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reçoit, malgré lui, l'empreinte des habitudes, des 1664-1867 mœurs et des idées dominantes, du siècle qui le voit E. 43-46 naître; et, bien loin de chercher à s'y soustraire, son instinct de gloire l'engage à en revêtir toutes ses productions: car, s'il aspire à conquérir les suffrages de la postérité, il veut aussi jouir de ceux de ses contemporains, et il sait que pour cela il est nécessaire qu'il leur parle un langage qu'ils puissent entendre, et qu'il se mette en rapport avec les idées de son siècle, et le monde dans lequel il vit. Aussi voyons-nous que les traits caractéristiques de la littérature du moyen âge se retrouvent tous dans les lit-l'Italie et de tératures qui, chez les peuples modernes de l'Europe, s'épurèrent et se perfectionnèrent les premières. Pour le prouver, il suffit de rappeler aux lecteurs, les immortelles productions de Lopès de Véga, de Calderon, du Dante, de Bocace, de l'Arioste et du Tasse, qui toutes nous reportent aux siècles de la féodalité, de la féerie, des enchantements, de la dévotion, et de la galanterie chevaleresque.

En France, où cependant avoient fleuri avec le plus d'éclat les troubadours, les trouvères, les romanciers et les conteurs, la littérature, quand elle tendit à son perfectionnement, s'éloigna presqu'entièrement de cette littérature primitive commune à tous les peuples de l'Europe, dont on retrouve encore tous les caractères dans les créations des beaux génies de l'Italie et de l'Espagne. Il est facile d'assigner les causes de cette différence remarquable.

Les litté ratures de

l'Espagne so ressentent de cette influen

ce.

1664-1667 Le partage de la monarchie française entre un Et. 43-46 certain nombre de grands vassaux, dont plusieurs

la littérature

française s'en

est moins ressentie et s'est

des anciens.

étoient aussi puissants, et souvent plus puissants, que le monarque, avoit enfanté de longues et sanglantes guerres intestines, et retardé les progrès de la civilisation, et aussi ceux du commerce, des arts, Pourquoi des sciences et de la littérature. Les grands génies qui devoient illustrer la France ne parurent que rapprochée long-temps après ceux de l'Italie et de l'Espagne; mais alors l'invention de l'imprimerie avoit fait connoître et avoit placé dans toutes les mains les chefsd'œuvre des grands écrivains de la Grèce et de Rome; les travaux des érudits en avoient rendu l'intelligence plus facile. L'admiration pour les anciens développa dans tous les esprits des règles de goût et des idées du beau, toutes différentes de celles qu'on avoit eues dans les siècles précédents. Richelieu parut, et termina la longue lutte de l'autorité royale contre les grands vassaux de la couronne. Son despotisme fit disparoître jusqu'aux traces de la féodalité et de la chevalerie, et la révolution qui s'étoit accomplie dans le gouvernement, amena de grands changements dans les mœurs et les habitudes. Influencée par toutes ces causes, la littérature française qui commença peu après à jeter un grand éclat, fit d'abord quelques emprunts aux Italiens et aux Espagnols; mais bientôt dans les chefs-d'oeuvre de Corneille, de Molière, de Boileau et de Racine, elle se modela sur l'antiquité, et considéra comme les seules règles du bon goût, celles qu'avoient prati

AL

seul nous re

littérature primitive de

quées les grands écrivains de la Grèce et de Rome. 1664-1667 La Fontaine fut le seul de nos poëtes qui, par la Et. 43-46 nature même de ses productions, par la naïveté La Fontaine expressive et la familiarité piquante de son style, Port nous reproduisit nos anciens troubadours et nos Europe mopremiers fabliers. Seul, il nous ramena en quelque sorte au berceau même de notre poésie; mais il le couvrit de fleurs, et nous le montra paré de tout l'éclat et de toutes les grâces de la nouveauté 1.

derne.

Arrét

d'Amour.

d'Amours.

