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vre, qui ne pouvait s'accomplir que par la lente destruction des anciennes croyances, resta inachevée (1).

L'école ionienne avait donc pris le côté physique, et celle de Pythagore le côté métaphysique; le point de vue dialectique fut embrassé par une autre école, greffée sur celle de Pythagore, et qui prit son nom d'Élée, ville d'Italie : poussant à l'excès le système des idées et répudiant l'expérience, elle déclara les choses de purs phénomènes, ramena la réalité à l'intelligence et identifia le monde avec Dieu. Ce penchant exclusif vers le suprasensible, négligeant le sensible et soutenant qu'il faut chercher toute vérité dans la sphère rationnelle, est la première tentative qui eut pour objet de redresser le mode de connaissance sensible au moyen des idées pures de la raison, ou de les réduire à leur juste valeur; l'école d'abord distingua dans la pensée l'élément spéculatif de l'élément empirique.

Xénophane de Colophon (2), Parménide et Zénon d'Élée, Mélissus de Samos, passent pour les auteurs de ce système. Le premier affirma que rien n'est fait de rien, et qu'aucune chose ne peut passer du néant à l'être; tout n'est donc qu'une seule chose immuable et éternelle. C'est ainsi qu'il combattait l'anthropomorphisme et la mythologie, et qu'à l'aide de la simple raison, par le principe de la causalité, il prouvait l'existence de Dieu (3),

(1) On aura facilement aperçu ce que les pythagoriciens ont de commun avec les Indiens. Le nom même de uzĩa se trouve chez le pythagoricien Nicomaque, dans Photius. Ils distinguent l'organe sensitif matériel de l'âme rationnelle vivante, qui a la conscience d'elle même, et qu'ils appellent Ovuó; et opýν ou vous, comme elle est nommée dans les Védantas manas et djivatman. Ils supposent, de même que les Indiens, une région moyenne entre le ciel et la terre, habitée par les démons. On raconte que le brahmine Iarchas, interrogé par Apollonius sur ce que les Indiens pensaient de l'âme, répondit: Ce que vous en pensez vousmême depuis Pythagore.

(2) L'unité de Dieu est exprimée formellement dans le poëme de Xénophane sur la nature; mais, en disant que rien ne provient de rien, il suppose la matière coéternelle :

Εἷς Θεὸς ἔν τε θεοῖσι καὶ ἀνθρώποισι μέγιστος,

Οὔτι δέμας θνητοῖσιν ὅμοιος, οὔτε νόημα.

Voy. BRANDIS. Commentationes eleaticæ; Altonæ, 1813.

(3) Albert FABRICIUS, dans ses notes sur Sextus Empiricus, Hypotyp. I, 53, s'exprime ainsi : « Xénophane comprit Dieu comme intelligence éternelle, une, immuable, non sujette à la génération ni à la mort, perpétuellement vivante, pleine de raison et de jugement, semblable en tout à soi-même, qui fut toujours et sera toujours; au contraire, les choses qui apparaissent à nos sens n'existent, selon lui, que dans le changement et dans l'opinion, et doivent toutes se résoudre de nouveau dans l'être un, où elles sont contenues et d'où elles décou

de sorte qu'en admirant l'harmonie du monde, il disait : Tout est un, et cette unité est Dieu. Au reste, l'humanité ne pouvait, selon lui, faire autre chose que conjecturer, supposer, présumer,

Parménide précisa encore plus l'idéalisme, en affirmant que les sens ne sauraient offrir que des phénomènes trompeurs, et que la raison seule reconnaît ce qui est vrai et réel. Mélissus, homme d'État et général célèbre, exagérant encore le système, refusa aux corps les dimensions de l'espace. Peut-être le reproche de panthéisme, fait aux éléatiques, eut-il précisément pour cause le soin extrême qu'ils apportèrent à distinguer des choses sensibles l'idée et à faire ressortir qu'elle les possède toutes dans leur forme originelle.

Si les deux philosophes que nous venons de nommer avaient déjà recherché en quoi les sensations se différenciaient des choses, Zénon d'Élée, défenseur ardent de la liberté, employa sa pénétration à pousser la recherche plus loin; il démontra que, si les choses extérieures étaient telles que la sensation nous les dépeint, elles seraient pleines d'absurdités et d'impossibilités, Lorsqu'il enseigna dans Athènes, il réfuta plutôt le système du réalisme empirique qu'il ne prouva le sien, consistant dans l'idéalisme pur; mais il porta à l'excès la pensée fondamentale de l'école éléatique. En niant la possibilité du mouvement, il ouvrit la route au scepticisme et fonda la dialectique. Dès lors une vérité, que le temps confirma, resta évidente: c'est qu'il est impossible, quand on révoque en doute l'existence sentie des réalités finies, de parvenir à leur démonstration.

