès de Cyzique, le dernier des stoïciens et postérieur aux Antonins.

(2) Il fut surnommé, à cause de cela, Istot0ávatos. Ptolémée dut lui défendre d'enseigner dans les écoles, parce qu'il entraînait beaucoup de personnes au suicide. CICERON, Tuscul., I, 126.

son point de départ; mais les disciples acceptent d'ordinaire comme indubitables les théorèmes du maître, et les poussent ensuite à des conséquences qu'il n'a pas prévues.

Quand on enlève à l'homme les idées pour ne lui laisser que les sensations, il est contraint de tomber dans le scepticisme. Pyrrhon avait appris de Socrate ce principe, que la philosophie doit se rapporter à la vertu; mais il en conclut l'inutilité de la science et même son impossibilité, qu'il essaya de prouver par les arguments des sophistes. C'est par moquerie que ses adversaires ont affirmé qu'il croyait illusoire et fictif tout ce qui frappe les sens, que dès lors il n'évitait pas un fossé, qu'il causait avec des amis absents, etc. Il accompagna Alexandre dans son expédition, fut élu grand prêtre, et ce roi le condamna à mort pour avoir demandé le supplice d'un satrape.

Timon de Phlionte, son disciple, soutint que toute science est vaine, puisqu'elle ne fournit pas le moyen d'être heureux; qu'il faut chercher le calme inaltérable de l'âme dans l'indécision des jugements, dans l'usage pratique de la vie. Les pyrrhoniens d'alors et ceux d'aujourd'hui ont-ils jamais pensé que l'homme, duit aux pures sensations, ne saurait posséder même une vérité pratique relative et variable, puisque sans idées on ne peut ni juger ni parler? Ont-ils jamais pensé que leur science réduit l'homme, ou bien à être inconséquent, ou bien à renoncer aux dons les plus sublimes, le langage et la raison?

Pyrrhonie ns. 340.

350.

400.

Euclide fonda dans sa patrie, à Mégare, où s'étaient réfugiés Mégariens, les disciples de Socrate, une école qui prit et conserva de celle d'Élée l'unité première comme réalité unique; mais elle l'appliqua à la morale, considérant l'être absolu comme le bien absolu. On peut rattacher à celle-ci les deux autres écoles d'Élis et d'Érétrie, établies par Phédon et Ménédème.

Donner à l'école de Socrate un caractère purement moral, ce n'est pas dire qu'il négligeât le reste, puisque ses disciples se sont occupés de logique, de métaphysique et de physique; mais avant lui la physique tenait le premier rang, qu'ocupa la morale après lui; car, pour rendre la science complète, il avait reconnu la nécessité d'embrasser la nature et la raison.

On peut dire que jusque-là le génie grec n'avait fait que des tentatives pour se dégager des langes de l'Orient, et pour bien se reconnaître lui-même, marchant encore à tâtons au milieu d'hypothèses et d'expériences, sans fonder aucun grand système lui appartenant en propre; mais voici le temps où la 'philosophie païenne va atteindre à sa plus grande hauteur,

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