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Éloquence.

Rhelcurs.

Par sa dignité, par son indépendance, l'éloquence grecque va de pair avec l'histoire; clle parvint à une grande hauteur au milieu des agitations du gouvernement populaire, dans un pays où quiconque unissait à la connaissance des affaires publiques des organes dociles, une imagination prompte et une parole facile, acquérait la réputation de bon orateur. Mais, pour atteindre à l'éloquence véritable, il faut de plus l'instruction et le génie; car il ne suffit pas d'imposer à la foule par la véhémence du discours, il faut savoir encore éveiller les passions nobles et flatter la délicatesse du goût.

Plus désireux des succès de la tribune que de tous les autres, Périclès fut le premier qui acquit cette gloire. Versé dans toutes les connaissances que l'on possédait alors, dévoué aux intérêts politiques, susceptible des émotions les plus fortes comme des plus douces, il avait l'art, en exaltant la gloire des Athéniens, et en leur parlant peu de la sienne propre, de les entraîner où il voulait. Néanmoins ce n'était pas chez lui l'effet d'un élan spontané; car il ne parlait jamais sans avoir médité son discours, et encore se bornait-il à un petit nombre de sujets d'une importance majeure, en ordonnant sa matière d'après les principes de la dialectique, introduits par Zénon d'Élée.

Mais bientôt l'éloquence fut réduite en art par des maîtres qui enseignèrent qu'elle pouvait se passer de la vérité, élément indispensable pourtant de toute production intellectuelle. Corax de Syracuse introduisit le premier la rhétorique dans Athènes, où elle fut ensuite professée par Gorgias de Léontium. Flattant l'oreille, suppléant par des périodes harmonieuses, par des antithèses aussi brillantes que frivoles et par la hardiesse des images à la stérilité des sentiments, il obtint beaucoup de réputation et de profit (1).

non interrompu, en indiquant en marge l'auteur. On a ainsi, en 4 vol. in-8°, un cours complet d'histoire grecque étudiée aux sources mêmes. Le 1er vol. comprend les empires et les États de l'Asie, le II° ceux de la Grèce, les IIIe et IVe l'Italie. L'estimable compilateur a fait un travail semblable sur les Latins dans l'Antiqua historia ex ipsis veterum scriptorum latinorum narrationibus contexta; Leipsick, 1811, 2 vol. in-8°.

(1) Son art consiste toujours dans les antithèses de pensées et de mots, dont il forme des périodes à deux membres; dans le second, les mots correspondent à ceux du premier par la quantité, la mesure, la situation, le son. Le scoliaste d'Hermogène nous a conservé un fragment de l'oraison funèbre qu'il prononça pour les Athéniens morts en défendant la patrie : Τί γὰρ ἀπῆν τοῖς ἄνδρασι τούτοις ὧν δεῖ ἄνδρασι προσεῖναι; τί δὲ καὶ προσῆν ὧν οὐ δεῖ προσεῖναι ; Quelle chose manquait à ces héros, de celles dont il convient que les héros soient ornés, et

A partir de cette époque, l'éloquence devint dans Athènes un pouvoir nouveau, qui entrava la politique et enchaîna le bras des guerriers.

Antiphon de Rhamnonte, le premier qui ait laissé des monuments d'éloquence, composait des harangues au nom des accusés, que la loi obligeait de se défendre eux-mêmes, et fut général dans la guerre du Péloponèse; il eut beaucoup de part dans les affaires du gouvernement, mais il recueillit l'ignominie et la mort. Andocide, son contemporain, s'immisça aussi avec Alcibiade dans les affaires publiques; inculpé d'avoir coopéré à la mutilation des Hermès, il échappa au châtiment par l'infamie de dénoncer ses complices. Isée resta, au contraire, étranger aux débats politiques, se bornant à enseigner et à défendre des causes privées (1).

Lycurgue conseilla aux Athéniens de faire la guerre à Alexandre, qui sut lui pardonner; la violence de ses discours était telle que l'on disait qu'il les écrivait avec du sang et non avec de l'encre (2). Voici, en effet, ce qu'il disait en plaidant contre Léocrate : « Il << serait à désirer que ce qui n'a lieu pour aucun autre jugement << fût au moins ordonné par les lois dans les cas de félonie; je << veux dire que les juges fissent asseoir à leurs côtés leurs femmes « et leurs jeunes enfants. Ce serait là, à mon avis, un saint usage; «< car il en résulterait qu'ayant sous les yeux tous ceux que « menaçait le danger, et se souvenant combien leur sort éveille « dans toutes les âmes de compassion et de douleur, ils s'arme<< raient contre le coupable d'une sévérité inflexible et au niveau « du crime. » C'est ainsi qu'il faisait appel à l'humanité, pour la rendre l'instrument de la plus détestable barbarie.

