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titieux (1) ou vains, sans pénétrer jamais dans la nature des événements, sans en voir la relation avec le passé ou l'avenir. Il semble pourtant qu'il considère l'histoire sous un grand aspect religieux; car il tend sans cesse à justifier la Providence, à mettre en évidence le châtiment du pervers et l'intervention de la Divinité, à laquelle il attribuait le salut de la patrie. A Marathon, il fait combattre un dieu sous la figure d'un géant; d'autres dieux repoussent les Perses du sanctuaire de Delphes, et d'autres encore préludent par des chants mélodieux aux triomphes de Salamine : il rendait ainsi plus chère aux Grecs une patrie pour laquelle combattait l'Olympe.

Les applaudissements qu'obtint Hérodote à Olympie, dans une des lectures de son histoire, firent verser des larmes à un jeune homme de dix-neuf ans, qui fut Thucydide (2).

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Il assure que les Grecs, jusqu'à son père, n'avaient rien su de Thucydide. leurs antiquités ; il se mit, donc à écrire une histoire, dans l'introduction de laquelle il récapitule les événements passés. Cette histoire est celle de la guerre du Péloponèse; mais le thème qu'il a choisi, bien moins intéressant que celui d'Hérodote, fait flotter sans cesse l'esprit entre les injustes prétentions d'Athènes et les atrocités des Spartiates, entre les abus de la démocratie et les vengeances aristocratiques. Cependant les guerres intestines, la politique et la valeur luttant à armes égales, l'enthousiasme raisonné, une éducation faite au milieu du double tumulte de la place publique et des camps, avaient hâté l'àge viril de la Grèce; elle demandait donc à Thucydide non de monter sur le théâtre pour charmer un instant l'oreille, mais de construire un monument pour les siècles à venir, xτñμa ¿s deí (3). Aussi les lieux s'effacent-ils chez lui pour laisser apparaître l'homme, l'homme dans le plus grand éclat des lettres et des arts, mais tout ensemble en proie à une épouvantable corruption.

Thucydide paya de sa personne dans la guerre du Péloponèse; il fut exilé et se mit à écrire dans son exil, mais non pas, comme Dante, pour maudire sa patrie ingrate; aucun mot ne révèle qu'elle lui soit moins chère, et il fait des voeux pour elle, quoiqu'il

Toutes les questions relatives à Hérodote ont été débattues par Dahlmann, 1823. Voir aussi DAUNOU, Cours d'études historiques.

(1) « Les Lacédémoniens l'emportent en force sur les Péloponésiens, parce qu'ils possèdent les ossements d'Oreste. » Liv. I, ou Clio, 68.

(2) Thucydide avait quarante ans à l'époque où commença la guerre du Péloponèse, ce qui reporte sa naissance à l'année 471 avant notre ère, deux ans avant la naissance de Socrate. Il mourut vers l'année 395.

(3) Liv. I, ch. 22.

sente qu'elle mérite ses maux. S'il ne peut parler du haut de la tribune, il confie à l'histoire ses regrets et ses sentiments, et défend contre la calomnie ceux de ses contemporains qu'elle outrage. Il dit : « Les détails de cette guerre, je ne me suis pas permis de « les écrire tels que je les ai entendus sortir de la bouche du pre«mier venu qui s'est offert à moi, ni selon mon caprice; mais « j'ai écrit ceux que j'ai vus moi-même. Quant aux faits qu'on m'a «< appris, je les ai soumis, avant de les raconter, à des investiga«tions exactes et persévérantes. Il était malaisé de les retracer, << car les témoins des événements divers ne disaient pas la même «chose de la même manière, mais la rapportaient selon leur af«<fection pour l'un des deux partis, ou selon la fidélité de leur mé« moire. Peut-être mes écrits, comme ils ne contiennent rien qui « sente la fable, sembleront moins agréables à lire; mais aux « yeux de tout homme qui voudra y découvrir la simple vérité des « choses passées, et de celles qui, humainement parlant, doivent << arriver en son temps à peu près de la même manière, ils auront << assez de prix pour être jugés utiles. Je les ai composés pour en << faire le patrimoine de l'éternité, plutôt qu'une dispute scénique « qui ne laisse qu'une sensation fugitive. » Voilà l'histoire devenue humaine. Son récit procède donc avec gravité; il choisit parmi les différents dialectes le plus serré, pour donner plus de concision à la pensée; il repousse les frivoles ornements de la parole, et sépare tout à fait l'histoire de la poésie, la force humaine de la fatalité, en faisant dériver les événements des délibérations prises en plein jour, au camp ou sur la place publique. Bien qu'il déclare ne pas vouloir suivre les auteurs qui, plus avides d'obtenir les applaudissements que de mériter la confiance, mêlèrent aux faits des fictions invraisemblables, il ne regarda point comme telles les nombreuses harangues dont il crut à propos d'orner son livre, et qui vont si bien aux peuples gouvernés en république. Hérodote avait songé surtout à plaire, Thucydide s'occupe d'instruire; le premier resta au niveau de son temps, l'autre domina le sien; au lieu de s'adresser à la foule, il s'entretient avec un petit nombre d'élus ; exprimant, au dire de Cicéron (1), autant d'idées que de mots, il se rend l'organe d'une philosophie vigoureuse, qui dédaigne les subtilités, les artifices de l'école. Dans ses harangues même, il ne visa pas tant à l'agrément et à la variété qu'à l'instruction et à la peinture des caractères. J'aime mieux, lui fait dire Lucien, déplaire en proclamant la vérité qu'être le bienvenu en racontant des fables. Si j'en suis moins agréable au lecteur, je lui serai plus (1) De Oratore, II, 13.