Une pareille négation répugnait trop aux croyances inhérentes à la nature, pour qu'une réaction ne s'ensuivît pas; elle fut faite par Leucippe, qui assigna, pour éléments de la réalité, certains corpuscules (atomes) indivisibles et éternels, dont la combinaison fortuite produit les corps sous leurs différentes formes. Ainsi à l'unité infinie se trouva substituée la pluralité infinie, qui fut soutenue par Héraclite d'Éphèse, surnommé l'Obscur et le Pleureur, bien qu'il léguât à Platon et aux stoïciens des principes féconds en conséquences.

Le caractère sombre de ce philosophe eut pour contraste l'humeur railleuse de Démocrite d'Abdère, qui supposa la nature régie par la loi de la nécessité, áváɣxŋ, et prétendit que certaines images émanées des corps, venant s'imprimer sur nos sens, en

lent. » A. ROSMINI, Esame del Mamiani, III, 51, justifie Xénophane et Parménide de l'accusation de panthéisme.

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gendraient la sensation et la pensée. Il appliqua le premier la philosophie matérialiste à la morale; car, s'il n'existe que des atomes dans l'univers, toute notion absolue de justice et de sainteté s'évanouit pour ne laisser que le calcul des jouissances. Il mettait, en effet, la suprême félicité dans l'égalité d'humeur. Métrodore de Chios, son disciple, déclarait ne savoir pas même s'il savait rien, et Diagoras, affranchi de ce dernier, fut banni d'Athènes pour avoir écrit qu'il ignorait s'il y avait ou non des dieux. Au contraire, Anaxagore de Clazomène, l'ami de Périclès, voulant ramener les croyances dans la bonne voie, ne chercha point de principes imaginaires; mais il vit dans l'univers une cause finale un esprit, vous, ordonnateur du monde.

Ainsi les uns, en combattant les idées, les autres, en attaquant la sensation, jetaient le doute dans les âmes; mais ces différents systèmes excitaient pourtant à réfléchir sur la nature de la pensée et de l'intuition. Bien qu'on s'aperçût à peine du contraste entre les produits de l'observation et de l'intelligence, on sentit le besoin de la loSophistes. gique; ce fut la tâche des sophistes, qui s'habituèrent aux analyses subtiles et aux méthodes de discussion. Ils ne semblèrent toutefois étudier laraison humaine que pour l'armer contre elle même, en mettant l'expérience en opposition avec la philosophie spéculative; ainsi ils déshonorèrent leur nom pour avoir voulu effacer toute différence entre la vérité et l'erreur, réduire toute croyance à une simple opinion (1), et tarir à dessein la source de la science. Gorgias de Léontium, disciple d'Empedocle, soutint que rien n'était réel, que rien ne pouvait être connu ni communiqué par des paroles. «Rien n'existe, et, quand il existerait quelque chose, il est impossible de le connaître. » Tel était sonthéorème, qu'il prouvait ainsi : «S'il existe quelque chose, cette chose est l'être ou le non-être, ou les deux ensemble. Mais le non-être est impossible, parce qu'il ne peut être né, ni n'être pas né, ni être un et multiple. Puis il est impossible que ce qui est soit élre et non-étre; car, s'ils étaient dans le même temps, ils ne seraient qu'une seule chose quant à l'existence; mais, s'ils n'étaient qu'une même chose, l'étre serait le non-être; or, comme le non-être n'est pas, l'étre ne saurait être non plus. En outre, si tous les deux étaient la même chose, ce ne seraient pas deux choses, mais une seule. » Platon néanmoins se crut obligé de réfuter dans dans ses dialogues cette argumentation; ce qui prouve qu'alors

(1) Jacobi Geel, Historia critica sophistarum qui Socratis ætate Athænis floruere; Utrecht, 1823.

elle ne semblait pas aussi frivole et aussi ridicule que nous la jugeons aujourd'hui.

Protagoras d'Abdère parcourut le premier les villes, professant à prix d'argent. Il bornait la connaissance à la perception du phénomène; il n'admettait point de différence entre les perceptions, vraies ou fausses, attendu que les choses subsistent seulement en tant que l'homme les distingue (1), et soutenait qu'il est impossible à l'homme de parvenir à une connaissance de la vérité qui suffise à ses besoins. Ce n'étaient pas là des questions oiseuses; car les sophistes instruisaient la jeunesse à embarrasser ceux qui avaient moins d'habileté, à ne considérer comme vertu que l'esprit et la subtilité captieuse, à ne voir que des superstitions dans les maximes morales. Critias appelait les religions de belles inventions des législateurs; Polus et Thrasymaque niaient la différence entre le bien et le mal; Prodicus accusait la nature d'avoir fait à l'homme le pire des présents en lui donnant la vie; Chalciclès soutenait que le droit unique est celui du plus fort, et que les lois sont le produit de la faiblesse de ceux qui, par un contrat social, fixèrent les idées du juste et de l'injuste. Ils se servaient, en un mot, du scepticisme, non avec la gravité de la science, afin de parvenir par le doute à la découverte de la vérité, mais avec toute la légèreté d'esprits moqueurs et plaisants, pour railler, comme Méphistophélès, la nullité de la raison humaine; on peut juger du mal qu'ils devaient faire dans une démocratie comme celle d'Athènes.

