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comme la plus universelle à laquelle soit parvenue la raison humaine (1).

Dans une disette absolue de renseignements, comment remonter à la vérité de cette philosophie, alors surtout qu'on a perdu la clef du langage mathématique et des symboles sous lesquels les pythagoriciens voilaient leur doctrine? Il paraît que le véritable Pythagore naquit à Samos, visita l'Asie, l'Égypte, peut-être l'Inde, et fonda à Crotone, en Italie, une école, l'école italique, qui, loin de se borner à perfectionner les sentiments religieux et moraux, avait encore un but politique et secret. Pythagore nous apparaît donc sous le triple aspect de philosophe, de fondateur d'une société et de législateur. Comme philosophe, il tient le milieu entre l'Orient et l'Occident: il n'abolit pas les mythes de l'un, mais il accepte la décomposition de l'autre; il renonce à être sacerdotal, mais il se conserve aristocratique ; il repousse les fables vulgaires qui dégradaient la vérité, mais il n'ose pas la présenter nue et dans sa simplicité; il est aussi éloigné de la foi aveugle du vulgaire que de l'indépendance démocratique des philosophes ioniens; il fait enfin sortir la science de la nuit des mystères, mais l'enveloppe de symboles. La nature et le langage étaient pour lui le symbole d'un idéal invisible qui se révélait à l'âme par le moyen de l'ordre physique. Ses sectateurs faisaient de même un grand usage de symboles. Leur signe de reconnaissance était le triple triangle qui en forme cinq autres et le pentagone; pour des raisons mystiques, ils s'abstenaient de manger des fèves (2), et disaient : Ne t'assieds pas sur le boisseau, pour indiquer qu'il ne faut pas que les préoccupations de la vie animale troublent le domaine de l'esprit (3). Ne porte pas au doigt les images des dieux, c'est-à-dire, ne popularise pas la science divine; ou bien, que la haute philosophie t'aide à briser les liens corporels ; que tes idées sur les dieux ne s'arrêtent pas à la matière, mais s'élèvent à la pure intelligence. Il semblerait donc que Pythagore se proposât de divulguer les sublimes pensées qu'il avait conçues de la Divinité et de ses rapports avec l'homme, sans toutefois renverser immédiatement les croyances et les habitudes anciennes.

Tandis que les Ioniens, partant des faits, les généralisaient pour

(1) On la retrouve dans Timée de Locres, dans le Timée de Platon et dans Plutarque. Gerdil attribue à Pythagore les monades, et Dutens la théorie newtonienne des couleurs.

(2) Les anciens donnaient leurs votes avec des fèves. S'abstenir des fèves signifie peut-être ne pas se méler des intrigues politiques.

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SUIDAS, ad. v. Πυθαγόρας, etc.

584.

Morale.

remonter aux principes, Pythagore partait de l'idée universelle, et procédait par déduction. Selon lui, le commencement réel et matériel de toutes choses est l'unité absolue (monade), d'où dérivent la délimitation de l'imparfait, la dualité et l'indéfini. Le développement de la création tend précisément à affranchir les esprits des liens de la dualité, c'est-à-dire de la matière, et l'on y arrive en laissant la fausse science de ce qui varie, pour acquérir la science vraie de l'être immuable, et en apprenant à ramener la multiplicité à l'unité. On voit ici une indication de cette doctrine des nombres, qui pour lui étaient les symboles des choses. Le monde est un tout harmonieusement disposé, consistant en dix grands corps, lesquels se meuvent autour d'un centre, qui est le soleil: les hommes ont, par l'entremise des étoiles, quelque alliance avec la Divinité; entre celle-ci et nous sont les démons, qui exercent une très-grande influence sur les songes et les divinations.

L'âme émane du feu central, être qui se meut par lui-même, et donne le mouvement à toutes choses. Son immortalité fut aussi enseignée par Pythagore; mais on n'est pas certain s'il y mêla l'idée de la métempsycose, ou si elle fut introduite plus tard dans son système par quelques-uns de ses disciples.

Il paraît en outre avoir distingué le sentiment ou le cœur (Ovpós) de l'intelligence ou de la raison (vous), en faisant du premier la source des désirs et des passions, de l'autre la modératrice des pensées et des actions, et une émanation de l'âme du monde. Pythagore commit deux erreurs : la première, ce fut d'appliquer un caractère numérique à l'intelligence; l'autre, de reconnaître dans le nombre une existence réelle et extérieure.

