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ciétés; le premier le fondait tout entier sur la bonté des mœurs publiques, l'autre sur les progrès nécessaires de l'esprit, des sciences et des arts. Ce fut un modèle peut-être unique d'une querelle littéraire, car les deux ouvrages polémi ques publiés en opposition l'un de l'autre ne laissent rien pénétrer de cette intention particulière. Pour relever le parallèle de ces deux athlètes, M. de Rhulière n'a pas craint d'y joindre encore un troisième, cet homme célèbre qui soutint avec toute la force de l'éloquence, toute l'adresse de la plus subtile dialectique, que nos institutions sociales ne sont que la corruption des sentimens naturels, nos arts les plus nécessaires l'altération de nos facultés physiques, etc. «Rousseau, dit-il, détracteur de la société, misant thrope par l'excès même de son amour pour le bonheur des hommes, annonce l'inévitable ruine, la subversion instante et prochaine de tous les Royaumes, Républiques et Empires..... Mably, plaçant le bonheur dans l'état d'une société simple et bien ordonnée, croit que d'utiles réformes peuvent encore renouveler le destin des Empires; il cherche la méthode de procéder à ces réformes; ses dernières prédictions furent cependant celles d'un citoyen découragé..... Il semble aujourd'hui que le marquis de Châtellux aura porté sur l'avenir un regard plus perçant, et qu'en cette occasion du moins il aura eu sur ces deux sages célèbres le double avantage d'avoir mieux présagé les événemens et d'avoir joui d'a

vance, par ce présage même, d'une félicité qu'ils n'osaient pressentir. Ami de tous les arts, ne doutant pas que l'esprit humain ne parvienne au plus haut degré où la perfectibilité puisse atteindre, accoutumé à chercher le bien jusque dans les erreurs du siècle présent, il annonce en France et dans toute l'Europe le retour de la liberté par l'excès même de la dette publique; il dit que les besoins du fisc sont les vrais précepteurs des Rois, et qu'envisagés d'un œil juste, ils deviendront un jour les protecteurs de la fortune des peuples, etc. >>

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M. l'abbé Delille a terminé la séance par lecture de plusieurs morceaux de son poëme sur l'Imagination, qui ont été applaudis avec enthousiasme.

Il a paru tant d'écrits ennuyeux sur les ÉtatsGénéraux! comment ne pas accueillir le premier pamphlet où l'on trouve enfin quelques étincelles d'imagination et de gaieté ? C'est la Séance extraordinaire et secrète de l'Académie française, tenue le 30 mars 1789. On l'attribue au comte de Rivarol, et l'on a cru y reconnaître en effet le même esprit de plaisanterie qui a dicté la préface du Petit Almanach des grands Hommes; le style en est cependant plus faible, et surtout plus négligé.

Démophoon (Marmontel), le Secrétaire perpétuel, ouvre la séance par un discours où il exhorte ses confrères à éclairer la Nation, à lui

tracer la route qu'elle doit suivre. Il ne craint pas que les États-Généraux attaquent jamais la glorieuse institution des jetons, elle fait partie des lois fondamentales de la Monarchie; mais il pense qu'il est bon de rappeler à la Nation que les travaux utiles de l'Académie restent sans récompense, etc. Il prie Messieurs de délibérer. On rejette d'abord l'idée de faire un livre. Cet avis, qui est celui d'un Archevêque, excite un murmure général, où l'on entend seulement qu'écrire est bon pour s'ouvrir les portes de l'Académie, mais que, parvenu au fauteuil, c'est bien assez d'endoctriner les cercles. Mon projet, dit Cithéron (La Harpe), est de transporter ma chaire à Versailles, et deux fois par semaine je donnerai mes leçons aux Comices. Je leur apprendrai que Boileau était correct, Racine harmonieux, Crébillon barbare, Molière philosophe, etc. Telles sont les vérités immortelles dont il importe à la Nation de se pénétrer. Un Gouvernement va de lui-même, mais la littérature s'affaiblit. Il faut répéter cent fois ce qui a été dit mille, refaire les mêmes tragédies sous d'autres noms, reproduire les mêmes idées sous un autre coloris. Flaccus (Florian) propose d'accommoder aux circonstances la partie politique de son Numa. Si jamais, dit-il, cet ouvrage peut être lu, sa fortune est décidée. Azur (Suard) offre de revoir les délibérations nationales comme il revoit les journaux et les opéras. L'esprit créateur est un mot; tout ce qui.

