Imatges de pàgina
PDF
EPUB

de religion. Le commerce était la principale source de leur prospérité; placées généralement dans des régions très-favorables, appelées à se constituer chacune un gouvernement, une administration, elles multipliaient les expériences, faisaient mûrir les idées politiques, et hâtaient par elles le développement des intelligences. Aussi les plus beaux esprits de la Grèce appartiennent-ils à ses colonies Hérodote à Halicarnasse, Hippocrate et Apelles à Cos, Homère à l'Ionie, Thalès à Milet, Pythagore à Samos, Xénophane à Colophon, Anacréon à Téos, Anaxagore à Clazomène. Dans l'architecture, elles créèrent les ordres ionique et dorique; la philosophie prit son premier essor dans l'Ionie. On dirait qu'elles durent servir de canaux pour transmettre à l'Europe les connaissances de l'Asie et de l'Afrique.

Bien que séparées de la mère patrie, les colonies conservaient pour elle de l'attachement, puisqu'elles lui avaient emprunté leur culte, leurs institutions, leurs lois civiles et politiques. L'Apollon de Delphes, le Jupiter d'Élis et la Minerve d'Athènes recevaient des offrandes des colonies. En outre, le droit d'hospitalité qui s'exerçait parmi les citoyens des divers États de la Grèce, s'étendait aux colonies respectives; leurs habitants avaient donc dans la métropole des protecteurs qui les recevaient chez eux, les défendaient et surveillaient leurs affaires. Non-seulement ils assistaient aux jeux publics et aux solennités religieuses, mais ils pouvaient concourir pour les prix. Dans leurs relations commerciales avec la métropole, exportations et importations, les colonies jouissaient de l'immunité; la métropole admettait parmi ses citoyens (isopolitia) les colons qui le méritaient. Les citoyens de la mère patrie qui se transportaient dans une colonie, y exerçaient la présidence (proedria) des sacrifices et des fètes, et étaient admis dans les assemblées du sénat et du peuple.

Nous n'entendons point parler ici des colonies des Pélasges et des Hellènes qui, dans des temps très-reculés, passèrent en Italie et en Espagne; elles cessèrent tout à fait d'être grecques, et nous nous en sommes occupé ailleurs. Il s'agit maintenant de celles qui plus tard s'établirent, à l'orient, sur les côtes de l'Asie Mineure et de la Thrace; au couchant, dans la Sicile et dans la basse Italie; puis de quelques autres, éparses sur des rivages plus lointains.

A peine l'expédition des Argonautes et la guerre de Troie Asie Mineure eurent-elles fait connaître aux Grecs les plages de l'Asie Mineure, que les colonies s'y multiplièrent, de l'Hellespont jusqu'aux confins de la Cilicie: ce furent les plus anciennes et les plus importantes. Elles fleurirent par le commerce non moins que par la

Colonies

éoliennes.

Eolide. Smyrne.

Lesbos.

680?

poésie, qui rendit si célèbres les cygnes du Caystre; ce fut peutêtre l'invasion des Doriens qui poussa sur ces bords les premières colonies éoliennes, dans lesquelles il faudrait plutôt voir des immigrations et des déplacements de peuples expulsés. Les Pélopides, chassés du Péloponèse, s'y établirent; Oreste, Penthilus, son fils, Archélaüs, fils de ce dernier, Graïs ou Gras, fils d'Archélaüs, étendirent successivement leur lente conquête jusqu'à l'Hellespont. Les Béotiens et autres Grecs exilés de leur patrie vinrent se joindre à eux, et les aidèrent à s'emparer de la Mysie et de la Carie, des îles de Lesbos, Ténédos, Hécatonnèse. Ils conquirent sur le continent jusqu'au mont Ida, y propagèrent le nom d'Éolide et fondèrent douze cités, parmi lesquelles Cume et Smyrne brillèrent au premier rang. Cette dernière, qui se vantait d'avoir donné le jour à Homère et qui lui avait élevé un temple, fut depuis comprise dans l'Ionie; détruite par les Lydiens, vers 600, elle fut reconstruite quatre cents ans après par Antigone.

De même que l'on citait l'Ionie pour la douceur de son climat, l'Éolide l'était pour son étendue et sa fertilité; comme chacune de ses villes avait sa constitution particulière, au fond démocratique, et qu'elle se trouvait ainsi agitée par les dissensions intestines, les Æsymnètes avaient la mission de les apaiser, et des pouvoirs illimités leur étaient confiés à cet effet pour un temps déterminé. Elles tenaient des assemblées générales, mais seulement dans des circonstances graves, et le plus souvent à Cume. Le principal établissement des Éoliens fut Lesbos, habitée d'abord par les Pélasges, et qui, après avoir été gouvernée par plusieurs tyrans, dut sa constitution à Pittacus, l'un des sept sages de la Grèce. Le poëte Alcée, qui conspira contre lui, lui reproche d'être gras, d'avoir de grands pieds, d'être négligé dans ses vêtements et de sortir d'une famille obscure : gloire à lui si un ennemi ne sut lui trouver que de pareils torts! Il disait: Heureux le peuple qui ne permet pas aux méchants de le gouverner, et qui y oblige les gens de bien. Le pardon vaut mieux que le remords d'un châtiment irréparable. - L'État le plus fort est celui que régissent des lois

écrites et connues de tous.

