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Parasites,

jeune Pantarcès; Harmodius, ce héros chanté dans tous les banquets d'Athènes, était plus qu'un ami pour Aristogiton, et ce fut dans la crainte qu'Hipparque n'arrachât par la violence ce qu'il n'avait pu obtenir par la séduction, qu'Aristogiton tua le fils de Pisistrate (1). La loi ne punissait que celui qui, usant de violence envers un citoyen, avait causé sa mort; une taxe mise sur les individus qui se livraient habituellement à de semblables infamies, semblait autoriser leur impureté mais c'est à peine si nous pouvons croire aujourd'hui à l'inconcevable démarche de l'orphelin Diophante, se présentant devant les archontes pour réclamer d'eux, au nom de la protection due par le tribunal aux orphelins, de lui faire payer le prix de sa corruption.

L'immoralité chez les Athéniens était donc excessive, et la jeunesse se plongeait en aveugle dans la débauche. Les maisons des musiciens, des artistes, des courtisanes, étaient plus fréquentées que le gymnase ou la palestre ; elle accourait en foule aux jeux de hasard qui se tenaient publiquement à Phalère, sous le portique de Minerve, avec la protection des lois, et les dés lui enlevaient son temps et son argent.

Tandis que les riches faisaient assaut de luxe, la multitude oisive, couverte de haillons, passait l'hiver dans les étuves du Cynosarge, où l'on exposait les bâtards, où se réunissaient les plus viles prostituées (aselli) et des hommes perdus de moeurs. Les uns alimentaient leur fainéantise au moyen du salaire qu'ils recevaient pour assister aux assemblées; les autres vivaient d'escroqueries; ceux-ci d'espionnage, ceux-là en mangeant les offrandes déposées sur les autels, ou en allant s'asseoir aux banquets des grands, pour qui c'était presqu'une obligation de les entretenir. Jupiter Philos (s'écrie l'un deux) fut le premier parasite; il fréquentait les riches et les pauvres, buvait, mangeait et partait sans payer son écot. Un autre dit dans une pièce d'Alestide: Je mange avec tous ceux qui veulent bien de moi, mais j'ai ma place de droit aux repas de noces, quand même je ne serais pas invité. Oh! alors, il faut voir comme je suis gai et comme j'anime la réunion. Je loue en face l'hôte qui me traite, je l'approuve en tout, et si quelqu'un ose me contredire, je l'accable d'injures. Je ne pars que quand je suis bien gorgé de vin et de nourriture. Sans esclaves pour m'accompagner avec une lanterne, je marche en trébuchant et seul au milieu des ténèbres; c'est alors une faveur des dieux si je ne

(1) THUCYDIDE, VI, 54.

rencontre pas la patrouille pour m'écorcher à coup d'étriviè– res. Arrivé au logis, je m'étends sur des peaux garnies de leur poil, et m'endors plus heureux qu'un satrape (1).

Ces parasites ne faisaient d'autre métier que d'escroquer des diners et de débiter des quolibets; joyeux de toutes les joies, larmoyant avec tous les affligés, moissonnant sans avoir sémé, ils ne s'inquiétaient que de savoir qui avait la meilleure cuisine et la table la plus somptueuse; grâce à eux, les plaisanteries et les anecdotes scandaleuses se trouvaient colportées de table en table, et ils étaient tout ensemble l'amusement et l'opprobre de la ville. Mais quoi! une assemblée d'Athéniens né décréta-t-elle pas que les droits de cité seraient accordés aux fils de Chéréphile (2), pour l'habileté de leur père à faire la cuisine?

Maintenant, nous pourrions exciter l'horreur si nous retracions les scènes de débauche qui eurent lieu durant la peste d'Athènes, ou faire sourire de pitié sur les plaisants thoyens auxquels Alcibiade dut sa popularité. Un jour que l'on traitait, dans l'assemblée publique, une affaire des plus sérieuses, il laissa s'échapper un oiseau de son sein; la foule se mit à rire, et il fit triompher son opinion. Accusé d'infidélité par Hipparète, sa femme, il la prend dans ses bras et l'emporte hors du tribunal; la foule rit, et il gagne sa cause. La lecture des Vies de Plutarque serre le cœur, en mettant sous les yeux les perpétuelles entraves apportées aux hommes les plus méritants, dont la capacité se trouvait réduite à l'impuissance, dans Sparte par l'ignorance du peuple, dans Athènes par sa frivolité. C'était pour les Athéniens un spectacle amusant que de voir sur le théâtre la vertu tournée en ridicule, un agréable passe-temps que d'exciter, sur la place publique, les orateurs l'un contre l'autre, dénaturant ainsi les idées du juste et du vrai, et faisant passer, dans les affaires publiques, les mêmes désordres qui s'étaient introduits dans la famille, l'injustice et l'infidélité. Un Grec servit de guide à Xerxès pour tourner la position de Léonidas. Avant la bataille de Salamine, certains généraux s'étaient laissé gagner par l'argent des Perses. Thémistocle accepta trente talents des habitants de l'Eubée, afin que la flotte restât à l'Artémisium, et, pour atteindre ce but, il en donna cinq au Spartiate Eurybiade, trois au Corinthien Adimante (3); par bonheur pour la Grèce, c'é