est créé a besoin d'être revu. Les États-Généraux, que vont-ils faire eux-mêmes? revoir. Puissent-ils s'en trouver aussi bien que moi! - -Pastorinet (M. le duc de Nivernois) rappelle en très-peude mots ce qu'il a fait comme Ambassadeur, comme Duc et Pair, comme Ministre, comme Académicien.... Qu'exigez-vous encore de moi?

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Grand homme! s'écrie Flaccus, mettez le, comble à vos dons généreux; composez une fable... Bochan (Chabanon) déclare qu'il a porté long-temps la patrie dans son cœur, mais que les outrages répétés qu'il en a reçus ont à la fin glacé sa tendresse. Pourquoi m'occuper d'une Nation qui a si cruellement négligé ma gloire? Qu'elle s'adresse à M. Collin, puisqu'elle va rire à une pièce qui lui dit en face que ses projets de régénération sont des châteaux en Espagne. Myris (Le Mierre) veut qu'on fasse jouér Barnevelt; c'est le meilleur encouragement pour les amis de la liberté ; c'est là qu'on trouve des vers à moustache... - Daube (M. de Rhulière) avoue qu'il a agi à sa manière, sous main, pour se faire nommer historiographe des ÉtatsGénéraux. Je m'imagine, lui dit Arsaces (le cardinal de Rohan), que vous peindrez l'état de la France avant la tenue des Etats; je requiers que vous vous absteniez de parler d'un fameux épisode quorum pars magna fui. La reconnaissance (au baron de Breteuil ) vous commanderait nécessairement l'injustice.-Zéangir (Chamfort) dit: si ce n'est que cela, je vous réponds de son

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équité. Tacticus (M. de Guibert) pense qu'il faut proposer aux États-Généraux d'établir un conseil de littérature qui règlera tout ce qui tient au bel-esprit en France. Témoins tous les jours des fruits qu'on retire de celui de la guerre, vous pouvez, dit-il, espérer les mêmes avantages, si vous suivez la même marche. Tont le secret est de trouver un rapporteur habile. Cette idée de conseil est très-mal accueillie. Après beaucoup de débats, après de grandes explications, on se détermine à faire une députation, et l'on est fort étonné de voir au scrutin tous les vœux réunis en faveur de Tacticus. En voici, lui dit-on, la raison : chacun des prétendans crut, à part soi, qu'en nommant celui qui ne serait nommé par personne, il diminuait le nombre des suffrages pour celui qui pouvait être un compétiteur dangereux. Il s'élève un léger murmure. Tacticus demande la permission de lire le fameux discours qui causa sa disgrâce à Bourges (1).. c'est une pièce qui va à tout. - Vous aviez pris un parti plus sage, celui de l'imprimer; cela ne gêne personne..... Alors on entendit sortir de toutes les bouches : Imprimé, imprimé, imprimé.... Démophoon propose un objet de déli

(1) Ce qui s'est passé à Bourges est l'injustice la plus révoltanté qu'un honnête homme puisse éprouver de la part d'une assemblée publique. M. de Guibert n'avait rien fait pour la mériter, mais, å en juger par le compte qu'il a rendu lui-même de sa disgrâce, il est impossible de ne pas le plaindre de n'avoir pas su repousser l'injus“ tice par une résolution plus ferme et plus tranquille. On a dit que son apologie avait le défaut qu'on reproche à beaucoup de tragédies françaises, c'est de mettre en réviscè qu'il fallait mettre en action.

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