Le principe fondamental de la morale pythagoricienne était la rémunération égale et réciproque, l'équité (1), qui est une harmonie entre les actions de l'homme et l'univers; l'homme est vertueux quand ses passions sont subordonnées à l'intelligence et d'accord avec elle. Si les idées générales de cette morale sont peu développées, les germes en sont excellents, puisqu'elle donne pour règle à toute action humaine: Dire la vérité et faire le bien (2). Les applications pratiques de ce précepte ne sont pas moins belles. Les vertus sont des moyens d'arriver à l'amour, vérité profonde, qui distingue les deux parties de la morale, l'une de justice, l'autre de charité.

(1) Définition pythagoricienne de la justice : 'Apisμòç loáxis loos.
(2) ’Aλŋ0ɛúɛiv xaì evεpyeteïv. Élien, Histoires diverses, XII, 59.
ὅμοιον ἔχομεν ; Εὐεργεσίαν, εἶπε, καὶ ἀλήθειαν. LONGIN, du Sublime, I.

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Τὶ θεοῖς

Pythagore a été le premier, parmi les anciens, qui ait compris la puissance de l'esprit d'association avec une constitution forte et régulière, Son école n'admettait à l'enseignement le plus sublime qu'à la suite de longues épreuves et de grandes austérités en fait de nourriture, d'habillement, de sommeil, de silence, afin de dompter les sens et de donner de l'énergie à l'âme, par l'habitude de supporter les privations et de se livrer à la méditation. Ses prosélytes mettaient leurs biens en commun, s'habillaient de blanc et habitaient ensemble, avec la liberté de se retirer s'ils se lassaient de ce genre de vie, Ils exerçaient beaucoup leur mémoire, faisaient rarement un serment, tenaient fidèlement leur parole, s'abstenaient durant l'été des plaisirs de l'amour, à l'égard desquels ils observaient en tout temps la plus grande réserve (1), et devaient se présenter aux sacrifices avec des vêtements peu coûteux, mais d'une parfaite blancheur, et avec un esprit chaste et pur. Ils s'occupaient le matin de musique et de chant; puis ils passaient successivement des entretiens philosophiques aux exercices gymnastiques et aux devoirs de citoyen, Ils s'abandonnaient le soir à une gaieté calme, en chantant les Vers dorés, attribués à leur maître. Ayant de s'endormir, ils s'examinaient sur leurs actes durant la journée. La plus étroite amitié régnait parmi les membres de l'association. Si l'un d'eux perdait ses richesses, les autres partageaient avec lui. Clinias de Tarente, ayant appris que Porrès de Cyrène était réduit à la misère, alla d'Italie en Afrique, avec une forte somme d'argent, pour le secourir, bien qu'il ne l'eût jamais vu, Plusieurs en firent autant. Tout le monde connaît l'aventure de Pythias et Damon, qui voulurent mourir l'un pour l'autre, sous la tyrannie soupçonneuse de Denys de Syracuse.

Des femmes faisaient aussi partie de l'association, et Théano, la fille du philosophe, nous apprend quelle morale élevée leur était enseignée; comme on lui demandait après combien de temps une femme qui avait eu des rapports avec un homme pouvait s'approcher des autels, elle répondit: Tout de suite, si c'est son mari; jamais, si c'est un étranger.

On voit que Pythagore substituait aux colléges de prêtres des réunions de philosophes, entre lesquelles il maintenait les doctrines traditionnelles et positives, reproduisant d'un côté Orphée, et préludant de l'autre à Platon, par la conception de la vie universelle, ainsi que par la théorie des idées. L'école italique proclama donc que nul savoir n'est possible qu'à la condition de

(1) Voy. DIOGÈNE LAERCE, VIII, 17.

l'existence d'êtres intelligibles, tout à la fois simples et immuables; or, comme de pareilles conditions ne se réalisent ni par rapport au monde matériel, ni relativement à l'esprit humain, il est nécessaire de recourir à l'idée, qui seule rend possible la connais

sance.

Cette doctrine sublime distingue radicalement la philosophie italique de celle des Ioniens. La première prit pour base la tradition du genre humain, la seconde l'investigation individuelle; la première vit la nécessité de déduire les choses d'un principe unique pour constituer l'unité de la science, et, subordonnant les sens à l'esprit, sépara les sensations correspondantes à l'ordre variable des idées qui appartiennent à l'ordre invariable; la seconde, au contraire, ne s'en rapporte qu'à l'expérience. L'une procède par analyse, et, partant du tout, arrive aux parties par la décomposition, pour remonter au tout, objet de ses méditations; l'autre procède par synthèse, et, s'efforçant d'aller des parties au tout par la composition, s'égare dans sa route sans issue, et revient toujours aux parties qui seules absorbent son intention. Tandis que les Ioniens admettaient un principe matériel et oubliaient le but moral, les pythagoriciens, fidèles à la méthode dorique, maintenaient le principe incorporel, s'occupaient de la moralité, et recherchaient les lois et l'harmonie des principes du monde d'après une détermi-, nation morale du mal et du bien plus dogmatiques que dialecticiens dans les formes, leur style était clair et d'une simplicité empreinte de grandeur.