(1) Voy. dans Athénée, VI, p. 236 et 239, ces fragments de DIODORE de Sinope et d'Alestide.

(2) ATHÉNÉE, III, p. 119.

(3) HÉRODOTE, VIII, 5.

tait précisément le meilleur parti à adopter. Le même Thémistocle tournait en dérision la probité d'Aristide, disant qu'un coffre-fort en avait autant; enfin Périclès suscita la guerre du Péloponèse pour ne pas rendre ses comptes.

Aucune infamie n'est attachée aux violations du droit public: Lysandre proclame hautement celles dont il se rend coupable; Phébidas s'empare, en pleine paix, de la citadelle de Thèbes, et Sphodrias tente le même coup de main contre Athènes ; les envoyés de Xerxès sont égorgés à Athènes comme à Sparte. Lors du soulèvement d'Héraclée dans la Trachinie, Sparte envoie Hérippidas pour la pacifier; il s'avance sur la place, au milieu de ses soldats, se fait nommer les coupables, et ordonne qu'ils soient à l'instant mis à mort, au nombre de cinq cents. Deux cents Platéens avaient résisté aux Spartiates, lesquels envoient cinq juges qui les interrogent un à un pour savoir si, durant la guerre, ils ont pris les armes en faveur de Sparte et des alliés; le contraire étant établi, tous sont égorgés. Nous avons vu déjà comment Athènes se conduisit à l'égard de Mélos et de Mitylène; non contente d'enlever leur patrie aux Éginètes, elle poursuivit les fugitifs jusque dans l'asile qu'ils avaient trouvé en Laconie (1). Les Corcyréens massacrent de sang-froid tous les prisonniers corinthiens : véritable parricide, puisque leur ville était une colonie de Corinthe. Après la bataille d'Ægos-Potamos, Lysandre fait égorger trois mille prisonniers athéniens (2); les généraux ennemis, pris les armes à la main, sont condamnés à l'opprobre et à la mort par ceux qui traitaient de barbares les Perses, chez lesquels Thémistocle et Alcibiade, leurs ennemis, étaient accueillis avec honneur.

Ainsi la cruauté s'unissait à la débauche pour souiller le siècle glorieux de Périclès; joignez-y la superstition qui prostituait les édulies à Éryx, à Corinthe, à Comana, et qui, de même qu'avant Codrus elle avait persuadé à Érechthée de sacrifier ses deux fils pour sauver l'Attique (3), fit égorger trois jeunes garçons à Thémistocle pour vaincre à Salamine.

(1) Voir dans Thucydide, IV, 47, un abominable carnage de prisonniers dans les prisons de Corcyre; ce qui prouve que les massacres dans les prisons datent de plus loin que septembre 1793.

(2) Nous voyons dans Hérodote, IV, 202, que la reine Phérétime, secondée par les Perses, ayant repris la ville rebelle de Barcé, dans la Cyrénaïque, fit mettre en croix les plus coupables et trancher les mamelles à leurs femmes puis parer les remparts de ces horribles trophées. Une femme traiter ainsi des femmes !

(3) DÉMOSTHÈNE, Éloge funèbre, 27; il cite encore d'autres exemples.

Tel est pourtant le sombre lointain sur lequel se déroule le drame merveilleux de l'histoire grecque. Chacun peut facilement y apercevoir les causes principales de la décadence d'Athènes, qui se trouva épuisée de courage et de patriotisme, lorsque ces vertus lui étaient devenues le plus nécessaires, et pendant que Sparte, avec sa constitution rigide, restait forte et armée.

CHAPITRE XV.

SPARTE A LA TÊTE DE LA GRÈCE.

