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de la Grèce, Thémistocle l'abandonna aux Perses, et fut vainqueur, de même qu'Alexandre abandonna Moscou à Napoléon et triompha. Mais Périclès pouvait-il avoir le courage d'exposer la cité qu'il avait tant agrandie, qui lui devait ses embellissements et sa splendeur? Il arma donc seize mille hommes de garde urbaine, choisis parmi ceux qui avaient dépassé ou n'avaient pas atteint l'âge militaire; mais, plus habile à conduire une intrigue qu'à combiner les préparatifs meurtriers d'une guerre, il procédait avec plus de timidité que de prudence, moins en général expérimenté qu'en vieillard affaibli.

Les Spartiates s'avançaient lentement, conduits par leur roi Archidamus, et dévastaient la campagne déserte, tandis que les Athéniens ravageaient les côtes du Péloponèse. Cependant cette guerre, qui durant vingt-sept ans désola la Grèce et moissonna la fleur de ses guerriers, doit être considérée plutôt comme une lutte de principes que comme une guerre de nation contre nation. Sparte était à la tête de la faction aristocratique; Athènes représentait le parti démocratique, et mettait tout en œuvre pour faire prévaloir dans les autres États la multitude sur les grands; sa rivale, au contraire, cherchait toujours à faire triompher l'oligarchie chez ses alliés comme chez les vaincus. Les guerres de cette nature sont presque toujours très-meurtrières. Il était d'ailleurs facile de prévoir, comme Athènes avait des forces supérieures sur mer, et ses ennemis sur la terre ferme, qu'on se ferait beaucoup de mal de part et d'autre, avant que cette grande querelle fût vidée.

Quand les Athéniens faisaient une descente sur les côtes, les Spartiates et leurs alliés accouraient défendre leur territoire, dégageaient l'Attique et se dispersaient; mais ils revenaient bientôt avec leurs forces restées intactes, de sorte que, pendant trois années, ce fut plutôt un brigandage qu'une guerre. L'hiver venu, les ennemis se reposaient, ou plutôt se préparaient à de nouveaux combats, et célébraient avec solennité les funérailles des guerriers morts pour la patrie.

La campagne de l'Attique étant ravagée, ses habitants durent se réfugier dans la ville, où ils supportèrent, pour se loger et se nourrir, tous les inconvénients qu'entraîne une affluence extraordinaire de population. De cruelles souffrances, des maladies, une grande mortalité résultèrent de cette accumulation; mais le fléau le plus grand de tous, la peste, vint mettre le comble Peste d'Athè à tant de maux. Sortie de l'Éthiopie, elle avait commencé par désoler l'Égypte; elle fit alors invasion en Grèce, où le Pirée, exposé au contact des étrangers, dépourvu de ces lazarets qu'une

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Fin de Péri

clès.

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époque de civilisation institua, et que la nôtre voudrait détruire,
fut le premier atteint et ravagé. Sur une multitude épuisée par de
longues privations, entassée non-seulement dans les maisons, dans
les temples, dans les théâtres, mais encore sur les tours, entre les
créneaux des remparts, le long de la muraille du Pirée, la contagion
se déchaîna avec des symptômes effrayants; on était frappé subi-
tement, en pleine santé, sans cause apparente, et rapidement pré-
cipité au tombeau. Mais, hélas! le grand nombre des victimes ne
permit pas longtemps de leur donner une sépulture, de remplir
ce pieux et salutaire devoir. Les morts gisaient amoncelés là où
ils avaient rendu le dernier soupir, ou comme on les avait jetés,
le long des rues, sur les places, affligeant la vue, souillant l'air
et fournissant au fléau un nouvel aliment. Des superstitions, des
désordres, des brutalités de toute nature, ajoutaient encore à une
si grande calamité. On répandait le bruit que l'ennemi avait en-
voyé des émissaires pour empoisonner les puits, et malheur à
ceux sur lesquels tombait le soupçon ! Il semblait que l'on voulût,
en se livrant avidement à de grossiers plaisirs, se hâter de jouir
d'une vie qui allait échapper. A côté de nombreux témoignages
d'une charité compatissante s'offraient des exemples d'une per-
versité affreuse. Beaucoup de malades mouraient en blasphé-
mant, et, s'ils levaient les yeux au ciel, c'était pour le mau-
dire de confondre l'innocent avec le coupable. Cette peste terrible
sévit sur les Athéniens, tantôt plus, tantôt moins, pendant deux
ans environ, puis recommença ses ravages, si bien
que cinq mille
hommes portés sur les rôles de l'armée furent moissonnés : qu'on
juge par là du nombre des autres victimes.

Périclès, ayant échoué dans quelques entreprises, accusé d'avoir propagé la contagion par ses expéditions, tomba dans la disgrâce du peuple, qui le destitua et le condamna à une amende. Son éloquence lui ramena, mais pour peu de temps, la faveur mobile de ses concitoyens; après avoir vu tous ses fils succomber à l'épidémie, et sa patrie engagée depuis deux ans et demi dans une guerre désastreuse occasionnée par son ambition, il fut lui-même atteint de la peste. Ses amis, réunis autour de son lit de mort, rappelaient; ses grandeurs et ses triomphes; mais, les interrompant d'une voix affaiblie, il leur dit : Les généraux, les soldats et la fortune y ont eu leur part. Ce qui me console à cette heure, c'est de penser que je n'ai fait porter le deuil à aucun citoyen.

