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<«< un autre, porte plainte à un juge, c'est une cause civile; « il y a cause politique si l'on croit que l'État a été outragé « par quelqu'un. » Mais, comme les rapports du citoyen avec P'État variaient, et que les cas particuliers devenaient des précédents légitimes, il était difficile de les discerner : dans les affaires civiles, l'accusation ne pouvait venir que de la partie civile; dans les causes politiques, tout individu avait le droit de la porter.

Les tribunaux, dans les démocraties, étaient nombreux; les juges : répondaient coupable, non coupable. Quant à la peine, si la loi ne l'avait pas déterminée, on la faisait établir par le coupable, et le tribunal décidait. Parmi tant de tribunaux, on ne savait pas toujours, comme aujourd'hui en Angleterre, quel était le compétent.

Nous nous arrêterons principalement sur Athènes, parce que nous connaissons mieux son histoire et ses grands écrivains; parce qu'elle est, en outre, la cité la plus mémorable de l'antiquité, excepté Rome, plus grande qu'elle sans doute, mais ‍qui n'a pas les mêmes droits à nos sympathies.

L'Attique, péninsule triangulaire dans la mer Égée, sèche et montueuse, avait à peine trente-six myriamètres carrés de superficie; elle s'étendait du cap Sunium au fleuve Cithéron, qui la séparait de la Béotie. Le Céphise la divisait en deux parties, l'occidentale et l'orientale; mais ordinairement on y distinguait les hautes terres au nord, appelées Diacrie, le territoire maritime ou Paralie, la plaine ou Pédion; il faut y comprendre Salamine et Égine. L'agriculture, l'éducation des animaux, l'exploitation des mines et des carrières de pierre, étaient pour l'Attique des sources de richesses (1).

L'agriculture, premier élément de richesse, était protégée par la loi, qui défendait l'exportation des grains, des figues, de l'huile et du vin. Le travail, fait par les esclaves, coûtait très-peu. Rien n'indique qu'une balance générale du commerce, telle que l'ont imaginée quelques modernes, leur fit exclure certains produits, et favoriser les fabricants au détriment des agriculteurs, ou vice versa, mais les circonstances semblaient justifier toute espèce d'entraves, les gouvernements antiques, avec leur liberté si vantée, ne s'étant pas proposé pour but la garantie des personnes et des propriétés. Aussi, dans les nécessités publiques, avait-on récours au monopole; l'entrée et la sortie des denrées étaient réglées de selon les convenances. On prohibait l'exportation du bois,

(1) BOECK, Économie politique d'Athènes (allemand ).

la cire, des cordages, du goudron, des outres, de tout ce qui servait à l'armement des vaisseaux; la vente des armes à l'ennemi était punie de mort.

On établissait des douanes plutôt pour se faire un revenu que pour favoriser l'industrie nationale; en général, il était permis d'exporter les matières brutes, bien que, dans certaines circonstances, on défendit celle des produits les moins abondants; de même, par haine de l'ennemi, on prohibait l'introduction de quelques autres articles de commerce.

D'autres lois opposaient au commerce des obstacles de toute nature : il y avait des taxes sur certaines marchandises ; il était défendu d'arracher les oliviers; les métèques ou étrangers ne pouvaient posséder ni maison, ni fonds de terre, ni vendre sur le marché public sans une autorisation particulière; on ne pouvait prêter d'argent sur un vaisseau qui n'avait pas apporté à Athènes du froment ou des denrées.

Athènes recevait des côtes de la Méditerranée des grains, des vins, du fer, du bronze; du Pont-Euxin, de la Thrace et de la Macédoine, du bois de construction, du goudron, des cordes, du cuivre; de la Phrygie et de Milet, de la laine et des tapis. Elle donnait en échange les objets sortis de ses fabriques, les produits et les huiles de son sol; en outre, elle transportait les vins qu'elle allait prendre sur les côtes et dans les îles de la mer Égée. Les navires marchands étaient si vastes qu'ils pouvaient contenir quelquefois jusqu'à 300 personnes, outre la chiourme, les esclaves et le chargement.

Solon avait déclaré l'argent marchandise; l'intérêt n'en était donc fixé par aucune loi. Son taux ordinaire s'élevait à une drachme par mine chaque mois; il fut parfois fixé au triple: onregardait donc comme honnête l'usure de dix ou douze pour cent. Les intérêts maritimes, outre le gage du prêt, s'élevaient jusqu'à trente-six; ils étaient en proportion des risques, de la durée, de la valeur du capital. Les lois étaient favorables aux créanciers et rigoureuses pour les débiteurs; elles punissaient de mort la soustraction d'un gage. Il y avait des banques où l'on déposait le numéraire et les billets, et l'une d'elles rapportait à Pascon un revenu net de cent mines (1), ou 10,000 francs par an. Comme le crédit

(1) L'obole vant 15 centimes; la drachme, 93; la mine, 92 francs; le talent, 5,560.