Au moment où la guerre du Péloponèse éclata, les Spartiates se montrèrent comme des libérateurs, pour devenir tyrans lorsqu'elle fut terminée. Dans toutes les villes vaincues, dans les villes alliées même, ils voulurent rétablir le gouvernement aristocratique, et Lysandre y excita des révolutions violentes, pour les soumettre à des gens de son parti, sous la présidence d'un harmoste lacédémonien. Les garnisons distribuées dans chaque citadelle se livraient, en outre, à tous les excès. Sparte, la ville jadis sans argent, dont les flottes n'étaient entretenues que par les subsides de la Perse, comprenait maintenant la nécessité d'avoir une marine, et remplissait son trésor en rançonnant ses alliés. Lysandre extorqua mille talents (cinq millions et demi) aux villes de l'Asie Mineure; il en expédia mille cinq cents autres à Sparte après la prise de Samos, dernière conquête de cette guerre, indépendamment d'une masse d'or et d'argent qui lui fut offerte avec cette spontanéité ordinaire aux vaincus. Lysandre se servit de cet or pour saper les institutions de sa patrie, que le fer ne pouvait dompter. Une peine sévère fut promulguée contre ceux en la possession desquels on trouverait de la monnaie d'or ou d'argent; mais comment le peuple aurait-il dédaigné ces métaux dont la république faisait tant de cas?

Les alliés de Sparte sentaient donc peser sur eux le même joug que leur avait fait subir Athènes, avec cette aggravation qu'ils avaient pour maîtres des hommes rudes et grossiers au lieu de Thémistocle et de Périclès, le brutal Lysandre; au lieu des concitoyens de Sophocle et de Phidias, une caserne de Spartiates, tyrans dans les maisons, tyrans dans les camps, tyrans dans les conseils.

Les souffrances d'Athènes nous donneront la mesure de celles

4.03.

Trente tyrans.

404.

403.

Fin d'Alcibiade.

des autres villes. Après l'avoir fait démanteler, Lysandre y établit Les Trente oligarques, avec pleine autorité sur la vie de leurs concitoyens hommes iniques et lâches, comme tous ceux qui désertent la cause de la patrie pour celle de l'étranger, esclaves de sa volonté et protégés par sa garnison. Les poursuites commencèrent, et l'exil ou la mort attendait quiconque avait un renom de vertu ou de richesse. Joignant là perfidie à la fureur, ils ordonnaient à des personnes probes de faire des arrestations, auxquelles succédait le supplice (1). Les citoyens furent désarmés, et l'Aréopage dut renoncer au vote secret; ses jugements privés ainsi de la liberté nécessaire, tout accusé encourut une condamnation. L'assertion de Xénophon, qu'il périt plus de monde dans le cours de ces huit mois que dans les vingt-sept années de guerre péloponésiaque, quelque exagérée qu'elle puisse être, nous donne une idée de la violence meurtrière de cette persécution.

A la tête des Trente était Critias, disciple de Socrate. Théramène, l'un d'eux, écouta le premier la voix de la vertu ou des remords, et voulut s'opposer à la rigueur de ses collègues ; mais on ne s'arrête pas impunément sur le chemin de la tyrannie, quand on a des complices qui ne sont pas encore fatigués. Condamné à son tour, il subit la mort avec un courage si paisible que l'on oublia ses fautes pour l'admirer (2).

Les Trente publièrent, au nom de Sparte, un décret menaçant contre quiconque donnerait asile aux bannis d'Athènes; mais, loin d'écouter cet ordre barbare, les cités les accueillaient, au contraire, avec cette généreuse compassion que les cœurs bien nés accordent aux exilés. Alcibiade se vit lui-même l'objet du mauvais vouloir des tyrans, qui lui tendirent des embûches. Contraint de quitter l'asile qu'il avait trouvé dans la Thrace, il s'était réfugié auprès de Pharnabaze; mais, à l'instigation de Lysandre, le satrape envoya des soldats pour s'emparer de lui, et il fut tué en se défendant,

Les maux publics et particuliers étaient parvenus à ce degré qui permet d'espérer quelque soulagement. La domination orgueilleuse de Lysandre lui avait aliéné dans Sparte beaucoup de citoyens; les bannis, perpétuels artisans de révolutions, entretenaient des intelligences dans Athènes. Ils avaient pour chef

(1) Un ordre pareil fut donné à Socrate, qui refusa d'obéir. PLATON, Apol. (2) L'ouvrage d'Ed. PH. HENRICHS, De Theramenis, Critiæ et Thrasybuli, virorum tempore belli Peloponesiaci inter Græcos illustrium rebus et ingenio, commentatio (Hambourg, 1820), répand beaucoup de lumière sur cette époque.

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