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Comédie.

plus hauts personnages, juge, blâme, conseille, loue, tandis que, par l'expression lyrique, il modère les émotions violentes résultant des faits tragiques, et reste arbitre impartial des actions bonnes ou mauvaises, au milieu de la lutte ardente des passions théâtrales. Le théâtre moderne aura fait un grand pas, lorsqu'il osera introduire le chœur pour représenter cette foule à laquelle on ne fait guère attention, mais qui souffre ou jouit de la folie ou de l'héroïsme de ses maîtres, et qui prononce toujours avec justice sur les grands événements.

Nous devons faire remarquer ici que tous les auteurs tragiques grecs sont athéniens; car les fragments du Dorien Épicharme méritent à peine l'attention. Eschyle dut aller finir ses jours près d'Hiéron de Syracuse, Sophocle près du Macédonien Archélaüs, et Euripide eut à supporter une guerre très-vive de la part d'Aristophane; mais, malgré ces persécutions, la ville de Minerve semblait être la patrie naturelle du génie.

Bien que d'autres poëtes tragiques aient succédé à Euripide, la décadence, commencée avec lui, marcha ensuite à grands pas.

Le règne de la comédie n'eut pas une plus longue durée; elle finit, non d'inanition, mais de mort violente. Grande est l'erreur de ceux qui la voient se perfectionner successivement (1), et la classent en ancienne, en moyenne et en nouvelle comédie; pour nous, la première seule est vraiment originale et poétique, les autres n'étant que des redites et des transformations. Si la démocratie se laisse apercevoir dans la tragédie grecque, elle domine et régit despotiquement la comédie, qu'elle entraîne à imiter jusqu'à ses excès. A la fatalité, machine principale de la tragédie, la comédie substitue les caprices du hasard; au sublime la farce, en faisant surtout prévaloir les appétits grossiers. Elle fut, dans le principe, une véritable parodie du poëme tragique, empruntant ses sujets aux dieux et aux héros, qu'elle représentait avec les mêmes décorations et la même majesté, ce qui, par le contraste des paroles, ajoutait encore au ridicule : les masques y étaient d'une exagération forcée; le chœur parlait souvent au nom de l'auteur (parabase), ce qui montre combien il y a de choses de convention dans les plaisirs de l'esprit.

La comédie apparut d'abord errant sur des chariots, avec Susarion, pour divertir grossièrement le peuple. Cratès en Grèce, Épicharme en Sicile, lui donnèrent ensuite une forme plus régu

(1) Plutarque, Barthélemy, Blair, et surtout Voltaire.

lière ; le dernier se plaisait surtout à plaisanter sur les dieux et les héros (1). Il traitait les questions politiques, en les développant dans des catastrophes bien combinées, mêlait au dialogue d'anciens proverbes et des sentences pythagoriciennes, et composait cet amalgame de gai et de sérieux, aussi prisé que rare de nos jours.

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Comédie ancienne.

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Aristophane, qui surpassa tous ses prédécesseurs, est le seul dont les œuvres nous soient restées; il florissait alors que la liberté athénienne était le plus effrénée, et de la scène il fit une véritable tribune (2). L'amour à Athènes n'était que la volupté, la morale qu'une spéculation de sophistes, changeant avec les différentes écoles. Les intrigues privées perdaient de leur importance à côté des intérêts publics; la comédie devait donc, par nécessité, se faire politique, devenir l'antagoniste des orateurs publics, et se mettre au service de cette opposition qui est la première nécessité des États Aristophane. libres, et dont les journaux sont aujourd'hui l'expression. Il est vrai pourtant qu'elle fut, comme la presse actuelle, impuissante pour le bien, et ne put réprimer ni Périclès ni Cléon, tandis qu'elle fit avaler la ciguë à Socrate. Néanmoins on entendit Aristophane reprocher au peuple souverain ses vices, ses crimes, ses faiblesses; lui dénoncer les démagogues dangereux; conseiller la paix au milieu des guerres intestines qui ruinaient la Grèce ; opposer le sens commun aux arguties des sophistes, et recommander la sévérité de l'ancien patriotisme. Il est difficile qu'un esprit doué du dangereux talent de faire rire n'en abuse pas, et Aristophane en abusa pour se conformer au goût de la plèbe, pour mordre ses ennemis personnels, et pour attaquer même la vertu, comme il le fit à l'égard de Socrate; il alla jusqu'à tourner les dieux en ridicule, et descendit à des plaisanteries, à des scènes licencieuses, qui n'étaient que trop en rapport avec la religion et la morale des Grecs, avec le peu de souci que l'on prenait des femmes, auxquelles les temps modernes sont redevables du sentiment des convenances dans les actions et dans les paroles. L'impudicité sans voile de ses comédies et des drames satyriques ferait même croire volontiers que le beau sexe n'assis