Dans la prospérité, fais-toi des amis; dans la disgrâce, éprouveles. Prévois les malheurs afin de les éviter, et supporte-les quand ils sont arrivés. Ne fais pas connaître tes projets, dans la crainte d'exciter la railleries s'ils échouent. Pouvoir faire le

mal est un grand encouragement à mal faire.

Ses lois punissaient doublement celui qui commettait un délit dans l'ivresse, son intention étant de prévenir les excès auxquels

entraînaient les vins célèbres de Lesbos. Mitylène était la ville la plus renommée du pays; extraordinairement riche et puissante sur mer, on ne la citait pas moins pour ses mœurs efféminées. La tête d'Orphée y rendait des oracles, et le temple de Junon était l'arène où les femmes se disputaient le prix de la beauté. Arion et Terpandre se firent une grande réputation comme musiciens; leur art devait être en honneur chez les Mityléniens, puisque, voulant punir des alliés infidèles, ils défendirent d'enseigner à leurs enfants la musique et les belles-lettres.

[ocr errors]

A la même époque de l'invasion dorienne, les Ioniens, chassés du Péloponèse par les Achéens, s'étaient réfugiés à Athènes. Nélée et les autres fils de Codrus, que la liberté nouvelle excluait du trône, ne pouvant rester tranquilles, l'oracle de Delphes, c'est-àdire l'assemblée des Amphictyons, leur ordonna d'emmener les Ioniens hors de l'Attique : sage expédient pour obvier à une restauration menaçante. Des Thébains, des Phocidiens, des Abantes de l'Eubée et d'autres Grecs dispersés dans cet ébranlement général, se joignirent à eux, et ils allèrent occuper les plages méridionales de la Lydie et celles au nord de la Carie; cette contrée reçut dès lors le nom d'Ionie. Ils fondèrent douze cités, nombre rituel que nous retrouvons dans toute l'antiquité sur la terre ferme (en les désignant du nord au midi) Phocée, Érythrée, Clazomène, Téos, Lébédos, Colophon, Éphèse, Priène, Myonte, Milet; dans les îles, Samos et Cos. Dans le Panionium, temple de Neptune, bâti à frais communs sur le promontoire de Mycale, ils célébraient les solennités nationales, et délibéraient sur les intérêts généraux. Les formes républicaines prévalaient généralement dans toutes ces villes; mais le triomphe alternatif des factions les livrait tantôt aux maux de la tyrannie, tantôt à ceux, pires encore, de l'anarchie. Les villes, pourtant, restèrent indépendantes l'une de l'autre jusqu'à ce qu'elles se soumirent aux Mermnades, qui occupaient le trône de Lydie, et aux Perses de Cyrus; mais elles conservèrent, même sous la domination étrangère, leur constitution intérieure, payant seulement un tribut, et aspirant toujours à recouvrer leur entière liberté, ce qui fut la première cause de la guerre contre les Perses.

Les philosophes Bias et Thalès, l'écrivain politique Hippodamus, natif de Milet comme Anaximandre, fondateur de l'école ionienne, Anaximène, son élève, et le géomètre Euclide, Anaxagore de Clazomène, Archélaüs, le maître de Socrate, Xénophane de Colophon, et d'autres noms illustres, rendent témoignage de l'état prospère des études dans l'Ionie; mais ces études profitèrent

HIST. UNIV.

T. II.

9

Colonies

ioniennes,

1140.

Milet.

peu à la liberté politique, car la douceur du climat, l'opulence, l'exemple des Asiatiques rendirent les Ioniens mous et efféminés. La poésie, devenue chez eux un instrument de mollesse et de corruption, essayait pourtant quelquefois de les arracher à ce sommeil paresseux. Callinus disait aux jeunes Éphésiens : « Jus« qu'à quand resterez-vous oisifs, ô jeunes gens? n'aurez-vous << jamais une âme forte et vaillante? Vos voisins ne vous font-ils << pas honte, insouciants que vous êtes? Espérez-vous dormir en << paix, quand la guerre envahit toute la terre? Levez-vous, levez<< vous que chacun, dans le combat, heurte de son bouclier un << ennemi, et lance en mourant un dernier trait; car il est hono«rable, il est glorieux de combattre pour sa patrie, pour ses enfants, pour sa jeune épouse. La mort viendra quand les Parques « l'auront décidé. Eh bien! marchez en avant la pique haute, et << sous le bouclier ramassez toute votre énergie au moment de la «< mêlée. L'homme ne peut fuir l'heure fatale, fût-il même du sang <<< des dieux immortels. Souvent celui qui, par la fuite, se soustrait << au tumulte de la bataille, au sifflement des javelots, trouve la a mort dans ses foyers; mais il ne laisse dans le peuple aucun sou<< venir d'affection, aucun regret, tandis que si quelqu'un tombe « victime du sort, petits et grands le pleurent, car ils l'ont vu, << semblable à une tour, faire seul ce qui serait étonnant de la « part de plusieurs. »

