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1621-1643 monde, que son père lui transmit sa charge et lui A. 1-22 fit épouser Marie Héricart, fille d'un lieutenant au Il se marie bailliage de la Ferté-Milon. Il se soumit à ces deux d'une charge, engagements plutôt par indolence que par goût.

et est pourvu

Du caractère

de la femme

taine.

Mais incapable par caractère de toute gêne et de
toute contrainte, il négligea presque toujours l'exer-
cice de sa charge qu'il garda vingt ans. Il s'éloigna
peu à peu de sa femme, et finit par l'abandonner
tout-à-fait. Il parut même oublier en quelque sorte
qu'il avoit été marié. On a parlé fort diversement
de la femme de La Fontaine. On s'accorde à dire
qu'elle avoit de la vertu, de la beauté et de l'esprit ;
mais d'Olivet, le Père Niceron, et Montenault,
prétendent qu'elle étoit d'une humeur impérieuse
et fàcheuse. Ils n'hésitent même pas à penser que
c'est elle
que La Fontaine a voulu peindre dans le
conte de Belphegor, sous le nom de Mme Honesta.

Belle et bien faite...

...mais d'un orgueil extrême;

Et d'autant plus que de quelque vertu
Un tel orgueil paroissoit revêtu.

La Harpe et plusieurs autres auteurs, pour excuser

de la Fon- la licence de quelques uns des contes de La Fontaine, ont avancé, comme une chose reconnue, que les mœurs de cet homme célèbre étoient pures et irréprochables. Alors ils seroient grands les torts de cette femme qui, pour n'avoir pas su dominer ses défauts, auroit forcé un homme d'un naturel si bon et si facile, à s'exiler du toit domestique. Mais cette assertion sur les moeurs de La Fontaine est

t

malheureusement tout-à-fait contraire à la vérité; 1621-1643 et celle qui concerne l'âpreté du caractère de sa Æt. 1-22 femme est au moins douteuse. Les auteurs des Mémoires de Trévoux affirment, par le témoignage de personnes qui ont connu Mme de La Fontaine, qu'elle étoit du caractère le plus doux, le plus liant, et que son mari n'a pas plus pensé à elle dans la pièce de Belphégor, qu'il n'a songé à faire le portrait d'autres personnages de son temps, dans les ridicules ou les vices qu'il a peints dans ses écrits. Si nous devons craindre d'admettre sans restriction les témoignages donnés probablement par des descendants de Mme de La Fontaine, sur celle dont il étoit de leur devoir de défendre la mémoire, nous devons aussi nous défier du zèle des amis d'un poëte, dont la perte causoit de si vifs regrets, et qui, pour justifier cette partie de sa conduite, la moins susceptible de justification, ont accueilli avec trop de faveur, peut-être, les rumeurs incertaines, et les interprétations malignes d'un public frivole et léger. Il est un moyen d'échapper à toutes ces incertitudes; c'est de s'en rapporter sur ce point, comme sur tous les autres qui concernent La Fontaine, à La Fontaine luimême, homme le plus ingénu et le plus vrai qui ait existé; qui toujours se plut à confier à sa Muse ses projets, ses désirs, ses pensées les plus secrètes, ses inclinations les plus cachées, et qui a laissé en quelque sorte son âme entière par écrit. Nulle part il ne s'est plaint de l'humeur impérieuse de sa femme; mais

1621-1643 il lui reproche de n'avoir de goût que pour les choses Et. 1-22 frivoles, et de ne point s'occuper des soins du ménage". Ce reproche est grave pour une femme qui devint mère quelques années après la célébration de son mariage; et, comme il n'y a jamais eu d'homme plus ennemi du souci, et moins propre à l'augmentation, ou même à la conservation d'une fortune que La Fontaine, il lui étoit difficile d'être heureux avec une épouse à qui manquoient les vertus qui lui étoient les plus nécessaires, la prévoyance et l'économie. Mais il étoit trop honnête homme pour rien écrire dans l'intention de l'outrager; et si ses vers prêtèrent à quelque allusion, ou à quelque rapprochement, sur ce sujet délicat, ce fut, nous osons l'affirmer, sans aucune intention de sa part.