(1) Dans le Busiris il dépeint ainsi Hercule Vorace : « A le voir manger «< comme quatre et avaler de gros morceaux, il soulève le dégoût. Son gosier «< murmure, ses mâchoires craquent, ses dents molaires résonnent et ses canines bruissent, ses narines sifflent et ses oreilles se balancent. >>

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(2) Voy. TH. ROTSCHER, Aristophanes und seine Zeitalter. Berlin, 1827. HERM. POL, de Aristophane, poeta comico, ipsa arte boni civis officium præstante. Groningæ, 1834.

tait pas à leur représentation. D'ailleurs, le goût du poëte est exquis, son art inimitable, son trait vif et piquant; ses néologismes (1), ses changements de ton, sont d'une hardiesse très-heureuse : mais ce qui excite le plus l'étonnement, c'est l'instruction, la finesse, les connaissances pratiques qu'il suppose dans son auditoire.

Parmi ses comédies (car nous continuerons à considérer les auteurs du côté social), les Nuées appartiennent à la philosophie, les Grenouilles à la critique, les autres à la politique.

Les Grenouilles sont dirigées contre le mauvais goût, personnifié dans Euripide qui venait de mourir : l'auteur y contrefait ceux qui s'extasient aux grands mots emphatiques disant trop ou ne signifiant rien, et qui, au lieu de suivre le goût sûr du petit nombre des connaisseurs judicieux, préfèrent l'avis de la foule, toujours prête à admirer ce qui est sophistique et apprêté. Euripide, sa famille, son domestique et ses œuvres, mis dans la balance des juges infernaux avec deux vers d'Eschyle, ne se trouvent pas de poids, et le vieux poëte, revenu au monde pour améliorer Athènes, ne veut pas que son siége dans l'Élysée soit occupé par un autre que par Sophocle.

La première comédie dans laquelle Aristophane eut le courage de se montrer est celle des Chevaliers, attaque violente contre Cléon, démagogue furieux, instigateur de partis extrêmes. Démosthène veut substituer à ce Cléon, représenté sous la figure d'un corroyeur, le charcutier Agoracrite, auquel il dit : Tu es grossier, méchant, la lie du vulgaire; tu as la voix forte, une éloquence impudente, le geste malicieux, le charlatanisme du marché! crois-moi, tu as tout ce qu'il faut pour gouverner Athènes. Le charcutier convient qu'il a tous les vices, et il ajoute qu'un rhéteur l'ayant vu voler, puis nier obstinément le fait, s'écria: Il est impossible que celui-là ne devienne pas le premier administrateur de la république. Le choeur dit au vieux Démos, personnification du peuple: Tu es sottement crédule, tu laisses les flatteurs et les intrigants te mener par le nez, et te pâmes de bonheur lorsqu'ils te haranguent.

(1) A la fin des Harangueuses, le choeur prononce un mot de 77 syllabes, qui a grandemeut exercé les grammairiens, et prouve la flexibilité de la langue grecque pour former des mots composés : Λοπαδτοεμαχοσελαχογαγεοκρανιολειψανοδριμυποτριμματο σίλφιο παραομελιτοκατακεχυμενοκιχλεπι κοσσυφοπεριστεραλεκτρυο νοπετεκεφαλλιοκιγκλοπελειολαγωοιρσαιοβαφητραγανοπτερυγων. C'est une liste de traiteur qui veut dire à peu près : « Grande soupe, saucisses parfaites, huîtres choisies, lamproies exquises, cervelles farcies aux épices, marmelades de pommes au benjoin, grives, merles, pigeons ramiers, têtes de poulets rôtis, ragoût d'étourneaux et de perdrix avee le jus de foie de lièvre. »

Mais, à la fin de la comédie, ce vieillard se trouve rajeuni et marche d'un pas majestueux vers les Propylées.

Agoracrite. Faites silence; renvoyez les témoins; que les tribunaux, délices de cette cité, soient fermés en réjouissance de nos prospérités nouvelles, il faut que le théâtre retentisse de l'hymne de Paan.

Le chœur. O toi, flambeau d'Athènes et sauveur de nos îles, quelle prospérité nouvelle doit faire fumer sur nos places l'odeur des sacrifices?

Agoracrite. J'ai régénéré le peuple (Démos), et lui ai rendu sa beauté.

Le chœur. Où est-il maintenant, dis-nous, auteur de cette merveilleuse métamorphose?

Agoracrite. Il habite l'antique Athènes, couronnée de violettes (1).

Le chour. Comment le reconnaîtrons-nous? Quels ornements, quelle tournure a-t-il?

Agoracrite. Il est tel qu'il fut autrefois, du temps d'Aristide et de Miltiade. Il va paraître; voilà les portes qui s'ouvrent. Saluez de vos acclamations joyeuses l'apparition de l'antique Athènes, cette ville admirable et célèbre, habitée par un peuple illustre.