Les Italiens partaient donc de Dieu, les Ioniens de la nature : ceux-ci ne faisaient que de vains efforts pour se dégager de la matière, ceux-là s'élançaient dans les pures régions de l'esprit. Dans l'école de Thalès, essentiellement scrutatrice et sagace, le libre exercice de la raison dans toute son activité était fort louable. L'école pythagoricienne, au contraire, jalouse de conserver les doctrines enseignées d'en haut à l'homme, procédait moins hardiment dans l'examen, et souvent ses disciples se contentaient pour toute raison de la parole du maître ( autòs epa, ipse dixit ); mais elle aussi dut marcher, et la doctrine de Pythagore fut poussée jusqu'au panthéisme, tandis que celle d'Anaximandre et d'Anaximène aboutissait à l'athéisme.

La Grèce produisit de grands philosophes pythagoriciens, de même que l'Italie (1), qui peut se vanter d'avoir donné nais

(1) Archytas de Tarente, Philolaüs et Aristée de Crotone, Hippon de Rhégium, Hipparque de Métaponte, Ecphante de Syracuse, le comédien Épicharme de Cos, Timée de Locres, Ocellus de Lucanie, bien que les traités Sur l'âme du

sance à l'école philosophique la plus illustre, d'autant mieux qu'Aristote et Platon dérivent plus réellement de Pythagore et de Socrate. Empedocle d'Agrigente, de la considération sensible et rationnelle de l'être, est conduit à une contemplation mystique des choses; mais nous ne pouvons recueillir que des fragments de sa doctrine poétiquement exposée. L'enthousiasme en forme le principal élément ; à la façon d'Homère, il personnifie et déifie tout, et, sans répudier entièrement la raison, il professe un mysticisme fondé sur l'hypothèse d'une dégradation causée par un péché primitif. Le monde fut ensuite réglé par deux principes, l'amitié et la discorde (pía, vɛixos ). Sa vie tient beaucoup du merveilleux : il réveille une femme d'une longue léthargie, et l'on dit qu'il ressuscite les morts; il fait clore une vallée entre deux montagnes, et arrête aussi les vents étésiens qui rendaient Agrigente malsaine; il assainit les marais dont les exhalaisons nuisaient à Sélinonte, en y faisant passer deux courants d'eau. Il fut donc réputé dieu, et lui-même, favorisant cette opinion, disait : « Amis, qui habitez les hau«teurs d'Agrigente, zélés observateurs de la justice, salut. Je « ne suis pas homme, mais dieu. Lorsque j'entre dans les cités « florissantes, hommes et femmes se prosternent devant moi la << multitude suit mes pas; les uns me demandent des oracles, les << autres un remède pour de cruelles maladies (1). » L'étude de l'histoire naturelle lui coûta la vie; car, voulant explorer le cratère de l'Etna, il y périt.

Alcméon de Crotone, contemporain de Pythagore, fut le premier qui tenta de remonter aux idées générales, en dressant une liste de catégories dans laquelle les principes de l'intelligence humaine sont posés en antithèses (2). Cylon de Crotone, célèbre par ses richesses, ayant demandé d'entrer dans cette association, ne fut pas admis, parce qu'il était violent et querelleur. Irrité de ce refus, il suscita contre elle une vive persécution politique, qui coûta la vie à Pythagore et dispersa ses disciples, de sorte que l'œu

monde, attribués à ces deux derniers, ne paraissent pas authentiques; Empedocle d'Agrigente, à qui son zèle excessif pour l'étude de l'histoire naturelle coûta la vie dans le cratère de l'Etna: il composa un poëme sur la nature.

(1) DIOGÈNE LAERCE, VIII, 62.

(2) Fini et infini.

Impair et pair.

Unité et pluralité.
Bonheur et malheur.
Mâle et femelle.

Repos et mouvement.
Droite et courbe.

Lumière et ténèbres.

Bien et mal.

Carré et figures à côtés inégaux.

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