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repoussés par ellės; mais les détails sont plus que libres, et la pudeur frémit en songeant que la représentation allait jusqu'à la dernière obscénité (1).

Les Acharniens sont dirigés contre ces petits-maîtres de race noble qui soupiraient après la guerre pour faire parade de leurs armes, de leurs boucliers, de leurs panaches, sans songer au préjudice qui en résultait pour les artisans. Dicéopole (nom qui indique la partie la plus honnête de la cité) s'écrie: « Que de choses << affligent mon cœur ! qu'il en est peu pour le réjouir !... Ils vont a se réunir ici pour délibérer; mais personne ne songe à recher« cher la paix. O cité! j'arrive toujours le premier à l'agora, et « je m'assieds; mais, comme je me trouve seul, je gémis, je doute, « j'écris, je pense, j'hésite, je me ronge par amour de la paix. Je < regarde la campagne, je hais la ville et je regrette mon village. « Là, du moins, personne ne me dit : Va acheter du charbon, du « vinaigre, de l'huile; loin de là, ce mot acheter y est inconnu. Me « voilà venu ici, tout prêt à crier, à faire vacarme, à insulter les << orateurs, s'il en est quelqu'un pour parler d'autre chose que de << la paix. >>

L'assemblée se réunit; Amphitée, qui propose de faire la paix avec les Spartiates, est chassé, malgré tout le courroux de Dicéopole. Arrivent ensuite les ambassadeurs, de retour de leur mission en Perse; ils racontent force balivernes et des merveilles sans nombre, le tout au grand dépit de Dicéopole, qui voit les deniers publics livrés au pillage. Il conclut alors à lui seul la paix avec les Lacédémoniens, d'où il résulte qué la tranquille enceinte de sa maison contraste avec le tumulte dont retentit le resté du pays. Les marchands accourent pour vendre, et lui ne songe qu'à prendre du bon temps, tandis que le général Lamachus, son voisin, tempête et se donne beaucoup de tourments pour le combat. D'un côté sont donc des préparatifs de guerre, de l'autre les apprêts d'un banquet; ici l'on est en quête de lances, là de broches; ici l'on orné un cimier de plumes, là on les arrache aux grives enfin, Lamachus rentre chez lui blessé et boiteux; Dicéopole revient en pointe de vin, soutenu par deux fringantés jeunes filles. Dans les Harangueuses, le poëte prend pour sujet de ses railleries les utopistes et les saint-simoniens d'alors; il met en scène des femmes qui, travesties en hommes, veulent faire adopter une

(1) Myrrhine prépare le lit pour elle et pour Cinésias; elle se déshabille et il se couche près d'elle en lui disant : Katáxɛico... Voy. Lysistrata, vs. 837-951, et le chant du chœur qui vient ensuite. Cette scène et ce chœur laissent trop à réfléchir sur la dépravation d'un peuple qui supportait un pareil spectacle.

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constitution nouvelle, fondée sur la communauté des biens et des femmes. La manière plaisante dont elles contrefont les assemblées démocratiques, la confusion qui naît du mélange des propriétés et des amours, fournissent des tableaux aussi piquants qu'instructifs.

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Dans les Nuées, il critique l'éducation molle et bavarde, la manie de tout apprendre et de discuter sur tout. Afin de personnifier le vice des novateurs, il prit pour type Socrate, à ses yeux le plus grand des sophistes (1), et coupable d'avoir voulu changer la morale et le culte faute capitale pour le poëte citoyen, qui les considérait comme la base essentielle des institutions et des coutumes. Aristophane le tourne en ridicule en lui prêtant d'étranges explications des mythes, en lui faisant adorer les nuages et les brouillards, tandis qu'il montre dans le grossier mais naturel Strepsiade combien les croyances populaires profitent aux mœurs et concourent au bien de la république. Ce Strepsiade s'étant ruiné pour subvenir au faste de son fils, imagine des expédients qui puissent le dispenser de payer ses créanciers, et envoie son fils à Socrate afin d'en apprendre de sa bouche; Socrate alors lui donne des leçons de mauvaise foi, d'extravagance, d'impiété, et le fils, devenu plus habile que le père, lui démontre par des arguments qu'il a raison d'être libertin (2).