utile. Je ne veux pas lui nuire, pour complaire à son mauvais goût.

Hérodote est agréable et naturel; Thucydide, grand et réfléchi. Il ne recherche pas la popularité, mais il veut faire penser, et pour cela il lui suffit de quelques mots brefs et saillants, qui vont quelquefois même jusqu'à la rudesse et à l'obscurité (1). Il dédaigne la forme au point de diviser l'action par semestres, d'interrompre le récit, et de faire passer le lecteur d'un pays à un autre. Hérodote ne voit le bien que dans les gouvernements populaires, opposés au despotisme de l'Asie; l'autre, allié aux fils de Pisistrate, est peu favorable à la démocratie, dont il exagère parfois les fautes, et vante Sparte dont la constitution oligarchique lui paraît une aristocratie. L'Ionien considère l'histoire comme une révélation de la puissance et des secrets du destin; Thucydide, comme un mode par lequel se manifeste la nature humaine. Hérodote loue les dieux de ce qu'ils exaltent la vertu et accablent le vice; Thucydide représente des hommes sans foi et sans pitié, comme un autre dépeint les ravages d'un torrent sans le condamner (2). Diodore, qui le soumit à un examen d'une minutie pédantesque, l'accuse d'être tantôt affecté, tantôt raide, tantôt froid et obscur, même parfois puéril. Son ouvrage ne fut pas moins considéré comme le modèle de l'atticisme, et personne n'osa plus se servir pour l'histoire d'un autre dialecte que le sien.

L'histoire de Xénophon commence à la vingt-neuvième année

(1) Les anciens lui reprochaient d'être obscur. Dans le chapitre II, on trouve une phrase, fameuse par les controverses qu'elle a suscitées. Après avoir dit que l'Attique fut préservée des agressions et des séditions grâce à sa stérilité, Thucydide ajoute : Καὶ παράδειγμα τοῦδε τοῦ λόγου οὐκ ἐλάχιστόν ἐστι, διὰ τὰς μετοικίας ἐς τὰ ἄλλα μὴ ὁμοίως αυξηθῆναι. Littéralement : Et argumentum hujus dicti non leve est, per migrationes in altera non similiter increvisse. On a donné à cette phrase au moins huit interprétations différentes.

(2) « Plus tard, la Grèce presque tout entière fut ébranlée par les émeutes: la division était partout; les chefs du parti populaire appelaient les Athéniens, et la faction oligarchique les Lacédémoniens... De nombreuses calamités fondirent sur les villes en proie aux séditions... et la Grèce vit se reproduire tous les genres d'iniquités; la simplicité confiante, partage ordinaire des âmes élevées, devint un objet de risée et disparut. Partout prévalurent les dissensions mutuelles et les habitudes de suspicion. Il n'y avait pour faire cesser ces défiances ni parole assez sûre, ni serments assez redoutables. Chacun, dominé par la pensée qu'on ne pouvait compter sur rien de stable, ne songeait qu'à se garantir contre la violence, sans pouvoir se fier à personne. L'avantage était ordinairement aux intelligences les plus vulgaires; car le sentiment de leur propre insuffisance et de l'habileté de leurs adversaires leur faisant craindre de n'avoir pas l'avantage de la parole, et d'être devancés par les intrigues de rivaux plus adroits et plus féconds en ressources, ils allaient audacieusement au fait. Les autres, au contraire,

Xénophon.

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de la guerre du Péloponèse, et se poursuit durant près d'un demisiècle, dans ses Helléniques, jusqu'à la bataille de Mantinée. La poésie d'Hérodote, comme les vives et fines observations qui révèlent chez Thucydide l'habitude de généraliser les faits, manquent à Xénophon. Autant que le premier et plus que le second, il peint les mœurs grecques; comme témoignage de la puissance des convictions religieuses, il a recours à l'intervention sérieuse des dieux pour dénouer les événements, et tient compte des songes, des oracles, des pronostics, des présages. Il glisse sur des révolutions importantes dans les mœurs et dans les constitutions, pour s'arrêter sur des détails stratégiques de bien peu de valeur pour la postérité. Homme de passion, il admire aveuglément Socrate, Cyrus, les Spartiates, Agésilas, tandis que l'amour pour sa patrie adoptive le rend moins juste envers Épaminondas.

