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1664-1667 fût plusieurs fois excité; mais c'étoit par une suite Et. 43-46 de l'indolence qui lui étoit naturelle, et non par

Dissertation de Boileau,

de La Fon

de Bouillon.

l'effet d'aucun scrupule; car il menoit souvent avec lui un de ses amis nommé Gaches, et quand on le prioit de vouloir réciter un de ses contes ou une de ses fables, il répondoit qu'il n'en savoit pas, mais que Gaches en pouvoit dire et Gaches en récitoit à la satisfaction de tous les auditeurs enchantés, tandis que La Fontaine, à l'écart, rêvoit à tout autre chose 27.

Joconde, publié séparément avec la Matrone sur le Joconde d'Ephèse, au commencement de l'année 1664, avoit taine et celui donné lieu à une contestation qui augmenta la célébrité de ce petit ouvrage. L'année d'avant, on avoit mis au jour les œuvres poétiques et posthumes d'un M. de Bouillon, secrétaire du duc d'Orléans, dans lesquelles se trouvoit cette histoire de Joconde, traduite de l'Arioste d'une manière plate et ennuyeuse. Cependant l'envie et le mauvais goût opposèrent cette insipide production à celle de notre poëte. Les partisans de Bouillon lui faisoient un mérite d'avoir traduit l'Arioste littéralement, et soutenoient que le conte de Joconde, dans La Fontaine, étoit défiguré par les changements qu'on y avoit faits. Les admirateurs de La Fontaine prétendoient, au contraire, que le conte étoit devenu plus agréable par ces changements mêmes. Beaucoup de personnes prirent parti dans cette contestation, et elle s'échauffa tellement qu'il se fit des gageures considérables en faveur de l'un et de l'autre poëte 28. C'est

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alors que Boileau écrivit sur Joconde une disserta- 1664-1667 tion en forme, en faveur d'un de ses amis qui avoit Æt. 43-46 parié mille francs pour la supériorité du Joconde de La Fontaine 29. Le sévère critique analyse l'une et l'autre production, et les compare entre elles et avec l'Arioste, l'original de toutes deux. Not seulement Boileau établit la grande supériorité de La Fontaine sur Bouillon, mais il donne même à La Fontaine l'avantage sur l'Arioste. Voltaire a pris le parti du poëte italien; «< mais il me semble, dit La Harpe, que dans tous les endroits où Despréaux rapproche et compare les deux poëtes, il est difficile de n'être pas de son avis, et de ne pas convenir que La Fontaine l'emporte par ces traits de naturel et de naïveté, par ces grâces propres au conte, qui étoient en lui un présent de la nature 3°. »

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La Fontaine,
Racine, Mo-

et Chapelle.

C'est vers cette époque que se forma cette étroite Liaison entre liaison entre Boileau, Racine, La Fontaine et Mo- lière, Boilean lière, qui composèrent pendant quelque temps une sorte de quadrumvirat littéraire 3. L'antiquité nous montre l'exemple de l'amitié qui unissoit Horace et Virgile, nos temps modernes celle de Pope et de Swift; mais peut-être aucun siècle et aucun pays ne peuvent offrir une intimité semblable à celle de quatre poëtes d'un aussi grand génie et d'une nature si diverse. Jamais l'on ne vit réunis quatre auteurs

rence des ca

ces hommes illustres.

aussi éminents dans des genres si différents, et quatre De la difféhommes qui présentassent plus de contrastes dans racières de leurs caractères et dans leurs manières. Boileau, bruyant, brusque, tranchant, mais loyal et franc;

1664-1667 Racine, d'une gaieté douce et tranquille, mais malin Æt. 43-46 et railleur; Molière, naturellement attentif, mélan

colique et rêveur; La Fontaine, souvent distrait, mais quelquefois follement jovial, et réjouissant par ses saillies, ses naïvetés spirituelles, et sa simplicité pleie de finesse. J'oublie le plus aimable de cette fameuse réunion, et celui qui, dès qu'il paroissoit, inspiroit la joie à tous les autres; c'est Chapelle: il n'eut pas le génie de ses quatre amis, mais il leur fut supérieur, comme homme de société. Portrait de «Jamais, dit le célèbre Bernier, qui a vécu avec lui32; jamais la nature ne fit une imagination plus vive, un esprit plus pénétrant, plus fin, plus délicat, plus enjoué, plus agréable. Les Muses et les Grâces ne l'abandonnèrent jamais; elles le suivoient chez les Crenets et les Boucingauts 33, où elles savoient attirer tout l'esprit de Paris. Les faux plaisants n'avoient garde de s'y trouver; à l'ombre seule il connoissoit le fat, et le tournoit en ridicule 34. »

Chapelle par

Bernier.

