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C'est de lui que madame Geoffrin disait avec cette originalité de bon sens qui caractérisait souvent ses jugemens : Je n'ai jamais vu d'homme plus simplement simple.

Un des traits les plus estimables du caractère de M. d'Holbach était sa bienfaisance; on ne peut rien ajouter à l'exemple touchant qu'en a rapporté M. Naigeon, dans le Journal de Paris; et nous nous bornons à le transcrire ici.

« Il y avait dans sa société un homme de lettres ly (M.S.) qui lui paraissait depuis quelque temps rêveur, silencieux et profondément mélancolique. Affligé de l'état où il voyait son ami, M. d'Holbach court chez lui: «< Je ne veux point, lui dit-il, aller au >> devant d'une confidence que vous ne croyez pas » devoir me faire, je respecte votre secret, mais » je vous vois triste et souffrant, et votre situa>>tion m'inquiète et me tourmente. Je connais » votre peu de fortune, vous pouvez avoir des be>> soins que j'ignore; je vous apporte dix mille >>> francs dont je ne fais rien, que vous ne refu» serez pas d'accepter si vous avez de l'amitié pour » moi, et que vous me rendrez un peu plus tôt, » un peu plus tard, quand la fortune vous vien» dra.... » Cet ami touché, ému comme il devait l'être, l'assure qu'il n'a aucun besoin d'argent, que son chagrin a une autre cause, et n'accepte point le service qui lui était offert, mais il ne l'a point oublié, et c'est de lui-même que je tiens le fait. »>

Paul Thiry, baron d'Holbach, membre des Académies de Pétersbourg, de Manheim, de Ber

lin, était né dans le Palatinat. Elevé dès sa plus tendre jeunesse en France, il y a passé la plus grande partie de sa vie; il est mort à Paris, le 21 janvier 1789, âgé de soixante-six ans. Ayant perdu fort jeune sa première femme, mademoiselle d'Aine, il obtint de la Cour de Rome la permission d'en épouser la sœur, qui lui a survécu. Il laisse deux fils et deux filles, dont l'une a épousé le marquis de Châtenay, et l'autre le comte de Nolivos.

LETTRE (1) écrite à l'auteur de ces Feuilles à Londres, où il avait été faire un voyage de quelques semaines; par le sieur Girbal, son plus ancien copiste.

Monsieur,

De Paris, le 3 août 1789.

Quoique je sois l'homme de Paris le moins nouvelliste, je ne puis me refuser à l'honneur et au plaisir de vous rendre compte du plus beau spectacle que j'aie encore vu, l'arrivée de M. Necker à l'Hôtel-de-Ville, jeudi dernier 30 juillet. C'était vraiment une de ces marches triomphales qu'on lit avec admiration dans l'Histoire ancienne.

Une nombreuse troupe de cavalerie et d'infanterie avait été recevoir hors de Paris M. Necker, qui avait avec lui dans son carrosse M. le comte de Saint-Priest. Dans une seconde voiture étaient

(1) La relation que contient cette lettre a paru si vraie, si touchante, si bien circonstanciée, qu'on s'est flatté qu'elle pourrait intéresser votre attention, et l'on ne s'est pas permis d'y changer ua seul mot.

M. de Clermont-Tonnerre, M. Dufrêne de Saint Léon et deux autres personnes. M. de Rhulière, commandant un fort détachement du guet à cheval, ouvrait la marche, il était suivi de la cavalerie bourgeoise, mêlée de dragons et de cavaliers de divers régimens, ayant tous des bouquets et portant de grandes branches de laurier. Les tambours battaient, la musique jouait, le drapeau de la Bastille, ceux des Gardes-Françaises et ceux des Districts étaient déployés. Les poissardes marchaient en chantant, dansant et jetant des fleurs en l'air. Le cortége a descendu la rue Saint-Honoré, a pris celle du Roule, le quai de la Ferraille et le quai Pelletier. Toutes les croisées étaient pleines, toutes les rues étaient bordées d'une foule immense. Les femmes levaient les mains au ciel, les joignaient, les hommes applaudissaient, toute le monde criait: Vive M. Necker! Vive ce grand Ministre! Que Dieu nous le conserve! On n'entendait que louanges et bénédictions; c'était une acclamation continue, une ivresse universelle. M. le Directeur Général était un peu pâle, il paraissait fatigué et plus ému encore; mais à travers cette émotion on discernait la sérénité, la douce sécurité d'une âme vertueuse. Il remerciait le Public avec une sensibilité aussi noble que franche.

