II.

« Pendant que Thomas était à Jérusalem, dit Ab« dias dans son Histoire (1) des combats apostoli«ques, il reçut d'une communication divine ordre de

partir pour l'Inde, afin de montrer les lumières de « la vérité à ce peuple qui était assis dans l'ombre « de la mort. Or, je me souviens d'avoir lu un cer«tain livre (2) où étaient exposés son voyage dans « l'Inde et les choses qu'il avait faites dans ce pays. « Ce livre n'étant pas reçu par plusieurs à cause de «ses longueurs, ob verbositatem, je laisserai les <«< choses superflues et je me contenterai de raconter «< celles qui sont certaines et peuvent être agréables << au lecteur et utiles à l'Église. » Après le préambule d'Abdias, voici une analyse de la légende de saint Thomas.

Comme Thomas l'apôtre était à Jésusalem, NotreSeigneur lui apparut et lui dit : « Le roi de l'Inde Gondaphorus a envoyé son ministre Abban en Syrie, afin de chercher des hommes instruits dans l'art de l'architecture. Va, et je t'enverrai à lui. » Et Thomas dit : « Seigneur, envoyez-moi partout, hormis aux

(1) Cette histoire fut publiée la première fois par Wolfgang Lazius sous le titre de: Adiæ Babyloniæ, episcopi et apostolorum discipuli, de Historia certaminis apostolici libri decem; Julio Africano interprete ( Basileæ, 1552). — Fabricius la publia de nouveau avec des notes critiques dans le tome II, p. 388 de son Codex apocryphus Novi Testamenti.

(2) Il est probable, dit Fabricius, qu'il s'agit ici des Actes de Thomas, qui existent en grec dans quelques bibliothèques.

Indes. » Et Notre-Seigneur lui dit : « Va, car je veille sur toi, et lorsque tu auras converti les Indiens tu viendras à moi recevoir la récompense de la couronne du martyre. » Et Thomas dit : « Vous êtes mon Seigneur, et moi je suis votre serviteur; que votre volonté soit faite... » Et comme Abban, ministre du roi Gondaphorus, allait à travers le marché, Notre-Seigneur lui dit : « Jeune homme, que veux-tu acheter? » et Abban lui dit : « Mon maître m'envoie pour lui ramener des ouvriers qui soient habiles dans l'art de la maçonnerie et qui lui fassent un palais comme ceux qu'il y a à Rome... » Et alors Notre-Seigneur lui donna Thomas, et lui dit qu'il était très-habile en architecture.

Le saint Apôtre et le ministre du roi Gondaphorus s'embarquèrent. Thomas convertit sur la route un grand nombre d'infidèles, surtout à Aden, ville située à l'entrée de la mer Rouge, où ils s'arrêtèrent quelque temps. Ils arrivèrent enfin sur les côtes de l'Inde, et dans la première ville où ils pénétrèrent ils assistèrent aux noces de la fille du roi. Thomas prêcha l'Évangile et fit plusieurs miracles éclatants qui amenèrent de nombreuses conversions, entre autres celle du roi. Les nouveaux mariés reçurent aussi le baptême. Longtemps après l'épouse, nommée Pélagienne, prit le saint voile et souffrit le martyre. L'époux, qui s'appelait Denis, fut sacré évêque de cette ville.

Cependant l'Apôtre et Abban allèrent trouver le roi Gondaphorus. Thomas lui fut présenté comme architecte, et le roi lui confia de grands trésors pour fournir aux frais d'un magnifique palais qu'il lui ordonna de construire. Gondaphorus s'en alia ensuite dans une

autre province, et Thomas, au lieu de s'occuper de la construction du palais, parcourut le pays, prêchant l'Évangile, guérissant les malades et distribuant ses trésors aux pauvres durant l'espace de deux ans que le roi demeura absent. Il convertit à la foi une foule innombrable. Lorsque Gondaphorus vint lui demander des nouvelles du palais, l'Apôtre lui dit : Le palais est achevé, mais vous ne l'habiterez que dans l'éternité. Le roi le traita de mage et le fit jeter au fond d'une horrible prison pour y être écorché vif et brûlé.