La persécution dont Socrate fut l'objet laisse peser sur Aristophane la tache de l'avoir provoquée. Les Nuées, dans lesquelles le sage est livré à la risée publique, furent représentées vingt-trois ans avant sa condamnation; on ne saurait donc dire qu'Aristophane y ait contribué directement, et moins encore qu'il s'entendit avec les ennemis de Socrate. Qui pourrait nier cependant que cette comédie n'ait contribué à la perte du philosophe? Grande leçon pour ceux qui lançent au hasard les traits de la plaisanterie, sans pouvoir calculer leur portée ni la profondeur de la blessure qu'ils feront. Socrate, en venant substituer aux divinités reconnues une Providence révélée dans la nature par les causes finales, et dans l'homme par la voix intime de la conscience qui dispense d'avoir recours à l'intermédiaire de la religion, devait s'attirer l'inimitié

(1) Que ceux qui s'étonnent qu'Aristophane ait pris pour un sophiste Socrate, qui combattait les sophistes, veuillent bien se rappeler ces paroles de Rousseau : «Si cette mort facile n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste. >>

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(2) Aristophane lui-même l'appelle comédie excellente, owpotátn, et, pour son scoliaste, elle est la plus belle et la plus ingénieuse : Tò' Spãμa toûto tñs öλns ποιήσεως κάλλιστον εἶναι φασὶ καὶ τεχνικώτατον.

des prêtres (1). Puisque l'État reposait sur le paganisme, Socrate, en combattant ce dernier, démolissait l'autre, et se rendait coupable envers l'État. Convaincu de la sublime vocation des lettres, Aristophane, qui se considérait comme préposé à la garde et à la défense de la société, et qui poursuivait de l'arme terrible du ridicule quiconque lui paraissait s'opposer aux intérêts de la patrie et à l'ordre établi, dut élever la voix contre ceux qui chassaient du ciel les dieux, pour mettre à leur place des étoiles et des planètes. Dédaignant de s'attaquer à la foule, il s'en prit au plus grand de ces novateurs, à Socrate, et les Nuées durent le dénoncer au public comme un rêveur dangereux, un citoyen suspect, digne d'être mis en jugement, ainsi que jadis Anaxagore et Prodicus. A coup sûr, cette comédie ne l'accusa pas directement; mais l'impression qu'elle causa fut de longue durée, car Socrate crut devoir en parler dans son Apologie.

« On vous a donné à entendre qu'un certain Socrate, un phi«<losophe, se mêlait de ce qui se passe dans le ciel et sous terre... « A les entendre, on dirait que ceux qui s'occupent de telles re« cherches ne croient pas qu'il y ait des dieux... Et ce qu'il y a « de plus bizarre, c'est qu'il ne m'est pas permis de connaître ni de << nommer mes accusateurs, à l'exception d'un faiseur de comé« dies... Telle est l'accusation, et c'est ce que vous avez vu dans la « comédie d'Aristophane. >>

L'effet de cette pièce fut donc aussi durable que sinistre, et Aristophane, qui respectait certainement le caractère moral de Socrate, qui même était l'ami de son plus grand disciple, dut regretter cruellement de lui avoir distillé sa part de ciguë.

Cette esquisse aride aura déjà fait comprendre combien les machines et les décorations avaient de part à de semblables représentations. Le poëte lui-même y puise parfois un sujet de plaisanterie; ainsi Trygée, traversant la scène sur un escarbot, se tourne vers le machiniste pour lui recommander de veiller à ne pas le laisser se rompre le cou. Ce sont les Nuées (2), qui, dans la pièce de ce nom, composent le chœur. Dans les Oi

(1) Voy. les Nouveaux Fragments de M. COUSIN, 1819, et les arguments de l'Apologie et du Phédon, tome 1er de la trad. de PLATON, 1822.

(2) Les Nuées paraissaient dans l'air au fond de la scène, sous forme de femmes avec des masques aux nez énormes, et leur corps se terminait comme en flocons de laine, špiα πεжTaμέvα. Le scoliaste nous apprend que, pour imiter le tonnerre, on agitait des pierres et des morceaux de fer dans un grand vase de bronze appelé βροντεῖον.

seaux et dans les Grenouilles, les animaux chantent sur le théâtre conception aussi éloignée des idées de notre scène que de pareils sujets de comédie; mais ces comédies, pleines d'originalité, étaient d'une influence sinon directe, du moins très-grande sur la vie publique,

Nous ne pouvons goûter toutes les finesses d'Aristophane, parce que le propre de la comédie est d'être remplie d'allusions qui ne trouvent leur explication complète que dans les détails des mœurs au milieu desquelles elle se produit. Mais Platon l'admirait tellement qu'il en fit un des interlocuteurs de son Banquet; il envoya même ses comédies à Denys le Tyran, qui désirait connaître le gouvernement d'Athènes; c'était sa lecture favorite, et il les avait sur son lit quand il mourut. Saint Jean Chrysostome faisait aussi une étude particulière de ses compositions, où tant de verve s'unit au plus pur atticisme (1).