Voulait-il tromper sa propre conscience, ou abuser la postérité ? L'un est aussi difficile que l'autre.

Sa mort inspira à l'ennemi, qui profitait, comme on le pense bien, de l'état misérable où se trouvait Athènes, un redoublement de confiance. Le théâtre de la guerre s'élargit, une fois que les Athéniens eurent contracté alliance avec les rois de Thrace et de Macédoine, et que les Spartiates cherchèrent à se liguer avec la Perse. Les sept années qui suivirent la mort de Périclès ne nous enseignent autre chose que le degré d'habileté où peut atteindre l'homme dans l'art de nuire à ses semblables. Les habitants de Platée s'étaient rendus, sous promesse qu'ils auraient la vie sauve; mais les Spartiates, réputés parmi les Grecs comme des modèles de probité (1), voulant complaire à Thèbes, firent égorger judiciairement deux cents des principaux citoyens (2) et démolir leur ville. A Potidée, les assiégés se trouvèrent réduits à une telle extrémité qu'ils se nourrissaient de chair humaine. Sparte, craignant que les ilotes ne tentassent quelque soulèvement, feignit de donner la liberté à neuf mille d'entre eux, les plus recommandables par leur valeur; ils furent promenés dans la ville, ornés de guirlandes de fleurs, puis on les fit partir, et l'on n'en entendit plus parler (3).

(1) Thucydide, III, 57. Bloomfield observe avec raison que cette réputation était bien imméritée. Indépendamment du massacre des neutres et de la destruction de Platée, aucun crime ne leur coûta jamais pour satisfaire leur ambition.

(2) Les Platéens disaient aux Spartiates : « Il est facile de détruire nos corps; mais vous ne parviendrez pas à effacer l'infamie d'un tel acte; car ce ne sont pas des ennemis que vous punirez en nous, ce qui serait justice; ce sont des amis que la nécessité a réduits à vous combattre... Tournez vos regards vers les tombeaux de vos pères, qui, tués par les Mèdes, sont ensevelis dans notre sol, et que, chaque année, nous honorons publiquement de vêtements et d'obsèques avec toutes les solennités d'usage: nous leur offrions les prémices de tous les fruits de cette terre; amis, nous leur apportions les dons d'une terre amie; alliés, nous honorions en eux d'anciens compagnons d'armes... En nous donnant la mort, en rendant le sol thébain, de platéen qu'il était, vous ne feriez qu'abandonner dans une terre ennemie et près de leurs meurtriers vos pères et vos proches, et les dépouiller des honneurs dont ils jouissent maintenant. Auriezvous donc le courage d'asservir cette terre sur laquelle les Grecs acquirent la liberté, de rendre déserts les temples de ces dieux qu'ils invoquaient en désaisant les Mèdes, d'abolir les sacrifices nationaux de ceux qui fondèrent et élevèrent ces temples? »

(3) « Les Lacédémoniens, qui avaient déjà mis en usage plusieurs expédients pour se trouver toujours en état de défense à l'égard des ilotes, les voyant alors nombreux et jeunes, ce qui leur inspirait des craintes, eurent recours à la ruse que voici : ils proclamèrent que ceux qui prétendaient s'être montrés les plus vaillants dans les guerres faites au profit de l'État se séparassent des autres pour obtenir la liberté. C'était un piége qu'ils leur tendaient, dans la pensée que ceux qui se présenteraient les premiers pour réclamer la liberté seraient aussi, par

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Le caractère sacré d'ambassadeur, n'était respecté ni d'un côté ni de l'autre, comme si l'on eût voulu anéantir tout moyen de réconciliation. Lesbos, l'île la plus grande et la plus puissante de la mer Égée, renfermait plusieurs cités florissantes; dans le nombre était Mitylène, qui, lorsque le gouvernement républicain fut introduit dans l'île, lutta contre Méthymne et d'autres villes, qu'elle soumit avec le reste du territoire et une partie de la Troade. Renommée pour ses habitudes de vie recherchée non moins que pour avoir donné le jour à Arion, Terpandre et Méthymnus, puis à Sapho, à Erinne et à Alcée, elle avait eu pour législateur Pittacus, l'un des sept sages de la Grèce. Après la guerre médique, elle fit alliance avec Athènes; mais, comme celle-ci abusait du pouvoir, les Mityléniens préférèrent la guerre avec la liberté à la paix avec l'esclavage. Cette résolution généreuse leur coûta cher; Cléon et les Athéniens les réduisirent à une telle extrémité qu'ils durent capituler. Cléon avait hérité de l'influence de Périclès; c'était un homme médiocre, au langage flatteur, un démagogue qui ne savait conseiller que les partis les plus violents. Parfois il triompha du péril pour l'avoir affronté sans le connaître; mais le hasard, qui pouvait le rendre vainqueur, ne pouvait en faire un bon général. Il persuada au peuple que, pour faire un exemple solennel, il fallait massacrer tous les Mityléniens, et réserver à l'esclavage leurs femmes et leurs enfants (1). Son opi