Le chœur. Belle et brillante Athènes, au front couronné de violettes, montre-nous le maître de ce pays et de la Grèce entière.

Agoracrite. Le voilà, avec la cigale qui orne sa chevelure, dans tout l'éclat de son antique costume et [parfumé de myrrhe, ami de la paix et dégoûté des procès.

Le chœur. Salut, roi des Grecs! nous te félicitons avec une âme sereine; car tu fais des choses dignes de cette cité, dignes des trophées de Marathon. >>

Dans les Guêpes, Aristophane fait la satire de la manie de juger, d'écouter les plaidoiries (2), de s'entendre louer par les défenseurs et les parties (3); il met à nu la vanité misérable de ces tailleurs et de

(1) C'est l'épithète solennelle d'Athènes, quelle qu'en soit l'origine.

(2) Dans les Nuées, Strepsiade, planant dans les airs et voyant une ville audessous de lui, ne peut croire que ce soit Athènes, parce qu'il n'y voit pas siéger de juges. Dans la Paix encore, Aristophane dit aux Athéniens : Ovdèv yàp ảλλo òpãte πλǹv dixálete, Vous ne faites autre chose que décider des procès. Dans P'Icaro-Ménippe, de Lucien, Ménippe reconnaît du ciel les Athéniens, parce qu'ils s'occupent de juger : Καὶ ὁ Ἀθηναῖος ἐδικάζετο, § 16.

(3) Voici en quels termes s'exprime le vieux Philocléon, grand amateur de plaidoiries, et ne quittant point les tribunaux :

<< Il n'y eut jamais un être plus heureux et plus digne d'envie qu'un juge; nul

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ces cordonniers qui croient présider au gouvernement et s'en vont fiers de leurs trois oboles, tandis que, jouets de ceux qui les mènent, ils perdent leur métier à pareil jeu. Parfois Aristophane s'en prend au peuple avide, superstitieux, vindicatif; mais on le voit tendre à faire considérer la classe moyenne comme le noyau et la principale force de la société. L'influence politique de ces compositions était si grande que la première question que le roi de Perse adressa à des ambassadeurs grecs auxquels il donnait audience, eut pour objet de s'informer de cet Aristophane qui mettait la Grèce sens dessus dessous; il leur donne de si bons conseils, disait-il, que, si les Grecs les eussent suivis, leurs affaires auraient tourné plus heureusement.

Qu'il nous soit permis de nous arrêter encoré sur ces comédies, qui révèlent une partie si intéressante de la civilisation athénienne. La politique d'Aristophane avait constamment la paix en vue. Dans la comédie à laquelle il donna précisément le titre de la Paix, le pacifique Trygée monté sur un escarbot, comme Bellerophon sur Pégase, escalade l'Olympe et le trouve désert; car les dieux en avaient été chassés par la Guerre et le Fracas, qui broient une ville dans un mortier en se servant pour pilon du général le plus fameux. La Paix est cachée au fond d'un puits, d'où les peuples de la Grèce travaillent à la tirer à l'aide de cordes.

Dans Lysistrata, toutes les femmes grecques se liguent contre les hommes dans une abstinence bizarre, jusqu'à ce qu'ils se soient décidés à faire la paix, et le rire est sans cesse excité par les embarras et les velléités des hommes séparés des femmes et

n'est plus courtisé ni plus redouté. D'abord, à peine quitté-je ma couchette, que j'ai déjà à ma porte les premiers, les plus grands personnages de la république : ils sont là à m'attendre, à me guetter. Je sors, et je me sens doucement pressé par une main qui a dérobé les deniers de l'État. Le coupable se jette à mes pieds, et d'une voix lamentable: Pitié, s'écrie-t-il, pitié, mon père! je t'en conjure par les larcins que tu as pu faire toi-même dans l'exercice des charges publiques ou dans l'approvisionnement des troupes... Je vais m'asseoir au tribunal; je me délecte à écouter le concert de tant de voix implorant miséricorde. De tous côtés les plaintes des accusés se font entendre. Quelles caresses ne faiton pas alors au juge? l'un gémit, l'autre pleure; celui-ci raconte des historiettes, celui-là des fables; cet autre profère un bon mot pour me faire sourire et m'apaiser. Si tout cela ne suffit pas, la famille s'avance, et l'accusé aussi, conduisant par la main ses enfants, filles et garçons. J'écoute; ils s'inclinent et se mettent à bêler tous ensemble: le père tout tremblant me conjure comme un dieu d'être clément et de l'absoudre, par pitié pour eux : Aimes-tu la voix d'un agneau? sois sensible à celle de ce bambin. Aimes-tu les petites truies? laisse-toi toucher par la voix de ma fille. Alors notre humeur se radoucit un peu. N'est-ce donc pas là régner? »

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