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effet pourrait être un pareil instrument entre les mains d'un génie factieux.

L'abbé de Mably a très-bien prouvé que la puissance des Parlemens était une puissance usurpée; mille autres écrivains ont dit et répété avec beaucoup de raison qu'il n'y avait rien de si absurde que de voir des juges s'ériger en législateurs, et s'imaginer que, pour quarante ou cinquante mille francs, ils avaient acquis le droit de prescrire des limites à l'autorité royale, le droit de représenter la Nation sans son aveu; mais il n'en est pas moins constant que, si le pouvoir que les Parlemens s'attribuent ne leur a jamais été confié, il leur a été certainement abandonné, puisqu'on les a vus l'exercer depuis long-temps, mais à la vérité, suivant les circonstances, avec plus ou moins d'éclat ; ce qu'on peut contester encore, c'est que par le fait aucun autre Ordre, aucune autre Assemblée, pas même celle des États-Généraux, n'a décidé de plus grandes questions nationales que le Parlement de Paris, car il a cassé le testament de Louis XIV plus arbitrairement qu'il n'oserait casser celui d'un particulier; il a disposé deux fois de la régence; il a consenti bien sûrement plus d'impôts que n'en avaient jamais accordé tous les États-Généraux réunis, etc. Après cela, comment se trouver conseiller au Parlement et ne pas se croire, au moins dans certaines circonstances, un peu plus que Roi?

Cette puissance parlementaire, tour-à-tour si

faible et si redoutable, jamais reconnue, mais toujours assez inquiétante, s'est vue souvent tourmentée, exilée, honnie, humiliée, renversée même, sans que le principe essentiel de sa force en eût éprouvé la moindre atteinte; c'était. toujours le palladium de la liberté nationale, parce qu'il n'en existait plus aucun autre. L'ancienneté de l'abus qui l'avait élevé à cette dignité en était le titre le plus respectable, et tout le monde se croyait intéressé à respecter un corps si fort intéressé lui-même à maintenir tous les abus consacrés en quelque sorte par son silence ou par

son aveu.

Ce n'est qu'en essayant de remplacer par quelque chose de réel ce qui pour tout Ministre habile n'était qu'un fantôme plus ou moins importun, que la Nation pouvait être amenée à désirer véritablement un autre état de choses. C'est ce que le Parlement crut voir dans l'établissement des administrations provinciales, quel que prudente, quelque monarchique qu'en fût la première constitution; c'est ce qu'il vit avec plus de terreur encore dans la convocation d'une Assemblée des Notables: il ne douta plus que le projet de l'autorité ne fût de se passer de lui; et voilà quelle fut évidemment la première époque du plan de résistance, ou pour mieux dire d'insurrection manifeste de toute l'aristocratie parlementaire, à laquelle crut devoir se réunir bientôt celle des Nobles et du Clergé. Toutes ces puissances subalternes se crurent menacées à la fois

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par celle de l'autorité ministérielle; toutes ne virent plus d'autre ressource que celle d'en appeler à la Nation, et la Nation, qui depuis si longtemps n'était plus rien, sentit enfin qu'elle devait, qu'elle pouvait être quelque chose.

Jamais aucun Ministre n'avait montré autant de

talent que M. de Brienne pour décomposer une grande machine politique. Il en désunit, il en faussa tous les ressorts, on peut dire que dans l'espace de peu de mois, grâce à l'heureux ascendant de son génie, on ne vit plus un seul corps en France rester à sa place ou conserver son mouvement naturel. Le Parlement adopta tout-à-coup le système le plus contraire à ses intérêts, un système qu'il avait anathématisé cent et cent fois. La Noblesse, dont l'existence tient le plus intimement aux droits du Trône, eut l'air de vouloir s'en séparer. L'esprit militaire parut dminé lui-même par je ne sais quel patriotisme, louable au fond peut-être, mais difficile à concilier avec ce caractère de subordination sans lequel il n'y aura jamais ni discipline, ni armée. Le Clergé ne prêcha plus l'obéissance, le soldat se montra moins disposé à la maintenir; ce qu'il y a de très-remarquable encore, c'est que ce mécontentement universel avait été précédé des déclarations les plus favorables à la liberté publique : le Roi yenait de faire plus de sacrifices de son autorité qu'on n'en avait jamais osé attendre d'aucun de ses prédécesseurs. Les Parlemens avaient appelé à grands cris le secours qu'ils avaient le plus à redouter, entraînés par

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la voix d'un des hommes qui avaient le moins de considération dans leur corps, d'un abbé S....... (1); tous, comme pressés par quelque sance surnaturelle, avaient demandé la convocation des États-Généraux, et fait pour ainsi dire amende honorable aux pieds de la Nation pour avoir usurpé si long-temps le plus beau de ses droits. Dans l'Assemblée des Notables, la Noblesse et le Clergé avaient déjà reconnu la justice d'une répartition égale de tous les impôts..... Comment imaginer que tant de résolutions désintéressées, tant d'actes solennels de patriotisme et de vertu ne serviraient qu'à fomenter le trouble, accroître le désordre, porter au comble les embarras et le désespoir de l'administration? D'abord on crut, et peut-être était-il assez naturel de croire, que.de si grands sacrifices ne pouvaient avoir été offerts de bonne foi. Ce sentiment vague d'inquiétude et de défiance ne put manquer de s'accroître lorsqu'on vit la marche incertaine du Ministre, essayant tour-à-tour de la politique de Richelieu et de celle de Mazarin, sans avoir même assez d'art pour jouer ni l'une ni l'autre; défaisant le lendemain ce qu'il avait fait la veille; croyant réparer sans cesse un acte de violence par un acte de faiblesse, et presque toujours l'acte de faiblesse par un acte de violence plus révoltant que ceux qui

(1) M. l'abbé S....... peut avoir beaucoup de mérite et de vertu, il ne s'agit ici que d'opinion, et les services qu'il avait rendus à M. de Calonne et au sieur de Beaumarchais l'avaient étrangement compromis.

l'avaient précédé ; entreprenant, au milieu du désordre le plus alarmant des finances, ce qu'il eût même été difficile de faire réussir avec les ressources les plus abondantes; aliénant enfin toute la Cour et bientôt après toute la Nation par des réformes et des suppressions dont le résultat ache. vait de tarir tous les canaux de la richesse et du crédit.

C'est dans ces circonstances désespérées que fut rappelé M. Necker, et plutôt comme le Ministre de la Nation que comme celui de l'autorité; il ne dépendait plus au moins de son choix de remplir un de ces ministères sans s'imposer en même temps toutes les obligations de l'autre. Ce n'est qu'en les réunissant avec toute la sagesse de son génie et toute la conscience de sa vertu qu'il pouvait justifier le prix le plus glorieux qu'aucun particulier ait jamais obtenu de l'estime publique.

Jusqu'ici nous n'avons indiqué pour ainsi dire que les circonstances locales et personnelles qui paraissent avoir contribué le plus à la révolution présente, parce que ce sont des causes dont l'influence, plus prochaine, est par-là même plus sensible et plus marquée; mais on ne saurait se dissimuler que le principe d'une révolution si étonnante doit tenir à des causes plus générales, dont l'action, moins rapide, moins facile à saisir, est essentiellement plus forte, plus irrésistible. Il en est deux surtout dont il est impossible de ne pas être frappé, c'est le progrès immense des lu

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