l'élévation de leur caractère, les plus disposés à conspirer. En ayant donc choisi deux mille, ils les conduisirent, parés de guirlandes, autour des temples, comme s'ils eussent déjà été affranchis; mais, peu de temps après, on les fit disparaître, et personne ne sut par quel genre de mort ils avaient péri. Ils en expédièrent promptement sept cents autres pesamment armés, sous le commandement de Brasidas, qui le désirait ardemment, et qui se procura, au moyen de la solde, d'autres troupes dans le Péloponèse. THUCYDIDE, IV, 80.

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(1) Cléon s'exprimait en ces termes : « Je m'étonne qu'on remette en question l'affaire des Mityléniens, et qu'on y apporte des délais qui sont tout à l'avantage des coupables; car, de cette manière, l'offensé poursuit l'agresseur avec un courroux moins vif, au lieu que, lorsque la répression suit de près l'injure, elle ne lui cède en rien, et la vengeance est entière... La faute en est à vous, à la légèreté de vos décisions, à vous qui siégez d'ordinaire tranquilles spectateurs des paroles et auditeurs des faits; à vous qui croyez que les choses à venir peuvent être amenées par les discours des beaux parleurs. Quant au passé, vous accordez moins de confiance à ce que vous avez vu de vos propres yeux qu'à ce que vous entendez de discoureurs habiles à farder agréablement la vérité. Vous êtes d'excellentes gens pour vous laisser abuser par la nouveauté d'un discours, et vous ne savez pas suivre une résolution adoptée; toujours esclaves de ce qui est extraordinaire, dédaigneux de ce qui est habituel, chacun de vous a la rage de passer pour un vaillant orateur, sinon au point d'entrer en lice avec celui qui l'est réellement, assez du moins pour ne pas paraitre vous ranger à l'avis d'un

nion l'emporta, et des ordres furent envoyés pour agir en consé quence. Mais, dans une nouvelle assemblée, Diodote sut réveiller, chez les Athéniens, quelques bons sentiments; on expédia une trirème qui, faisant force de rames, arriva heureusement lorsqu'on lisait le décret, et peu d'instants avant qu'il fût exécuté. Le châtiment se réduisit au massacre d'un millier des principaux citoyens; la ville fut démantelée, les navires saisis, les terres par-tagées entre les Athéniens, et le reste des habitants soumis à un tribut. Peut-être de pareilles délibérations étaient-elles prises sur la place même où s'élevait l'autel de la Pitié.

Un grand nombre d'émigrés de Pylos, unis aux Corcyréens ennemis de la faction athénienne, se réfugient sur une colline, et, après une défense opiniâtre, capitulent sous la condition d'être transférés dans l'île de Ptychia, jusqu'à ce qu'Athènes prononçât sur leur sort; la convention devait être annulée si un seul cherchait à s'échapper. Des Corcyréens leur offrirent avec intention les moyens de s'enfuir, et, pour les décider, leur inspirèrent de vaines terreurs; quelques-uns, trop crédules, prirent la fuite, furent arrêtés, et Thucydide avoue que les généraux athéniens avaient trempé dans ce guet-apens. Aussitôt on les enferma dans un vaste édifice, d'où on les tirait par vingtaines pour les faire passer entre deux rangées d'oplites, qui les égorgeaient; comme les autres refusaient de sortir, on découvrit le toit de leur refuge, où ils furent tués à coups de pierres et de traits. Le massacre continua toute la nuit; le matin venu, on transporta les cadavres hors de la ville, et Corcyre fut réconciliée (1).

Quand nous aurons ajouté que les Athéniens décrétèrent en pleine assemblée qu'on couperait le poing à tous les prisonniers, pour les mettre dans l'impossibilité de manier encore la rame, on concevra une triste idée de leur civilisation si vantée, et l'on aura la

autre; vous louez d'avance celui qui a quelque chose de spirituel à vous dire; vous devinez avec une extrême promptitude la pensée de celui qui vous parle, mais vous êtes très-lents à en prévoir les conséquences; vous rêvez un état de choses opposé, pour ainsi dire, à celui dans lequel nous vivons : très-mauvais appréciateurs du présent, esclaves, en un mot, du plaisir de l'oreille, vous ressemblez bien plus à des spectateurs assis pour entendre des sophistes qu'à des citoyens qui délibèrent sur le salut de la patrie. En m'efforçant de vous mettre en garde contre de pareils égarements, je déclare que Mitylène, une seule ville, est coupable envers vous de la plus cruelle offense... Ne laissons donc aux Mityléniens aucune espérance; il ne faut pas qu'ils puissent compter sur l'éloquence et sur l'argent pour acheter leur pardon. » ThucyDIDE, III, 38, 39.

(1) THUCYDIDE, IV, 48.

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