Certains rhéteurs se présentèrent comme prêts à traiter sans préparation le premier sujet venu; d'autres enseignaient à soutetenir le pour et le contre. Antiphon de Rhamnonte avait écrit sur sa porte: Ici l'on console les malheureux, car on donne de l'esprit à ceux qui n'en ont pas. Tandis que les premiers orateurs parlaient

quelle chose avaient-ils de celles qu'il ne convient pas d'avoir ? Einɛiv duvaíunv ä Boúλoμaι, Bovλoíμnv dè å deï; Puissé-je dire ce que je veux, et vouloir ce qui convient, etc.

(1) WESTERMANN, Geschichte der Beredsamkeit, V, 1. VANSPAAN, De Antiphonte oratore attico. 1765.

DRYANDER, De Antiphontis vita et scriptis. 1838.

(2) Et Cicéron: Usque ad sanguinem imitari solet odium aut levium Græcorum aut immanium Barborum. Et il l'appelle accusator vehemens et molestus. Nous n'avons de lui que son admirable discours contre Léocrate et quelques fragments.

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Démosthène

tranquillement et presque sans faire un mouvement (1), ceux-ci déclamaient, gesticulaient, pleuraient, riaient, se démenaient; et le peuple d'applaudir.

Tous ne manquaient pas pourtant d'esprit et de cœur. Lysias, qui dans le cours d'une vie très-agitée composa deux cent trente harangues, se montre exempt des antithèses et des pointes, jeu perpétuel de ses confrères; il est même souvent réfléchi et concis (2). Il mérita d'être persécuté par les trente tyrans, et s'en vengea en aidant de son or et de son bras ceux qui les chassèrent. Isocrate donna aux règles de l'éloquence leur dernière perfection ; il sut employer avec noblesse une langue des plus harmonieuses, combina les périodes, rechercha le rhythme et la cadence; mais, tendant plus à se faire admirer qu'à réussir, il perdait de la force et du mouvement. Plus travaillé qu'inspiré, s'amusant à chercher des rapports entre les mots, il n'apercevait pas les rapports qui existaient entre les choses, et ses antithèses continuelles ne laissent jamais trouver en lui ce naturel où l'esprit se complaît. Il passa dix années à faire son fameux Panégyrique d'Athènes. Oui, il est des hommes d'une nature si perverse, dit-il dans l'exorde de l'Éloge d'Évagoras, qu'ils écoutent avec moins de déplaisir les louanges de gens qu'ils connaissent à peine de nom, que de ceux qui les ont comblés de bienfaits. La vraie cause d'une injustice aussi criante, c'est l'envie, qui ne produisit jamais d'autre bien que de faire du mal à l'envieux. La nature humaine n'a donc pas changé. Néanmoins, quand parfois le généreux Isocrate abandonne l'école, il sait avoir de l'énergie et de la chaleur; il se faisait aimer par son caractère constamment doux et vertueux. Nous rappellerons à sa gloire qu'il fut le maître de Démosthène; qu'il osa seul prendre la défense de l'accusé Théramène; que, lors du meurtre juridique de Socrate, il se montra vêtu de deuil; qu'il s'employa vivement pour tourner contre la Perse toute l'ardeur guerrière de Philippe, et qu'ayant appris sa victoire à Chéronée, il ne voulut pas survivre à la liberté de la Grèce.

Lorsque je lis quelque discours d'Isocrate, dit Denys d'Haliet Eschine. «< carnasse, mon esprit se calme et s'affermit comme à des chants

(1) « Athéniens, quelle n'était pas la décence des anciens orateurs, de Périclès, de Thémistocle, d'Aristide! On nous parle, de nos jours, la main étendue : cet usage, ils auraient craint de le suivre : ils y auraient trouvé de l'audace (Opaσú Tt). » ESCHINE contre Timarque.

(2) Il finit ainsi son discours contre Eratosthène : 'Ακηκόατε, ἑωράκατε, πεπόνθατε, ἔχετε δικάζετε.

<< spondaïques et à des mélodies doriennes ; mais, quand je tiens en « main quelque harangue de Démosthène, un enthousiasme nou<< veau transporte mon esprit çà et là, et me fait passer d'une «< impression à une autre, de la défiance à l'espoir, de la crainte « au dédain, de la haine à l'amour, de la pitié à l'envie ; je reçois << toutes les émotions qui peuvent maîtriser le cœur de l'homme (1). » Telle est, en effet, la puissance de ce grand orateur. Élevé dans de misérables écoles, ayant une prononciation vicieuse, bafoué les premières fois, il apprit d'un comédien la différence qui existe entre une chose bien dite et la même chose mal dite; il s'opiniâtra donc à vaincre ses propres défauts, et, grâce à la constance qui est le caractère du génie, il triompha de tous les obstacles. Renfermé dans la solitude, étudiant sans cesse Thucydide, il acquit la vigueur du style et des pensées, et finit par élever l'éloquence au niveau de la dialectique, de la politique, de la morale. Il trouva le goût corrompu, la tribune occupée par Charès, impétueux démagogue qui couvrait son incapacité de promesses magnifiques ou d'insolentes assertions, et gouvernait la plèbe. Il voit venir de la Macédoine le nuage qui menace la Grèce; or, quand tout plie devant la tempête, il résiste seul, rêve encore les plus beaux temps de son pays, et, plein de confiance, il se flatte de les faire revivre. Ce n'est plus un rhéteur qui cherche des applaudissements; c'est un citoyen pouvant se tromper sur les moyens qu'il propose, mais qu'anime une conviction profonde, et dès lors une éloquence véritable, inspirée.