La proportion de l'argent à l'or est environ de 1 à 10. Les monnaies d'or étaient fort rares, et l'on n'en connaît de réelles que les statères, valant 18 fr. 53; il en reste beaucoup en argent.

était rare, les cautions qui duraient un an, se multipliaient à l'infini. Les dettes civiles n'engageaient pas la personne. Nous apprenons, par les harangues de Démosthène et les récits des historiens, que l'on connaissait, à la bourse du Pirée (λéon), les assurances, les lettres de change et même la monnaie fictive.

Il existait des dépôts publics de grains que l'on revendait au peuple à bas prix, et que l'on donnait souvent aux frais du trésor ou de quelques citoyens riches. On trouve l'inscription des dettes et les hypothèques dans plusieurs cités de la Grèce, mais non pas dans l'Attique, où, pour indiquer les biens engagés, on se servait de tables de pierre, sur lesquelles on gravait le nom du débiteur, celui du créancier et le montant de la somme.

Les prix étaient de beaucoup inférieurs à ceux de nos jours, attendu la rareté du numéraire, l'abondance des produits et le défaut de communications avec les pays lointains; ce qui rendait la concurrence plus grande entre les producteurs, et la diminuait entre les consommateurs. On a supposé que les prix d'alors équivalaient au dixième de ceux du siècle dernier. Sur cette donnée, calculons les revenus d'un Athénien.

Le capital de 100,000 fr., à un franc par mois, produisait un revenu annuel de 12,000 fr. Mettons 10,000, parce que, sans doute, les fermages, les loyers et les autres emplois de l'argent ne rendaient pas autant; mais cette somme suffisait pour satisfaire des jouissances et des besoins qui en exigent 100,000 aujourd'hui. Supposons le calcul exagéré; il n'en sera pas moins vrai qu'on se procurait alors, avec la même somme, un plus grand nombre d'objets.

Le taux des salaires était très-bas à cause du nombre des esclaves et des métèques. La journée d'un paysan, d'un jardinier, d'un porte-faix, valait 4 oboles. Le fret d'un navire, d'Athènes à Égine, coûtait 60 centimes; pour la moitié, on avait un bain. Quant aux artistes, aux musiciens et aux acteurs, c'était c'était par nes et talents qu'on les payait.

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Un hectare de terre se vendait 555 francs; les maisons, de 3 à 120 mines; un esclave, d'une demi-mine jusqu'à 10, prix de caprice : aussi l'argent employé à l'achat des esclaves produisait-il 15, 30 pour 100, et même davantage. Un cheval, selon Isée, coûtait 275 fr.; il évalue 100 chèvres, 60 brebis, un cheval et quelques meubles 30 mines, c'est-à-dire 2,748 fr.

Les habitants de l'Attique consommaient annuellement trois millions de médimnes de grains, et le pays n'en produisait que deux millions. Le médimne (équivalant à 51 litres 7 décilitres)

coûtait en Sicile 61 centimes; mais, dans l'Attique, au temps de Solon, il valait déjà une drachme, et Aristophane l'évalue à trois, Démosthène à 5 ou 6. Le vin se payait en moyenne 4 drachmes le métrète (39 litres); mais celui de Chios, au temps de Socrate, se vendait 91 fr., et l'huile 33 fr., à cause de la grande consommation.

Les Athéniens, à cause de la frugalité de leur table, étaient appelés μxρоτράrečo. Les riches ne faisaient par jour qu'un seul repas, à midi ou au coucher du soleil; les autres, deux. Un banquet splendide coûtait de 100 à 200 fr.

Les hommes s'habillaient de laine, et les femmes de lin; pour 10 drachmes, on avait une exomide, vêtement populaire; pour 12, une chlamyde mais on payait à prix d'or les étoffes de byssus. On déployait un grand luxe dans la chaussure; la commune de femme coûtait 2 drachmes, et 8 celle d'homme. Les parfums entraînaient de grandes dépenses; ceux de première qualité se payaient de 450 à 900 fr. le cotyle (environ 10 litres.)

Tout calculé, une famille athénienne, composée de quatre personnes libres, pouvait vivre, en limitant ses dépenses au strict nécessaire, avec 1 franc et 10 centimes par jour; Socrate, selon Xénophon, ne dépensait pas davantage. L'existence aisée commençait au-dessus de 650 fr. par an, et la dépense des riches s'élevait à 26,000 et plus.