Arrivé vers les une heure au bas des escaliers de l'Hôtel-de-Ville, Messieurs du Comité-Permanent, ayant à leur tête M. Bailly et M. de La Fayette, sont venus le prendre et l'ont conduit

dans la grande salle de Messieurs les cent vingt Représentans de la Commune. M. le Maire lui a adressé un fort beau discours, qu'on n'a pas encore imprimé. De là il s'est rendu dans la salle des Electeurs, accompagné de M. le Commandant Général. Il y avait été précédé par madame Necker, par madame de Staël et par madame la marquise de La Fayette, qui ont été accueillies avec des démonstrations universelles d'intérêt et d'estime. Lorsqu'il a été placé sur l'estrade du Président, le silence a succédé aux acclamations, M..... M. de S.... M... lui a présenté la cocarde patriotique en lui disant : Monsieur, voici des couleurs que vous chérissez sans doute, elles sont celles de la Liberté. M. Necker a reçu la cocarde et l'a attachée à son chapeau. Alors il a été harangué par M. de La Vigne, président de l'Assemblée. M. M..... de S.... M... a prononcé ensuite un autre discours qui a été interrompu par des applaudissemens répétés à un trait court, mais heureux, qui caractérise les vertus de madame Necker, et à l'éloge de M. le comte de Saint Priest, «, ce Ministre patriote qui, inva>> riablement attaché aux mêmes principes que » M. Necker, a montré dans les circonstances les >> plus difficiles les vues de l'homme d'Etat unies >> au courage d'un bon citoyen. »

Le discours que M. Necker a prononcé dans l'une et dans l'autre Assemblée a fait verser.des larmes à tous ceux qui ont pu l'entendre. Vous trouverez, Monsieur, ce discours ci-joint.

Il y avait une heure et demie que M. Necker était à l'Hôtel-de-Ville, lorsque le peuple impatient sur la place de Grève demandait à grands cris à le voir. On le détermina à passer dans une chambre voisine pour satisfaire l'empressement du peuple. Il se montra à l'avant-dernière croisée du côté de la rue du Mouton; il salua le Public avec beaucoup d'attendrissement et de respect. A peine l'eut-on aperçu, qu'il entendit une bruyante explosion de battemens de mains, de cris de vive M. Necker, et ces acclamations durèrent plusieurs minutes. Mais quand on vit ce grand homme se livrant aux mouvemens de la sensibilité que lui causaient de telles marques d'amour, lever ses yeux et ses bras vers le ciel, que sans doute il prenait à témoin de la sincérité de sa reconnaissance, les reporter sur son cœur, et les déployer eusuite vers le peuple à qui il semblait envoyer ce cœur généreux et patriotique ; quand on vit avec quel abandon, quelle cordialité touchante il répéta huit à dix fois de suite ces vives démonstrations d'une âme profondément pénétrée, alors il se fit un silence général; cet homme parut un dieu, les larmes coulèrent de tous les yeux, on voulait parler et on ne le pouvait pas ; on était comme suffoqué par un sentiment inexprimable, par un sentiment que je n'avais pas encore éprouvé, et que sûrement je n'éprouverai plus, car ces scènes délicieuses, uniques, n'arrivent pas deux fois pendant la vie d'un homme. Je ne crois pas qu'on pût vivre long-temps dans une

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