Mais, comme dans les voies de l'humanité, l'erreur elle-même vient en aide au progrès, les sophistes eurent aussi leur utilité : ils enrichirent et purgèrent le langage, rendirent la pensée plus pénétrante et plus subtile, en l'accoutumant à ne pas se contenter de raisonnements incomplets. Sans s'opposer à leurs doctrines désastreuses, les sages replièrent leur intelligence sur elle-même pour chercher un appui à la vérité, à la morale, à la religion.

Cette réaction fut l'œuvre de Socrate, qui, voyant la nécessité de rappeler la philosophie à un but élevé et pratique, s'attacha spécialement au côté moral de la science; de sorte que sa doctrine peut être considérée comme une théorie de la vertu. Combattant la légèreté désolante des maîtres de l'époque, qui ne s'appliquaient qu'à détruire, il établit, sur une base solide, les idées du bien, du beau, du noble, du juste, de tout ce qui vient de

(1) La vérité est pour chacun dans ce qui lui apparait (τὸ φαινόμενον ἑκάστῳ τοῦτο καὶ εἶναι ὅ φαίνεται); par conséquent, toute opinion est vraie (πᾶσα δόξα anon). Voy. Platon, Théélète, 187, B, et Diogène Laërce, IX, 51.

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Socrate.

Dieu et conduit à Dieu. Étranger aux arguties des sophistes, il en appela au sens moral de l'humanité, exprima ses pensées dans le langage populaire, et, à l'exemple de sa mère, comme il le dissait, il pratiquait une sorte d'accouchement intellectuel, μaieutix. Sa méthode consistait, en effet, à tirer, par le dialogue, de la mémoire de chacun, les idées qui s'y trouvaient à l'état latent, ou, pour mieux dire, les principes de la croyance naturelle, par voie d'induction et d'analogie (1). Il n'aurait pu obtenir ces résultats, sans avoir profondément médité sur lui-même. La connaissance de soi-même et l'empire sur ses passions étaient pour lui le fondement de la félicité suprême, qui consiste à voir le bien que nous sommes tenus de faire et à diriger nos actions dans ce sens. La vertu et le bien-être sont donc inséparables, et l'hommage le plus digne de la Divinité est la pratique des bonnes œuvres et un constant effort à effectuer, selon nos facultés, tout le bien possible, tant que nous restons dans cet exil qu'on appelle la vie. C'est un beau moment que celui où l'homme la quitte pour retourner dans sa véritable patrie ; mais, loin de le hâter par la violence, il doit l'attendre de celui qui l'a mis dans ce monde.

Socrate fit un sacrifice à l'école ionique, dont il sortait, en disant: «Les choses qui sont au-dessus de nous n'ont rien à faire << avec nous, » et sembla exclure la métaphysique, au lieu d'examiner les motifs qui jusqu'alors s'étaient opposés à ses progrès. Mais en déclarant oiseux le système des éléatiques, l'avait-il réfuté? Pouvait-il satisfaire les esprits spéculatifs par cette vague conception de la Divinité? La dialectique ne devait-elle pas rentrer naturellement dans un ordre d'idées qui plaît tant à l'esprit? Nous ne saurions donc le louer en cela, à moins qu'il ne l'ait fait uniquement dans l'intention de rendre la science populaire, et de ne développer que le sentiment moral intérieur. Il fut conduit, en effet, par la dialectique même dont il avait besoin pour bien définir les choses morales, à distinguer les choses sensibles, et à prouver scientifiquement ce que Pythagore avait déjà enseigné (2).

(1) Socrate disait Connaitre n'est que se souvenir; il le prouvait en prenant un enfant et en l'amenant, à l'aide de questions combinées, à attester des vérités supérieures à sa capacité, et jusqu'aux théorèmes géométriques les plus élevés. Il nous semble que ce grand dialecticien allait trop loin, car la conséquence naturelle de son expérience est que l'homme est doué de la faculté de juger.

(2) ARISTOTE, Métaphys., I, nous autorise à le dire: «Socrate traitait des choses morales et non de la nature; mais, dans les choses morales même, il cherchait l'universel: il s'appliqua le premier à donner des définitions, rendant hommage à l'universel, précisément parce que ce n'est que par lui que l'on peut définir les

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