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LIVRE CINQUIÈME.

1684-1687

Et. 63-66

DANS le Recueil des Contes publié en 1685, les

éditeurs de Hollande terminent ainsi leur Avertissement. «Mais, parce que l'on est très-bien informé que M. de La Fontaine n'est pas celui qui prise le plus ses ouvrages, et qu'il n'est pas fort exact à les conserver, on prie ceux qui en pourront recouvrer, qui n'auront pas été imprimés, d'en vouloir faire part au public, qui leur en sera redevable. »>

d'Alexandre,

de Cesar et de

M. Le Prince.

1684.

La Fontaine, en effet, écrivoit un assez grand nombre de petits opuscules, qu'il ne se donnoit pas la peine de recueillir, et dont plusieurs n'ont été imprimés qu'après sa mort. C'est ainsi que dans une lettre à un des princes de Conti, il fit une comparaison Comparaison d'Alexandre, de César et du prince de Condé, qui montre des connoissances historiques et un excellent jugement'. Une idée, sur laquelle il revient plusieurs fois dans ce parallèle, devoit le conduire à une sorte de scepticisme qui convenoit bien à l'indécision de son caractère, c'est que toutes les choses ont deux faces, et qu'on peut par conséquent disputer de part et d'autre tant qu'on voudra. « Ainsi, dit-il, >> Charles Stuart a empêché de tout son pouvoir

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qu'on n'ait cherché les conspirations qui se fai>> soient contre lui. Il ne vouloit point qu'on punît >> les conspirateurs; par là il se fit aimer, et ne se

1684-1687» fit pas assez craindre. >> pas assez craindre. » La Fontaine juge assez Et. 63-66 bien, et même assez sévèrement, les fautes de ses héros; mais il est plein d'indulgence pour eux,

La Fontaine excuse

les héros les

quand c'est l'amour qui les fait faillir. « Jules César,

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dit-il, a des traits d'humanité et de clémence; mais j'ai peine à lui pardonner deux fautes : l'une, de ne s'être point assez défié de Brutus; l'autre, » de s'être laissé présenter le diadème, et d'avoir >> fait une tentative si périlleuse : car, quant à l'amour ans» de Cléopâtre, je trouverois les grands personfautes que»nages bien malheureux, s'ils étoient obligés de »> ne vivre que pour la gloire. J'estime autant la conquête de cette reine, que celle de l'Egypte entière. Du tempérament dont César étoit, il en devoit devenir amoureux; c'est une marque » de son bon goût. Je le loue d'avoir été formarum spectator elegans. Alexandre et M. le Prince en » ont usé de la sorte. Je pourrois tirer mes exemples

l'amour fait commettre.

Détails sur le grand Condé.

pour La Fontaine.

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de plus haut, et alléguer Jupiter, quem Deum? » Ce Jupiter, ce Dieu, étoit Louis XIV. Malheureusement les exemples qu'il avoit donnés avoient mis en crédit cette morale relâchée.

On pense bien que, dans ce parallèle, le grand Condé n'y est pas jugé avec sévérité. Ce prince aiSon amitié moit beaucoup La Fontaine, qui ne fit cet écrit que parce qu'une indisposition l'empêchoit de se rendre à l'invitation du héros. Depuis l'année 1675, que le grand Condé quitta le commandement des armées, jusqu'à 1686, époque où, victime de l'amour paternel, il mourut de la maladie qu'il prit auprès

de la duchesse de Bourbon sa fille, il coula des jours 1684-1687 heureux dans sa belle retraite de Chantilli, qu'il 7. 63-66 rendit le centre des beaux arts et des sciences 2. Il aimoit à discuter. « Les contestations de M. le Prince,

Son goût

pour les dis

» dit La Fontaine dans sa lettre, sont fort vives, il cussions. » n'ignore rien non plus que vous. Il aime extrê

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» pas

>> mement la dispute, et n'a jamais tant d'esprit que quand il a tort. Autrefois la fortune ne l'auroit bien servi, si elle ne lui avoit opposé des en>> nemis en nombre supérieur, et des difficultés presqu'insurmontables. Aujourd'hui il n'est plus >> content que lorsqu'on peut le combattre avec une >> foule d'autorités, de raisonnements et d'exemples; » c'est là qu'il triomphe. Il prend la victoire et la » raison à la gorge pour les mettre de son côté. »

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Mort du pre

mier prince

leg novembre

1685.