La Cyropédie, roman historique, toujours moral s'il n'est pas toujours fidèle, nous donne sur la Perse des renseignements à consulter; mais il révèle aussi cette manie de philosopher, qui s'introduisit en Grèce quand Alcibiade et Épaminondas se formaient à l'école des sophistes, et que Denys les accueillait à sa cour. Il s'appuie sur les doctrines de Socrate et même sur ses paroles, et veut démontrer comment on peut obtenir et conserver le pouvoir absolu; puis il fait à Cyrus un grand mérite d'avoir constitué l'empire tel qu'il était, comme s'il n'avait pas sous les yeux la ruine imminente à laquelle cette constitution l'entraîna.

Sa Retraite des Dix mille ou l'Anabase, dont le seul mérite est la clarté et le sentiment moral, met en évidence le génie flexible des Grecs, qui essayent, changent, ne cèdent pas aux premiers obstacles, tandis que les Perses, immuables dans leurs desseins, les poursuivent et succombent (1).

Dans ses Entretiens mémorables, Socrate est rapetissé, il cherche le beau sur la terre sans remonter au type supérieur et aux régions de l'infini. On remarque dans cet ouvrage, ainsi que dans son Traité sur l'économie, le penchant de ce siècle à réduire toute chose à des règles arides, et à transformer l'instinct d'une nature élevée en idées sensibles d'un avantage pratique.

dédaignaient des adversaires dont ils se croyaient toujours assurés de pressentir les desseins, et ne croyaient pas nécessaire de recourir aux actes pour atteindre un résultat qu'ils pouvaient obtenir par la supériorité de l'intelligence; ils ne prenaient dès lors aucune précaution; aussi succombaient-ils le plus souvent. » THUCYDIDE, liv. III, §§ 82, 83.

Combien celui qui traça ces lignes désespérait de la bonté humaine!

(1) Rennel a jeté le plus de clarté possible sur la difficile géographie de Xénophon.

Mais, soit dans ses écrits, soit dans ses actions, la douce philosophie puisée dans la familiarité de Socrate ne fait jamais défaut à Xénophon. Il combat à Délium, à côté de Socrate, son ami; c'est pour accompagner un ami, Proxène, qu'il fait la campagne de Perse; il défend à Coronée les jours d'Agésilas, dont il est l'ami, et la fidélité qu'il lui garde lui vaut l'exil et les persécutions. Quel éloge fait-il des généraux assassinés par Tissapherne! Ils furent intrépides dans les combats et irréprochables envers leurs amis. Son expédition, l'Anabase, si on l'envisage comme guerrier, est la plus belle qu'un héros ait jamais exécutée; car, non-seulement, aucune iniquité ne l'entache, mais elle est racontée avec tant de modestie que plus d'un a douté si véritablement l'historien et le capitaine ne faisaient qu'un. Si les hommes étaient moins mauvais, je n'oserais pas le louer de nous avoir conservé l'ouvrage de Thucydide, dont l'unique exemplaire se trouvait dans ses mains. Il souffrit beaucoup, et ne douta pourtant ni du bien ni de la vertu; vieux et exilé, il écrivit un traité de finances qui finissait ainsi Puissé-je, avant de mourir, voir ma patrie florissante et tranquille!

Le même désintéressement l'accompagne dans ses ouvrages, où l'on ne trouve que préceptes de conduite, caractères vertueux, dignité de style, sobriété d'images, raison modeste. Il ne sort jamais de sa modération habituelle, pas même lorsqu'il parle de lui, pas même quand il parle de l'assassinat de Socrate.

Voilà les trois grands historiens grecs (1): les productions des autres écrivains qui se sont occupés d'histoire, et ils furent naturellement très-nombreux dans un pays où l'homme était le but de toutes les études, ont toutes péri; il n'en reste que des fragments(2). Philiste de Syracuse, que Cicéron compare à Thucydide, a laissé une triste célébrité pour avoir prostitué son caractère d'historien à flatter Denys le Jeune et les autres tyrans, qu'il ac_coutumait ainsi à ne point rougir de leurs méfaits et à ne pas craindre la tardive mais inévitable justice de l'histoire (3).

(1) Ils sont admirablement appréciés dans le Cours d'études historiques de DAUNOU, tomes ix, x et XI.

(2) Voy. Fragmenta historicorum græcorum, Didot, Paris, 1841-1851, 4 vol.

(3) Antiqua historia ex ipsis veterum scriptorum græcorum narrationibus contexta (Leipsick, 1811), par J. G. EICHORN, est un de ces bons ouvrages comme en produit la patience désintéressée des Allemands. Là, se trouvent rapprochés des fragments des divers historiens grecs, de manière à former un récit

HIST. UNIV.

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