Les anciens ne réduisirent pas en science la production et la distribution des richesses; ils n'y virent qu'un simple fait abandonné aux efforts individuels, et n'y cherchèrent point de principes généraux. La plupart des philosophes déclaraient l'argent chose nuisible, et, loin d'enseigner à l'acquérir et à faire des épargnes, ils en prêchaient le mépris. Ils visaient à rendre les États forts par la vertu, plutôt que riches par l'industrie. Platon Aristote et Xénophon sont les seuls qui touchent à cette partie de la science politique. Xénophon, dans ses Économiques, se montre plus philosophe qu'homme d'État; ayant moins pour but l'économie que la morale, il vante l'agriculture parce qu'elle donne de la vigueur au corps, blâme les arts parce qu'ils énervent, et croit la guerre un droit sans limites (1): doctrine si commune à tous les païens

(1) Le livre de Xénophon sur les Revenus d'Athènes, serait précieux s'il disait ce qui était; mais, au contraire, il se plaît à suggérer ce qu'il faudrait établir. Il conseille d'augmenter le nombre des esclaves, surtout pour creuser les mines. Si la république, dit-il, en avait 10,000, elle gagnerait cent talents par an ; il veut que ceux de l'État portent une marque particulière, et qu'on punisse les individus qui les achèteraient ou les vendraient.

Esclaves.

qu'Aristote considère la victoire comme le résultat nécessaire de la vertu, et que Cicéron fait du désir de commander un motif légitime de guerre. Platon, s'élevant au-dessus de ces maximes, proclame la justice éternelle; à ses yeux, le but du législateur est de rendre le pays heureux en le poussant à la vertu, car il ne saurait l'être sans une piété sincère et une obéissance parfaite. Posant en principe que l'intérêt réciproque rapproche les hommes et les oblige à coordonner leurs efforts, il en déduit la division du travail (1). La liberté est l'unique encouragement qu'il réclame pour le commerce belles lueurs de vérité, que l'on voit avec regret mêlées à la communauté des femmes, à l'esclavage, à l'infanticide, comme moyen d'obvier à l'excès de la population.

Pour Aristote, la richesse est l'abondance des choses mises en œuvre par le travail domestique ou public. Il devina la statistique lorsqu'il dit que, pour régler l'importation et l'exportation, il faut connaître combien il se consomme, et quels traités il convient de faire avec ceux à qui l'on a recours. Il admet la guerre comme un moyen naturel d'acquérir, la comparant à une chasse d'hommes qui, nés pour obéir, se refusent à la servitude : il semble, ajoutet-il, que la nature ait imprimé le sceau de la justice à de semblables hostilités.

L'horrible plaie de l'esclavage se laisse apercevoir à travers le manteau pompeux dans lequel se drape l'antiquité. Il y avait dans l'Attique trois cent cinquante mille esclaves con tre vingt mille citoyens proportion démesurée, et que nous voudrions croire fausse pour l'honneur de l'humanité, si les raisonnements opposés avaient la moindre valeur; mais on comptait aussi quatre cent soixante mille esclaves à Corinthe, quatre cent soixante mille à Égine, et, selon Athénée, l'Arcadie en contenait trois cent mille (2). Les divers États de la Grèce pouvaient, à eux tous, en réunir vingt

(1) Xénophon montre qu'il a eu une idée de la subdivision du travail, lorsqu'il dit dans la Cyropédie, liv. VIII, ch. II : « Dans les petites villes, le même homme fait des lits, des portes, des charrues, des tables; souvent aussi il fait encore la maison, s'estimant heureux quand il trouve assez de gens qui l'occupent pour lui faire gagner sa vie; or il est impossible que l'ouvrier qui travaille en plusieurs genres réussisse également bien dans tous. Au contraire, dans les grandes villes, où une multitude d'habitants ont les mêmes besoins, un seul métier suffit pour nourrir un artisan; souvent même ne fait-il pas ce métier dans son entier, car l'un fait des chaussures d'hommes, et un autré celles de femmes. Tel gagne sa nourriture à coudre des brodequins, tel autre à les tailler; celui-ci fait des vêtements neufs, celui-là les raccommode. L'homme qui s'applique constamment à un même ouvrage doit, de toute nécessité, réussir à le faire parfaitement. >>

(2) ATHÉNÉE, VI, 20, 103. Schol. de Pindare, Olymp. III; Bock, VI, 42.

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