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sique qui se rapproche des scènes domestiques de la vie moderne, tirent presque tout leur charme du petit Astyanax; Briséis est esclave; les nombreux prétendants de Pénélope visent tous à la posséder, aucun d'eux ne cherche à lui plaire. L'amour a bien peu de place dans les tragédies, et les injures contre les femmes y sont poussées à un degré de grossièreté que l'on n'attendrait jamais de la politesse athénienne. Dans les Suppliantes d'Euripide, Éthra, mère de Thésée, dit : « Une femme sage ne fait rien par << elle-même, mais laisse faire aux hommes. » Iphigénie, s'exhortant à se sacrifier pour ne pas exposer les jours d'Achille, s'écrie: << La vie d'un seul homme est plus précieuse que celle de plusieurs « femmes. » Je ne veux pas répéter les injures prodiguées aux femmes dans les Sept devant Thèbes, d'Eschyle; mais je ne saurais taire que, dans les Euménides, Apollon ravit aux femmes leur titre le plus naturel au respect et à l'amour, en disant: Ce n'est pas la mère qui engendre ce qu'on appelle son enfant; elle n'est que la nourrice du germe déposé dans son sein; celui qui engendre, c'est le père. La femme reçoit le fruit et, s'il plait aux dieux, le conserve: L'amour de Sapho, dans son ode si connue, ne respire que l'ivresse inquiète des sens, telle qu'une femme douée de quelque pudeur n'oserait jamais l'avouer (1), et la seconde idylle de Théocrite la dépeint sans retenue.

Tels devaient être les effets de la religion. Euripide s'écrie: Comment la chasteté se conserverait-elle dans le cœur d'une jeune fille spartiate, accoutumée à sortir de la maison maternelle pour se mêler aux exercices de la lutte et de la course avec des garçons, sans autre vêtement qu'une petite tunique courte et flottante (2)? Comment, ajouterons-nous, les femmes auraient-elles conservé la pureté des mœurs avec le culte de Priape, les orgies de Bacchus et celles de la Grande Déesse, où l'ivresse était sanctifiée et la débauche elle-même portée en pompe, sous les formes les plus expressives? Que devaient laisser à la paix domestique et à la dignité maternelle les prostitutions dévotes? Solon érigea un temple à Vénus avec l'argent reçu des matrones qui présidaient aux lupanars (3). Périandre ordonna qu'en l'honneur de Mélissa, sa femme, toutes les Corinthiennes se rendissent nues au temple de Vénus Aphrodite. Aristophane dévoile, sur le théâtre, toutes les malices féminines, tous les raffinements du libertinage, dans les termes les

(1) Cette ode fut en effet attribuée à l'obscène Catulle, jusqu'à ce que l'on eût retrouvé l'original.

(2) Euripide, Andromaque, III, 2. (3) ATHÉNÉE, XIII, 3.

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moins équivoqués; il s'en faut peu qu'il n'y représente l'acte le plus contraire à la pudeur publique (1). Bien plus, le sage Socrate lui-même, ayant ouï parler d'une certaine Théodote, qui posait comme modèle dans l'atelier des artistes, conduisit ses disciples la voir pendant une séance qu'elle donnait à un peintre; là, il la félicita sur les nouveaux amants que lui vaudraient leurs louanges, et lui fit la leçon sur la manière de les prendre dans ses filets (2).

Tant d'excitations au mal n'étaient pas même contre-balancées par un bon système de morale; car la morale se bornait à de simples spéculations, sans consulter la voix de la nature outragée.

L'esclavage, en abolissant la personnalité, livrait le corps de la femme esclave à la discrétion du maître, fut-elle la fille du prêtre Chrysès, l'épouse d'Hector, la prophétesse Cassandre: on achetait de jeunes filles en plein marché, à la porte des temples, aux fêtes les plus solennelles. Les Lydiens de Sardes, ayant réduit Sinyrne à l'extrémité, déclarèrent qu'ils ne se retireraient qu'autant qu'on leur enverrait les femmes des citoyens pour en user à leur gré. Une belle esclave délivra les citoyens de la consternation où ils étaient plongés, en leur proposant d'envoyer ses pareilles à l'ennemi, à la place de leurs maîtresses. La substitution eut lieu, et le plaisir épuisa tellement les assaillants, qu'il fut aisé d'en triompher. En mémoire de l'événement, toutes les esclaves de Smyrne se montraient, dans une solennité annuelle, revêtues des habillements de leurs maîtresses.