Sur ces entrefaites Sud, frère de Gondaphorus, mourut, et le roi commanda pour lui un sépulcre magnifique. Or le quatrième jour, comme on faisait les funérailles, le mort ressuscita, ce qui fut pour tous un grand sujet d'étonnement et de frayeur... Et le mort dit au roi : Cet homme que tu veux écorcher et brûler est l'ami de Dieu... Les anges de Dieu qui le servent m'ont mené en Paradis et ils m'ont montré un superbe palais enrichi d'or, d'argent et de pierres précieuses.... et, lorsque j'étais en admiration devant tant de magnificences, ils m'ont dit : C'est le palais que Thomas fit faire pour ton frère le roi Gondaphorus. Il s'en est rendu indigne; si tu veux y demeurer, nous prierons Dieu que tu ressuscites, afin que tu puisses le racheter de ton frère en lui rendant l'argent qu'il croit avoir perdu.... Ayant ouï ces paroles, le roi courut à la prison où était enfermé l'Apôtre, le délivra de ses chaînes avec empressement et le pria de prendre un vêtement honorable. « Ne sais-tu pas, lui dit Thomas, que ceux qui veulent avoir puissance en choses célestes n'ont nul souci des choses charnelles et terrestres. >> Le roi se jeta aux pieds de l'Apôtre et lui demanda pardon.

Gondaphorus et son frère ayant reçu le baptême, Thomas leur dit : Il y a au ciel d'innombrables palais qui sont préparés depuis le commencement du monde, et on les achète au prix de la foi et de l'aumône. Vos richesses peuvent bien vous précéder vers ces palais, mais elles ne pourront vous y suivre.

Thomas parcourut ensuite divers royaumes de l'Inde, annonçant partout l'Évangile, opérant un grand nombre de miracles et convertissant les peuples à Jésus-Christ. Enfin il est persécuté par le roi Mesdeus, qui lui ordonne d'adorer la statue du Soleil. L'Apôtre consent à se mettre à genoux devant l'idole et promet de lui sacrifier si, à son commandement, l'idole ne tombe pas en poudre. C'est ce qui arrive. Alors il s'élève une grande sédition parmi le peuple, dont la majeure partie est pour Thomas. Le roi le fait mettre en prison, puis le livre à quatre soldats, avec ordre d'aller le mettre à mort sur la montagne voisine. L'Apôtre fait une longue prière, et les soldats, s'approchant, le transpercent de leurs lances. Le martyr tombe et rend le dernier soupir. Ses disciples l'ensevelirent avec larmes, après l'avoir recouvert d'un grand nombre de précieux parfums, et l'Église de l'Inde prospéra dans la suite, sous la direction de Siforus, prêtre, et de Zuzanès, diacre, que l'Apôtre avait ordonné au moment où il allait mourir sur la montagne.

T. I.

2

III.

Tel est le récit d'Abdias. Nous convenons qu'on ne saurait admettre en entier une telle légende. Cependant il y a du vrai au milieu de ces circonstances futiles ou bizarres que le peuple ajoute toujours aux faits qui se sont passés au loin et qui lui sont arrivés de bouche en bouche. Quoique la certitude de la prédication de saint Thomas ait été révoquée en doute par plusieurs auteurs recommandables, nous la trouvons néanmoins appuyée sur tant de témoignages de la première valeur qu'il nous semble bien difficile qu'un esprit non prévenu n'admette pas un fait entouré des meilleures garanties historiques. En effet tous les monuments ecclésiastiques grecs, latins et syriaques proclament que saint Thomas a été l'Apôtre des Indes, qu'il a porté le flambeau de la foi jusque dans ces lointaines contrées, où il a été martyrisé. Quelques auteurs ont même affirmé qu'il avait poussé ses courses apostoliques jusqu'en Chine.

La mission et le martyre de saint Thomas aux Indes sont mentionnés dans tous les martyrologes et dans les anciennes liturgies, monuments où l'on retrouve les traditions les plus pures et les plus certaines du christianisme. On lit dans l'office syriaque des Jacobites, pour la fête de saint Thomas, au 3 juillet, les paroles suivantes (1): « Thomas, dont nous célébrons

(1) Assemani, Bibliotheca orientalis, t. II, passim.