Réunions ré

eux.

Despréaux loua, pendant quelque temps, un petit gulières entre appartement au faubourg Saint-Germain, dans la rue du Vieux-Colombier 35, où ces cinq amis se réunissoient deux ou trois fois la semaine, pour souper ensemble, et se communiquer leurs ouvrages. Si on excepte Molière qui étoit le Nestor de cette petite assemblée, et dont la réputation étoit déjà établie, tous les autres, quoique d'âges différents, prenoient place, en quelque sorte, en même temps, sur le Parnasse français; et il est remarquable que la publication de la Thébaïde et de l'Alexandre de Racine,

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des Contes de La Fontaine, du Voyage de Chapelle, 1664-1667 et des premières Satires de Boileau, date des an- t. 43-46 nées 1664 et 1665 36.

La Fontaine

est surnom

Souvent ces joyeux convives s'amusoient des distractions de La Fontaine, et faisoient contre lui d'innocentes conspirations; ils l'avoient tous surnommé le bon homme. Plusieurs anecdotes, relatives à ce qui se passoit alors dans leur intimité, nous ont mé le Bonété conservées par eux-mêmes, ou transmises par d'Olivet et Louis Racine à qui ils les avoient racontées : il en est une qui prouve jusqu'à quel point le mérite, en apparence si humble, de La Fontaine, étoit apprécié par ces hommes supérieurs 37.

homme.

lière sur L:

Un jour Molière soupoit avec Racine, Despréaux, Mot de MoLa Fontaine, et Descoteaux, fameux joueur de flûte. Fontaine. La Fontaine étoit ce jour-là encore plus qu'à son ordinaire plongé dans ses distractions. Racine et Despréaux, pour le tirer de sa léthargie, se mirent à le railler si vivement, qu'à la fin Molière trouva que c'étoit passer les bornes. Au sortir de table il poussa Descoteaux dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui parlant d'abondance de cœur, il lui dit : «<< Nos » beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'efface»ront pas le bon homme. >>

Rabelais, ainsi que nous l'avons déjà dit, étoit un des auteurs favoris de La Fontaine, qui l'admiroit follement. Dans une réunion qui eut lieu chez Boileau, et où se trouvoient Racine, Valincour, et un frère de Boileau, docteur en Sorbonne, celuici se mit à disserter sur saint Augustin, et en fit un

Naïveté de La Fontaine.

1664-1667 pompeux éloge. La Fontaine, plongé dans ses Et. 43-46 rêveries habituelles, écoutoit sans entendre; enfin cependant il se réveilla comme d'un profond sommeil pour prouver qu'il avoit bien saisi le sujet de la conversation, il demanda d'un grand sérieux au docteur, s'il croyoit que saint Augustin eût plus d'esprit que Rabelais. Le docteur, surpris, le regarda depuis la tête jusqu'aux pieds, et pour toute réponse:

sion sur les

à parte.

Prenez garde, lui dit-il, M. de La Fontaine, vous avez mis un de vos bas à l'envers. » Ce qui étoit vrai38. Quand La Fontaine étoit animé par la discussion, Sa discus- il étoit tout aussi difficile d'interrompre le fil de ses idées, que de le tirer de sa léthargie apparente, lorsqu'il étoit plongé dans ses méditations. Dans · l'un et dans l'autre cas, il étoit insensible au bruit et aux discours qui avoient lieu autour de lui. Dans un dîner qu'il fit avec Molière et Despréaux, on se mit à discuter sur le genre dramatique. La Fontaine condamna les à parte. « Rien, disoit-il, n'est plus » contraire au bon sens. Quoi! le parterre enten» dra ce qu'un acteur n'entend pas, quoiqu'il soit » à côté de celui qui parle! >> Comme il s'échauffoit en soutenant son sentiment, de façon qu'il n'étoit pas possible de l'interrompre et de lui faire comprendre un seul mot; « Il faut, disoit Despréaux

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à haute voix, tandis qu'il parloit; il faut que » La Fontaine soit un grand coquin, un grand ma>> raud. >> Despréaux répétoit continuellement les mêmes paroles sans que La Fontaine cessât de disserter. Enfin l'on éclata de rire; sur quoi, La Fon

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