Dans Athènes, principalement, cette élégance exquise de langage, de manières, de genre de vie que l'on appela atticisme, disposait les âmes aux joies insouciantes. Les jeunes gens passaient leur temps en banquets délicats, où ils siégeaient au milieu des danses, des conversations spirituelles, des lectures poétiques, des chants et des caresses de beautés faciles; puis iis quittaient la table pour les théâtres, les promenades, et les caquetages; ils n'avaient donc rien pour les arracher au libertinage, vers lequel ils étaient poussés, au contraire, par les doctrines et l'exemple. Solon favorisa l'usage des courtisanes et des concubines, qui annulait l'unité conjugale. Nous avons des courtisanes pour le plaisir, des concubines pour les soins journaliers, des femmes pour nous donner des enfants et surveiller l'intérieur de la maison : ce sont les paroles de Démosthène, dans sa harangue pour Nééra, jeune courtisane dont deux rivaux se disputaient la possession : les arbitres décidèrent

(1) ARISTOPHANE, Fêtes de Cérès, acte II; Lysistrata, acte I, sc. if.
(2) XÉNOPHON, Entretiens mémorables, III, 11.

qu'elle appartiendrait deux jours à chacun des compétiteurs. Que de choses ne revèle pas un semblable jugement! Encore fut-il rendu dans le temple de Cybèle.

Dans ce discours, le grand orateur nous fait connaître les moyens employés par les matrones pour entraîner les jeunes filles dans la mauvaise voie. Poëtes et artistes travaillaient à l'envi à immortaliser ces pauvres filles perverties. Les chefs-d'œuvre de la sculpture et de la peinture représentaient les plus renommées ; la victoire de Salamine fut attribuée à leurs prières; Strabon appelle esclaves consacrées, hiérodules, les courtisanes d'Éryx (1); Pindare, dans son éloge du Corinthien Xénophane, vainqueur des jeux Olympiques, commence par s'adresser « aux jeunes filles hospitalières, ministres de la persuasion dans l'opulente Corinthe (2). » On sait, en outre, que les fils de Pisistrate vidèrent le trésor public pour satisfaire leurs goûts en ce genre. Thémistocle parcourait les rues d'Athènes avec quatre courtisanes sur son char; Alcibiade se fit peindre nu dans les bras de deux de ces femmes, également nues; Harpalus érigea une statue à Pythionice, sur la route qui menait d'Athènes à la ville sacrée d'Éleusis (3).

La mère de famille, au contraire, n'était rien. L'orateur Hypéride disait que, pour sortir de la maison, une femme devait être d'un âge tel que l'on demandât, en la voyant, non de qui elle était l'épouse, mais de qui elle était la mère. Dans la harangue de Lysias contre Diogiton, une veuve trahie et injuriée par son père, qui dilapidait la fortune des enfants qu'elle élevait, convoque ses parents dans sa demeure, pour les intruire de ce qui se passe et leur demander les moyens d'y porter remède; mais elle se croit obligée dé se justifier pour oser parler dans une réunion d'hommes, bien qu'ils soient tous ses proches parents. Elles n'ont pas cueilli les rosesdes Muses, dit Sapho des dames athéniennes, ce qui fait qu'on ne parle pas d'elles dans la vie, et qu'elles n'auront pas de renom après leur mort; elles passeront de l'obscurité de leur état dans le néant du tombeau, semblables à des fantômes qui errent dans la nuit et qui s'évanouissent à l'aurore. Et pourtant, ni les précautions jalouses, ni l'obscurité de leur vie ne garantissaient leur chasteté; pour conserver la paix, dit Xénophon, il faut pardonner leur première faiblesse, oublier la seconde. Comment ne se se

(1) STRABON, liv. VI, p. 272.
(2) PINDARE, fragm. Exóa, I.
(3) ATHÉNÉE, XIII, p. 586.

raient-elles pas trouvées humiliées et de la rivalité de nombreuses esclaves, sollicitant par la variété les sens du mari partagé, et de celle des hétaïres, qui, le visage fardé, les lèvres, les sourcils, les cheveux teints, se promenaient à travers les rues dans tout l'éclat de leurs charmes, réunissaient autour d'elles des sociétés pour y briller par leur esprit et leurs talents, et faisaient étalage de leur beauté, tantôt en public, tantôt dans les ateliers des plus grands artistes, tantôt dans les bains, tantôt sur le rivage de la mer? Aspasie, la souveraine de Périclès, l'institutrice d'Alcibiade et de Socrate (1); Lasthénie, assidue aux leçons de Platon; Phryné, qui offre de reconstruire Thèbes avec le prix de ses faveurs, et bien d'autres encore embellissaient le vice, détournaient des vertus casanières, jetaient du mépris sur l'ignorance et la grossièreté des mères de famille, condamnées au silence et à la solitude des gynécées (2).

