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Vous vous aimez en sœurs : cependant j'ai raison
D'éviter la comparaison.

L'or se peut partager, mais non pas la louange;

Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange,
Ne contenteroit pas, en semblables desseins,

Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints.

1687-1689

Et. 66-68

de Mazarin et de Bouillon

Evremond de

Fontaine.

Saint-Evre

Toute la société de Mme de Mazarin et de la duchesse Les duchesses de Bouillon, fut enchantée de cette lettre : elle aug- chargent St.menta les regrets de ne pouvoir posséder le poëte répondre à La qui l'avoit écrite. Saint-Evremond fut chargé d'y ré- Réponse de pondre au nom de tous. Sa lettre, qui est en prose mond. et en vers, commence ainsi : « Si vous étiez aussi touché du mérite de Mme de Bouillon que nous en sommes charmés, vous l'auriez accompagnée en Angleterre, et vous eussiez trouvé des dames qui vous connoissent autant par vos ouvrages que vous connoît Mme de La Sablière par votre commerce et votre entretien. » Saint-Evremond, dans cette lettre, apprend à La Fontaine la nouvelle de la mort de Waller, et exprime sa douleur de cette perte en vers assez touchants : il s'étend sur les qualités de la duchesse de Bouillon, et de la duchesse de Mazarin qui fondoit l'espoir de son retour en France sur la mort de son mari.

Par tous moyens traversez son retour,

Jeunes beautés; tremblez au nom d'Hortense :
Si la mort d'un époux la rend à votre cour,
Vous ne soutiendrez pas un instant sa présence.

Saint-Evremond loue ensuite La Fontaine sur son esprit, et même sur sa morale, parce que c'étoit aussi la sienne.

Vous possédez tout le bon sens

Qui sert à consoler des maux de la vieillesse,

1687-1689

Æt. 66-68

Autre Lettre

de Lu Fon

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Vous avez plus de feu que n'ont les jeunes gens;
Eux moins que vous de goût et de justesse.

Après avoir parlé de votre esprit, il faut dire

un mot de votre morale. »

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S'accommoder aux ordres du destin,

Aux plus heureux ne porter point d'envie,
De ce faux air d'esprit que prend un libertin
Connoître avec le temps comme nous la folie,
Et dans les vers, jeu, musique et bon vin,
Entretenir une innocente vie;

C'est le moyen d'en reculer la fin.

Puissiez-vous pousser la vie plus loin que

fait Waller! >>

Que plus long-temps votre Muse agréable
Donne au public ses ouvrages galants!

Que tout chez vous puisse être conte et fable,
Hors le secret de vivre heureux cent ans 56!

n'a

Dans la réponse à cette lettre, nous voyons que

taine à Saint- La Fontaine fut surtout très-satisfait de ce que

Evremond.

Saint-Evremond ne le comptoit pas, malgré la licence de ses mœurs et celle de ses écrits, au nombre des hommes irréligieux; car le mot libertin avoit alors cette signification.

« J'en reviens à ce que vous me dites de ma mo>> rale, et suis fort aise que vous ayez de moi l'opi>> nion que vous en avez. Je ne suis pas moins ennemi que vous du faux air d'esprit que prend un libertin. Quiconque l'affectera, je lui donnerai la palme » du ridicule. »

>>

Rien ne m'engage à faire un livre,
Mais la raison m'oblige à vivre

En sage citoyen de ce vaste univers :
Citoyen qui voyant un monde si divers,

Rend à son auteur les hommages
Que méritent de tels ouvrages.

Ce devoir acquitté, les beaux vers, les doux sons
Il est vrai, sont peu nécessaires:

Mais qui dira qu'ils sont contraires

A ces éternelles leçons?

On peut goûter la joie en diverses façons;

Au sein de ses amis répandre mille choses,

Et, recherchant de tout les effets et les causes,

A table, au bord d'un bois, le long d'un clair ruisseau,
Raisonner avec eux sur le bon, sur le beau ;
Pourvu que ce dernier se traite à la légère,

Et que la nymphe ou la bergère

N'occupe votre esprit et vos yeux qu'en passant.

Le chemin du cœur est glissant:

Sage Saint-Evremond, le mieux est de m'en taire,
Et surtout n'être plus chroniqueur de Cythère,
Logeant dans mes vers les Chloris,
Quand on les chasse de Paris.

On va donc embarquer ces belles;

Elles s'en vont peupler l'Amérique d'Amours 57.