Sa manière n'a rien de ce que ses contemporains ou Cicéron appelait éloquence, c'est-à-dire le pathétique, la fine et légère ironie, les gradations délicates, la tempérance d'expressions, la magnificence; mais il possède un style naturel, et cependant choisi, harmonieux. Chose importante, il se montre homme d'affaires, et déploie ce caractère fort qui exclut la servilité du talent. Il fait penser aux choses qu'il dit plutôt qu'à la manière dont il les dit; il va droit à son but par des efforts continuels, extraordinaires, et dédaigne les détours, les artifices. On dirait qu'il improvisa ses harangues, si nous ne savions pas au contraire qu'il les élaborait longuement, et (chose étrange pour nous, mais très-usitée autrefois) qu'il préparait des exordes dans ses moments de loisir., C'est ainsi qu'il produisait cette impression indéfinissable que

(1) De la puissance de la parole de Démosthène, Пepì tñç λextixñs Anpoσθένους δεινότητος.

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nous appelons le sublime, et qu'il se montra digne de faire l'oraison funèbre de la liberté grecque expirante.

Il n'eut qu'un émule digne de lui, Eschine d'Athènes. Nous avons de lui le discours dans lequel, ayant Démosthène pour adversaire, il accuse Timarque d'immoralité et de corruption. Il s'y montre grand orateur et grand dialecticien, non moins que dans la harangue Pour la Couronne contre Démosthène lui-même; non-seulement elle rivalise avec celle du grand orateur, mais il en est même qui la trouvent préférable (1). Certes, Eschine dut posséder des qualités très-éminentes, pour qu'il ait pu et puisse encore disputer la palme au plus grand orateur de l'antiquité; mais on lui demanderait en vain l'imperturbable véhémence, la richesse des formes et la finesse des considérations de Démosthène : il ne sait pas, comme lui, porter la discussion, par des voies obliques, sur le terrain où on l'attend le moins, briller par les contrastes, s'élever sublime pour retomber d'une plus grande hauteur sur son adversaire. Tous deux virent le parti que l'on pouvait tirer du comique à la manière dont l'entendaient leurs concitoyens; aussi se plaisent-ils à descendre dans la vie privée, à dessiner des caractères, à peindre les mœurs, les passions, à s'abandonner à l'invective; mais chacun d'eux avait reconnu le côté faible de son talent. Démosthène évite les portraits, parce qu'il exagère avec trop de facilité; tandis qu'il se laisse aller volontiers aux récits, aux apostrophes envers son adversaire, et cherche l'occasion de s'épancher en sarcasmes spirituels. Eschine, convaincu que l'arme puissante de la plaisanterie lui manque, ne vise pas à l'esprit, mais plutôt aux raisonnements et aux conclusions qu'il veut en déduire.

Démosthène tirait un grand avantage de sa situation : il pou

(1) Démosthène, ayant été chargé de réparer les murs d'Athènes, avait contribué de ses deniers à cet ouvrage pour une somme de trois talents (16,500 fr.). Il fit en outre un présent de cent mines (9,000 fr.) aux commissaires choisis par les tribus pour présider aux sacrifices. Tant de générosité excita la reconnaissance des bons citoyens, et détermina Ctésiphon à rédiger un décret adopté par le sénat et le peuple, aux termes duquel Démosthène devait recevoir solennellement, dans les fêtes de Bacchus, une couronne d'or ; en même temps, le héraut devait proclamer que les Athéniens lui décernaient cet honneur pour avoir bien mérité de la patrie. Eschine, ennemi politique de Démosthène, et son rival en éloquence, jaloux de la gloire que ce décret lui assurait, attaqua devant les Athéniens le décret lui-même, comme contraire aux lois, et cita Ctésiphon en jugement. Démosthène se chargea de défendre sa propre réputation en soutenant le décret de Ctésiphon. Eschine, n'ayant pas obtenu en faveur de son accusation le cinquième des votes, nécessaire pour échapper au châtiment d'une dénonciation téméraire, fut condamné à l'amende et banni.

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