On a conservé quelques mots assez fins de ces belles de profession. Gnathène donnait à souper au poëte Diphile, qui s'écria, comme on lui servait une coupe de vin glacé : De par les dieux, que tu as un puits froid! - C'est que j'y jette de temps en temps, reprit-elle, quelques-unes de tes comédies. Un guerrier, qui avait déserté le champ de bataille, demandait à Mania quelle était celle des bêtes fauves qui courait le plus vite : Le fuyard, lui répondit-elle. Le philosophe Stilpon, dont l'école était fréquentée par les hétaïes, reprochait un jour à Glycère de corrompre la jeunesse; voici la réponse qu'elle lui fit : On t'impute précisément le même tort, en disant que tu gâtes l'esprit de tes disciples à force de subtilités et de querelles de mots; s'ils ont donc à se perdre, qu'importe que ce soit du fait d'un philosophe ou de celui d'une courtisane? Cette Glycère a été immortalisée par Ménandre et par Térence (3). Le comique Machon ne cesse de parler de l'esprit de ces femmes et du bonheur de leurs amants; Aristophane de Byzance nous en fait connaître cent trente-cinq qui furent célèbres de leur temps, et pourtant Gorgias lui reproche d'en avoir oublié plusieurs des plus renommées. Peu après l'époque

(1) Elle est peinte sous l'aspect le plus flatteur par A. Boullée, dans l'ouvrage intitulé: Aspasie, notice extraite d'une histoire encore inédite de Périclès ; Lyon, 1836.

(2) Il est fait mention de sept jeunes filles de Milet qui se donnèrent la mort pour échapper à la brutalité des Gaulois; une épigramme de l'Anthologie, VII, 492, a glorifié leur chaste héroïsme. Saint Jérôme les loue; saint Augustin les blâme. (Voy. Contra Jovianum, et de Civitate Dei, I, 17.)

(3) Athénée, liv. XIII, p. 578 et 581.

où ils écrivaient, la fameuse Démo fut aimée par trois générations de rois Antigone, Démétrius et Antigone Gonatas.

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Il ne faut pas croire, cependant, que ces femmes ne recueillaient que des hommages. Épicrate écrivait de l'une d'elles : « La << fameuse Laïs, qui passe le jour dans l'oisiveté et la coupe à la main, « peut être comparée aux aigles. Jeunes et hardis, ils enlèvent « des chevreaux et des lièvres pour les dévorer tranquillement << dans leur aire; mais, une fois vieux, ils deviennent inertes et << timides, et attendent sur le toit de quelque masure abandon« née le moment de surprendre quelque vil animal. Ainsi Laïs, << qui, dans ses vertes années, dans la fleur de sa beauté, se voyait « prodiguer l'or, si hautaine alors qu'il aurait été plus facile d'ap<< procher le satrape Pharnabaze, le plus orgueilleux des mortels, << maintenant que les ans se sont appesantis sur elle, et qu'elle « voit déchoir chaque jour ses attraits usés, chacun peut l'approacher et la posséder; elle va chez quiconque l'invite à manger « et à boire. Jadis elle dédaignait l'or, à cette heure elle se con<< tente de cuivre; jeune, vieux, elle reçoit tout le monde (1). » En effet, à l'âge de plus de quatre-vingts ans, Épicure fréquen tait la société de ces courtisanes, qui, au dire d'Anaxilas, étaient capables de toute espèce d'infamies.

On a prétendu que Solon s'était montré indulgent pour de pareilles turpitudes afin d'obvier à une plus grande encore. Mais il semble, au contraire, qu'il ait toléré même cette passion, aussi dégradant pour celui qui l'éprouve que pour celui qui en est l'ob jet(2); au moins, triomphait-elle effrontément dans toute la Grèce. Le bataillon sacré des Thébains était composé d'amis de cette espèce; à Sparte, où il était interdit de se marier avant trente ans, chacun devait se choisir un compagnon préféré. Anacréon a rempli ses vers du nom de son cher Bathylle; Aristippe, Bion et Arcésilas, par leur doctrine et leur conduite, n'ont que trop justifié l'accusation portée contre eux de précepteurs de débauche et de corrupteurs de la jeunesse (3); le grave Plutarque raconte qu'Aristide et Thémistocle furent en rivalité d'amour pour le bon Stésilée de Céos; Phidias sculpta sur le doigt de Jupiter Olympien, qui devait être adoré de toute la Grèce, le nom de son favori, le

(1) ÉPICRATE, dans son Anti-Laïs, dont Athénée, XIII, p. 570, a conservé ce fragment.

(2) On peut le présumer d'après la défense qu'il en fit aux esclaves. PLUTARQUE, dans Solon : Νόμον ἔγραψε, διαγορεύοντα δοῦλον μὴ παιδεραστεῖν. Et ailleurs : Σόλων δοῦλοις μὲν ἐρᾶν ἀρρένων παιδῶν ἄνειπε.

(3) DIOGENE LAERCE, Arcésilas et Bion.

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