Ce parallèle est dans une lettre adressée en 1684, à Louis Armand, prince de Conti, celui-là même, dont La Fontaine avoit célébré le mariage, avec Mlle de Blois 3, dans son épître à la duchesse de Fontanges. Ce prince mourut à Fontainebleau à la fleur de l'âge, le 9 novembre 1685, de la petite vérole de Conti qu'il avoit gagnée, en soignant sa femme, atteinte de la même maladie. Ce qui étonna d'autant plus qu'il ne vivoit pas bien avec elle 4. Par la mort de Louis Armand, François Louis, son frère, connu auparavant sous le nom de prince de la Roche-surYon, devint prince de Conti. Ce fut un des hommes les plus brillants du siècle de Louis XIV, mais de Conti. peu estimable par ses mœurs : doué d'une figure charmante, séduisant auprès des femmes, il savoit,

Portrait du

second prince

de la cour,

de l'armée et du peuple.

1684-1687 sans rien perdre de sa dignité, plaire à l'homme du L. 63-66 peuple comme aux grands; esprit lumineux, juste, exact, étendu, plein d'instruction: sa mémoire vaste et sûre lui donnoit la faculté de placer avec un art imperceptible des louanges délicates sur les personnes et sur les familles ; ses reparties, quoique vives, ne blessoient jamais : les jeunes et les vieux trouvoient dans ses entretiens, leur instruction et leur plaisir. « Ce n'est point une hyperbole, dit Saint-Simon, mais une vérité, cent fois éprouvée, qu'on y oublioit l'heure Il est aimé du repas. » « Il fut, ajoute-t-il, les délices du monde, de la cour, des armées, la divinité du peuple, le héros des officiers, l'amour du parlement, l'admiration des savants. » M. de Montausier et Bossuet, qui l'avoient vu élever avec le dauphin, l'aimoient tendrement: il vivoit avec eux dans une intime confiance, et il se concilia aussi l'affection des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, des cardinaux de Janson et d'Estrées, et du vertueux Fénélon. Le grand Condé ne cachoit pas la prédilection qu'il avoit pour lui; le duc de Luxembourg se plaisoit dans sa société, et ces deux grands capitaines l'initioient aux secrets de l'art militaire, qui les avoit rendus si fameux.

Louis XIV

inadame

Dans sa jeunesse, Louis XIV eût distingué un tel de Maintenon homme, et en eût fait un instrument de sa puis

et

sont jaloux de son mérite.

:

sance et de sa gloire. Mais les temps étoient changés Louis XIV, ainsi que Mme de Maintenon, étoient jaloux du mérite du prince de Conti, à cause du duc du Maine, qui se trouvoit effacé par lui 5.

:

Ce prince chez sa belle

alloit souvent

sœur, on se réunissoient

Lorsque, dans le salon de Marly, on voyoit le prince 1684-1687 de Conti, entouré et écouté avec avidité, le roi ne Æt. 63-66 pouvoit s'empêcher d'en témoigner de la peine mais, dit Saint-Simon, quoiqu'on sût que ce n'étoit pas faire sa cour, on ne laissoit pas d'approcher, comme attiré par une force irrésistible. Aussi, il étoit le seul prince, sans charge, sans gouvernement, et même sans régiment. Il alloit se consoler de ses disgrâces chez sa belle-sœur, avec laquelle on le soupçonna, non sans raison, d'avoir une liaison intime, du vivant même de son frère 6. Là, se le Dauphin, et réunissoient aussi Luxembourg et tous les seigneurs qui avoient des prétentions à la faveur du Dauphin, qu'attiroit dans cette maison son inclination pour Mlle Choin, fille d'honneur de la princesse 7. La Fontaine fut aussi admis dans cette société; et, plusieurs des épîtres en vers, et des lettres en prose da qui nous restent de lui, n'auroient pu être éclaircies qu'imparfaitement, sans les détails dans lesquels nons venons d'entrer.

tous ceux qui étoient dans sa faveur.

La Fontaine

étoit admis dans cette so

ciété.

la disgrâce des

de Conti.

Le premier prince de Conti, celui auquel La Fon-, Causes de taine adressa la comparaison d'Alexandre, de César deux princes et de Condé, vivoit encore, lorsqu'avec son frère, le prince de La Roche-sur-Yon, il obtint la permission de suivre le prince de Turenne dans la guerre contre les Turcs. Les lettres fréquentes que le prince de Conti écrivoit à sa femme, excitèrent les soupçons du roi, qui donna des ordres pour intercepter cette correspondance. On arrêta, à Strasbourg, un des pages du prince, nommé Merfit, porteur de plu

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