Dans le volume dont nous avons parlé, une petite pièce, ayant pour titre Imitation d'un livre intitulé Arrêts d'Amour, nous rappelle une des institutions les plus extraordinaires de la chevalerie, je veux parler des Cours d'Amour. Les mœurs et les habitudes, plus Des Cours puissantes que les lois, faisoient respecter les décisions de ces singuliers tribunaux chargés de prononcer en dernier ressort sur les questions controversées par les poëtes dans les tensons, les jeux partis et les jeux mi-partis. Ces arrêts étoient sacrés comme les lois de l'honneur même, et toute personne, tenant à sa réputation, n'eût pas plus osé les enfreindre que les usages relatifs aux duels consacrés par le temps, quoiqu'ils ne fussent écrits nulle part. Un ecclésiastique du douzième siècle maître André, chapelain" de la cour de France, recueillit dans un livre le Code d'Amour en trente et un articles, ainsi que les décisions et la jurisprudence de ces tribunaux ordinairement composés de dames, et présidés par les reines et par les femmes des plus grands feudataires de la couronne. Cet ouvrage a donné lieu à un juriscon

1664-1667 sulte du quinzième siècle, et lorsque les institutions Et. 43-46 de la chevalerie et les Cours d'Amour n'existoient plus que par tradition, de composer un recueil de pure imagination, intitulé Arrêts d'Amour. C'est dans ce livre de Martial d'Auvergne que La Fontaine a puisé le sujet de la petite pièce, dont nous parlons"; et notre poëte ne se doutoit probablement pas que la cause qu'il exposoit en vers avoit été réellement plaidée au tribunal de la reine Eléonore, et que la décision n'avoit pas été conforme à l'arrêt qu'il rapporte, mais à celui qu'il dit qu'il auroit lui-même rendu. La reine Eléonore avoit dit, en d'autres termes, avant La Fontaine, qui prend se vend "2.

22

La Fontaine, dit La Harpe 23, prétend que Dieu mit au monde Adam le nomenclateur, en lui disant, Te voilà: nomme. On pourroit dire aussi que Dieu mit au monde La Fontaine le conteur en lui disant, La Fontaine, Te voilà: conte. Aussi Chaulieu24, en parlant de lui de son vivant, l'appelle quelque part le conteur, bien cer

est surnommé

le Conteur et le Fablier.

tain qu'aucun de ses lecteurs ne se méprendroit sur celui qu'il nommoit ainsi : par la même raison Mme de Bouillon le désignoit souvent par le nom de fablier25.»

Dans la fable, La Fontaine s'est élevé au-dessus de tous les modèles : dans le conte, on pourroit dire que l'Arioste lui est supérieur par le génie de l'invention, par une élégance plus soutenue, par une plus grande variété de ton, par une touche plus énergique, et un coloris plus vigoureux; mais le poëte de Ferrare n'a pas dans le style naïf, ni ces traits délicats, ni cette simplicité pleine de finesse qui nous

charment dans La Fontaine. Celui-ci a peut-être aussi 1664-1667 surpassé ses modèles dans l'art de préparer, comme El. 43-46 sans dessein, les incidents, de ménager des surprises amusantes, de s'entretenir avec son lecteur, de plaisanter sur les objections et les invraisemblances de son sujet, d'animer ses récits par la gaieté du style et par les grâces d'une poésie légère et facile. Nul n'a à un plus haut degré, le talent de placer à propos des réflexions toujours heureuses, souvent spirituelles et malignes, souvent aussi pleines de sens et de raison. On ne sauroit trop le louer d'avoir usé sobrement et avec goût du langage piquant de Rabelais et de Marot; d'avoir passé avec adresse à côté des écueils que présentoient les sujets qu'il traitoit, et d'avoir su, presque toujours, échapper au danger sans cesse imminent des obscénités.

eu,

ami de La Fontaine.

La Harpe a dit que, du côté des mœurs, la plupart De Gaches, des contes de La Fontaine étoient plutôt libres que licencieux : ce qui n'empêche pas, ajoute-t-il, qu'on ait eu raison d'y voir un mal et un danger qu'il n'y apercevoit pas 26. C'est user d'indulgence envers notre poëte; un trop grand nombre de ses contes sont malheureusement licencieux, et nous sommes forcés d'avouer que l'ensemble de sa conduite prouve qu'il étoit fort insouciant sur l'espèce de danger qui pouvoit résulter de leur publication. La manière badine avec laquelle il se défend sur ce point, dans sa préface, suffiroit seule pour le prouver. On a dit, pour l'excuser, que jamais il ne consentit à réciter aucun de ses contes en société, quoiqu'il y

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