Celui qui voudrait réduire Aristophane à une appréciation générale trouverait que, dans toutes ses comédies, il met en opposition les mœurs dégénérées de son temps avec l'énergie antique, les arguties immorales des sophistes avec la rectitude du sens commun, le vain bruit des paroles et des phrases à effet avec la simplicité de la véritable poésie; mais, lorsqu'à la lecture de cette satire immortelle, nous rions des Athéniens, nous nous sentons aussi pris d'admiration pour un peuple qui n'a pas encore eu son pareil, dont la frivolité s'exerçait dans les affaires les plus importantes et dans les questions compliquées de la politique; qui, par oisiveté, par passe-temps, siégeait comme juge, argumentait sur la philosophie, se plaisait à contempler les chefs-d'œuvre de l'art ; pour qui les discussions sur le mérite dramatique d'Eschyle et d'Euripide, sur la science politique de Cléon, sur la doctrine de Socrate, étaient une récréation, et qui enfin saisissait en riant des allusions et des traits dont la finesse échapperait à toute intelligence non cultivée par l'étude et la réflexion.

Il ne faut pas demander si les allusions et les personnalités suscitèrent des ennemis aux auteurs de comédies: Cléon cita Aris

(1) Le jugement des critiques est presque unanime sur Aristophane. Quintilien dit: Antiqua comœdia sinceram illam sermonis attici gratiam prope sola retinet (Instit. Orat., lib. X, 1). Alde Manuce, dans l'édition faite à Venise en 1498, ne cesse de le vanter. Madame Dacier disait : « Que l'on ait étudié tout ce qui nous reste de l'ancienne Grèce, si l'on n'a point lu Aristophane, on ne connaît pas encore tous les charmes et toutes les beautés du grec. » Au sujet des Nuées, elle s'écriait qu'après les avoir traduites et lues deux cents fois, elle ne pouvait encore s'en rassasier.

tophane en justice sous l'accusation d'avoir rendu les Athéniens ridicules aux yeux des étrangers venus pour assister aux jeux; Alcibiade, qui commandait la flotte de l'Hellespont, fit noyer Eupolis qui l'avait satirisé. Une aussi grande liberté ne pouvait durer lorsque celle d'Athènes eut succombé; les trente tyrans surent bien l'étouffer, en recevant les plaintes de quiconque se croyait blessé par les plaisanteries de la scène.

La représentation de la vie politique fut dès lors interdite à la comédie, qui se vit réduite à la vie privée. Le choeur perdit sa signification,et le théâtre, au lieu d'être désormais une solennité publique, devint un divertissement particulier. La comédie appelée moyenne fut une transaction entre l'ancienne liberté et l'esclavage absolu, et l'originalité disparut au milieu des conventions: on ne nomma plus les personnes, mais on y fit allusion; l'obscénité y triompha, mais on prétendit y remédier en mettant dans la bouche des acteurs des sentences morales étrangères à l'action (1). Antiphane, l'un des premiers auteurs en ce genre, s'apercevant qu'Alexandre ne s'était pas assez amusé à l'une de ses pièces, lui dit qu'il fallait, pour la goûter, avoir assisté plusieurs fois à quelqu'un de ces banquets où chacun conduit sa compagne.

Chez un peuple à l'esprit vif, riche de caractères originaux, prompt à saisir le côté ridicule et à tourner en plaisanterie les choses les plus sérieuses, la comédie ne pouvait disparaître instantanément; mais le coup mortel était porté, et dès lors l'action dramatique cessa d'être envisagée sous son aspect le plus élevé; la poésie, la philosophie, la politique, ne vinrent plus contraster avec les choses communes et positives. Alors m ême que la liberté fut rendue à Athènes, le théâtre ne put remonter à son ancienne hauteur; mais on vit naître la comédie nouvelle, qui s'occupa de combinaisons et de passions à l'usage de la tragédie, et se nourrit d'abstractions philosophiques comme la comédie moderne. Cette transformation fut-elle un progrès, ainsi que le prétendent les faiseurs de préceptes? c'est ce dont peuvent

(1) Le Plutus appartient à ce genre; Aristophane y censure un vice de tous les temps et de tous les pays, l'avarice, si commune dans Athènes, où il n'était pas d'iniquités qu'elle ne fit commettre, jusqu'à pousser au métier d'espion. Le vieux Chrémyle envisage les choses sous l'aspect le plus vulgaire, et pour lui les plaisirs et les richesses sont la récompense de la vertu. La pauvreté lui démontre au contraire que la première condition de la société humaine est l'inégale répartition des biens. La Grèce était jadis illustre, et pourtant elle était pauvre. Il faut même dire que Jupiter lui-même est pauvre; car on ne donne aux jeux Olympiques d'autre prix qu'une branche d'olivier, quand les hommes sont aujourd'hui si prodigues de couronnes d'or.

Comédie moyenne

Comédie

nouvelle.

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