Torts de

La Fontaine

envers

sa femme.

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Nous savons, et la suite de ce récit en fournira des preuves trop nombreuses, que nul homme n'a aimé les femmes plus que La Fontaine, que nul n'a été plus tôt et plus long-temps sensible à leurs attraits, et ne s'est abandonné plus ouvertement, et avec moins de scrupule, aux charmes de leur doux commerce. Ce tort, si grand pour un homme engagé dans les liens du mariage, non seulement La Fontaine le sentoit, mais il a fallu qu'il en fît en quelque sorte l'aveu public. On le trouve, cet aveu, à la fin du conte intitulé les Aveux indiscrets; et il est bien placé là, car les seuls aveux indiscrets qu'ait jamais faits La Fontaine ont été pour révéler ses défauts, et non ceux des autres.

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Si la femme de La Fontaine n'eut pas tous les défauts odieux qu'on lui a trop légèrement prêtés, il paroît certain qu'elle ne possédoit aucune des qualités aimables qui auroient pu inspirer de l'amour à son mari; on ne voit aucune trace de ce sentiment à son égard dans ce qui nous reste de lui. La Fontaine ne laisse, au contraire, jamais échapper l'occasion de faire la satire de l'état conjugal, et se montre trop vivement affecté des inconvénients qui résultent d'une union mal assortie, pour ne pas donner lieu de penser qu'il en avoit fait lui-même la triste expérience.

Cependant il se persuada, ou plutôt il se laissa persuader un jour, qu'il devoit être jaloux de sa femme; ce qui donna lieu à l'aventure suivante.

1621-1643

Et. 1-22

LaFontaine et

Il étoit fort lié avec un ancien capitaine de dra- Aventure de gons, retiré à Château-Thierry, nommé Poignan, de Foignan. homme franc, loyal, mais fort peu galant. Tout le temps que Poignan n'étoit pas au cabaret, il le passoit chez La Fontaine, et par conséquent auprès de sa femme, lorsqu'il n'étoit pas chez lui. Quelqu'un s'avise de demander à La Fontaine pourquoi

Æt. 1-22

« Et

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1621-1643 il souffre que Poignan aille le voir tous les jours; Et pourquoi, dit La Fontaine, n'y viendroit-il pas? c'est mon meilleur ami. - Ce n'est pas >> ce que dit le public; on prétend qu'il ne va chez toi que pour Mme de La Fontaine. Le public a tort; mais que faut-il que je fasse à >> cela? - Il faut demander satisfaction, l'épée à » la main, à celui qui nous déshonore. Hé bien, dit La Fontaine, je la demanderai. » II va le lendemain, à quatre heures du matin, chez Poignan, et le trouve au lit. « Lève-toi, lui dit-il, >> et sortons ensemble. » Son ami lui demande en quoi il a besoin de lui, et quelle affaire pressée l'a rendu si matineux. « Je t'en instruirai, répond » La Fontaine, quand nous serons sortis. » Poignan, étonné, se lève, sort avec lui, le suit jusqu'aux Chartreux, et lui demande où il le mène ;

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Tu vas le savoir, » répondit La Fontaine, qui lui dit enfin, lorsqu'il fut derrière les Chartreux : « Mon ami, il faut nous battre. » Poignan, encore plus surpris, lui demande en quoi il l'a offensé, et lui représente que la partie n'est pas égale. « Je » suis un homme de guerre, lui dit-il, et toi tu » n'as jamais tiré l'épée. — N'importe, dit La Fontaine, le public veut que je me batte avec toi. » Poignan, après avoir résisté inutilement, tire son épée par complaisance, se rend aisément maître. de celle de La Fontaine, et lui demande de quoi il s'agit. « Le public prétend, lui dit La Fontaine, » que ce n'est pas pour moi que tu viens tous les

رز

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