Milet avait été fondée par les Cariens, avant l'arrivée des Ioniens; mais elle n'acquit qu'après leur arrivée la richesse et la puissance, qu'elle dut surtout à son commerce, presque égal à celui de Tyr et de Carthage. Elle arma jusqu'à cent vaisseaux dans ses quatre ports, et, semblable à la Doris de la fable, mère de cinquante filles, elle avait fondé près de trois cents colonies, principalement sur la mer Noire et sur la mer d'Azof; de là, elle pénétrait dans la partie méridionale de la Russie moderne, et, vers l'orient, dans la grande Bucharie, c'est-à dire jusqu'aux pays voisins de la mer Caspienne, pour en tirer des blés, des poissons séchés, des esclaves et des fourrures; en même temps, elle suivait par terre la route que les Perses avaient ouverte, et, s'avançant au loin dans l'intérieur de l'Asie, elle s'assurait le monopole des denrées septentrionales.

Agitée par des dissensions intestines, elle réclama l'arbitrage de quelques habitants de Paros, qui se rendirent à son invitation; les envoyés visitèrent le pays, et, remarquant les terres les mieux cultivées, ils conseillèrent aux Milésiens de confier le gouvernement à leurs propriétaires, persuadés qu'ils apporte

raient dans l'administration de la chose publique le même soin attentif dont ils avaient fait preuve pour leurs intérêts domestiques.

Une autre fois, les jeunes filles furent prises d'une telle manie de suicide que prières, remontrances, châtiments, étaient impuissants à les en détourner. Le seul remède efficace fut de décréter que le cadavre de celles qui se donneraient la mort serait exposé nu aux regards du public; ainsi, le sentiment de la pudeur l'emporta chez elles sur l'instinct de la conservation.

La période de la plus grande splendeur de Milet est comprise entre les années 700 et 500 avant J.-C.; c'est à cette dernière époque qu'elle prit part à la révolte d'Aristagoras contre les Perses, qui la renversèrent de fond en comble (1) en 496.

Le commerce de Phocée s'étendait au contraire vers l'occident; elle était renommée pour ses fortes murailles, la construction particulière de ses vaisseaux, ses belles campagnes arrosées par l'Hermus, les qualités propres à ses citoyens, rusés, laborieux et passionnés pour la liberté. Elle lançait jusqu'au détroit de Gadès ses navires, qui visitaient les côtes de l'Italie, de la Gaule, de l'opulente Espagne, et surtout l'île de Corse, fondant différentes colonies. Lorsque les Perses se furent rendus maîtres de l'Ionie, les Phocéens, impatients du joug, s'expatrièrent. Bien qu'ils eussent, en jetant une masse de fer rouge dans la mer, proféré des imprécations contre ceux qui reviendraient dans leur pays avant que cette masse de fer surnageât, quelques-uns se repentirent et rentrèrent dans l'Ionie; mais la plupart se fixèrent en Corse, où ils commencèrent un commerce si actif, que les Tyrrhéniens et les Carthaginois en concurent de la jalousie et se liguèrent contre eux; repoussés de vive force, les Phocéens se réfugièrent dans la Lucanie, où ils bâtirent Vélia ou Élée, entre Posidonia et Tarente.

La plus importante de leurs colonies fut Massalia (2), où ils conservèrent les lois et les usages de l'Ionie, mais en substituant une aristocratie tempérée à la démocratie sans frein. Ils se répandirent de là sur tout le littoral de la mer Tyrrhénienne jusqu'à Gênes, peuplant ou accroissant Monaco, Nice, Antibes, l'île de Lérins et celles d'Hyères, Olbie, Tauroentum, Citharista, Agatha, Rhodanusie. Plus tard, Massalia fonda en Espagne Rhoda, Emporium, Héméroscopium, Héraclée, Ménacé. Semblable à la Gênes du seizième siècle, Massalia ne dut pas tant ses richesses à l'étendue de son commerce qu'à l'ordre et à l'économie. Obligée

(1) RAMBACH, de Mileto ejusque coloniis; 1790, in-4°.

(2) Elle fut ainsi appelée de mass, mot celtique qui signifie demeure, et des Salyens, qui habitaient entre la Durance, le Rhône et la mer.

Phocée.

540.

Marseille.

599.

« AnteriorContinua »