1687-1689

Æt. 66-68

Aveux de

La Fontaine

sur lui-même.

portoit alors

bliques dans

Il faut avouer qu'il échappe ici au bon homme un singulier aveu. L'éditeur des œuvres de Saint-Evremond n'a voulu nous laisser aucun doute sur le sens, déjà fort clair, de ces derniers vers: il nous apprend, que lorsque La Fontaine écrivit cette lettre, on faisoit enlever à Paris un grand nombre de courtisanes, On transqu'on envoya peupler l'Amérique. L'usage étoit de les filles pules transporter non seulement aux Indes occiden- les colonies. tales, mais à Madagascar. Bussy-Rabutin a décrit, assez plaisamment, dans un petit poëme, ces sortes d'exécutions de la police de Paris, qui se faisoient régulièrement, et il nomme aussi Chloris, une de ces dames, qui, embarquée pour Madagascar, se trouve obligée,

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1687-1689 La Fontaine, dans cette même lettre, exprime de Æt. 66-68 justes regrets sur la mort de Waller, et les vers qu'il La Fontaine consacre à son éloge sont dans sa meilleure manière. « Je ne devrois pas, dit-il, faire entrer M.Waller » dans une lettre aussi peu sérieuse que celle-ci. Je >> crois toutefois être obligé de vous rendre compte

fait l'éloge de Waller.

» de ce qui lui est arrivé au delà du fleuve d'Oubli.

>>

Les beaux esprits, les sages, les amants,
Sont en débat dans les Champs-Elysées;
Ils veulent tous en leurs départements
Waller pour hôte, ombre de mœurs aisées.
Pluton leur dit : « J'ai vos raisons pesées ;
>> Cet homme sut en quatre arts exceller:

» Amour et vers, sagesse et beau parler.

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Lequel d'eux tous l'aura dans son domaine? »

Sire Pluton, vous voilà bien en peine.

S'il possédoit ces quatre arts en effet,

Celui d'Amour, c'est chose toute claire,
Doit l'emporter; car quand il est parfait,
C'est un métier qui les autres fait faire.

La Fontaine rend à Saint-Evremond les louanges que celui-ci lui avoit données, et qui étoient d'autant plus flatteuses, que la réputation de Saint-Evremond comme auteur étoit alors prodigieuse : tout ce qui sortoit de la plume de cet ingénieux écrivain avoit la vogue, et une pièce de lui, insérée dans un recueil, suffisoit pour en assurer le succès. Les libraires de ce temps disoient sans cesse aux auteurs: «< Faitesnous du Saint-Evremond 59. » La Fontaine le reconnoît, trop modestement, comme son maître; mais il ajoute qu'il a aussi beaucoup profité à la lecture de Clément Marot, de Vincent Voiture et de François Rabelais.

L'éloge qui vient de vous,
Est glorieux et bien doux :

Tout le monde vous propose
Pour modèle aux bons auteurs.
Vos beaux ouvrages sont cause
Que j'ai su plaire aux Neuf Sœurs :
Cause en partie, et non toute;

J'ai profité dans Voiture 60,
Et Marot, par sa lecture,
M'a fort aidé, j'en conviens.
Je ne sais qui fut mon maître;
Que ce soit qui ce peut être,

Vous êtes tous trois les miens.

« J'oubliois maître François, dont je me dis encore » le disciple, aussi bien que de maître Vincent et » de maître Clément. »

1687-1689

Et. 66-68

commence

infirmités.

à

Nous apprenons encore par cette lettre, que La La Fontaine Fontaine, qui paroît avoir joui constamment d'une éprouver des santé robuste, commençoit à ressentir les atteintes de l'âge; il souffroit beaucoup du rhumatisme, qu'il appelle une invention du diable, pour rendre impotents le corps et l'esprit. Après avoir parlé des belles qu'on embarque pour l'Amérique, il ajoute :

Que maint auteur puisse avec elles
Passer la ligne pour toujours!

Ce seroit un heureux passage.

Ah! si tu les suivois, tourment qu'à mes vieux jours
L'hiver de nos climats promet pour apanage!

Triste fils de Saturne, hôte obstiné d'un lieu,

Rhumatisme, va-t'en; suis-je ton héritage?

Suis-je un prélat? Crois-moi, consens à notre adieu 61.

Pour bien comprendre tout ce que ce dernier vers a de comique, il faut se rappeler que La Fontaine, dans une de ses fables, raconte que la goutte abandonna l'orteil d'un pauvre homme, qui, étant toujours en mouvement, la tracassoit de mille ma

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