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pouvoit plus se passer d'elle, ni elle de lui. Etrange 1684-1687 bizarrerie des événements humains! Une nièce du Æt. 63-66 cardinal Mazarin charmoit l'exil de celui que ce ministre n'avoit cessé de persécuter. Saint-Evremond étoit parvenu à inspirer à la duchesse de Mazarin le goût des lettres et des savants; mais à une certaine époque, vers 1683, il vit avec peine ce goût céder à celui du jeu. La bassette, qui faisoit fureur en France, fut apportée en Angleterre, et la duchesse de Mazarin oublia tout, pour cette nouvelle passion. C'est ce dont Saint-Evremond se plaint Celui-ci se amèrement 79.

Qu'est devenu le temps heureux

Où la raison d'accord avec vos plus doux vœux,
Où les discours sensés de la philosophie
Partageoient les plaisirs de votre belle vie?
Vossius apportoit un traité de la Chine,
Où cette nation paroît plus que divine;

Justel.

Etoit venu chercher, au bruit de votre nom,
Comment, sans crainte et sans dommage,
On feroit imprimer quelque nouvel ouvrage
Du trop savant Père Simon?

Leti de Sixte-Quint vous présentoit l'histoire.

Que sert à ces Messieurs leur illustre science?
A peine leur fait-on la simple révérence;
Et les pauvres savants, interdits et confus,
Regardent Mazarin qui ne les connoît plus.
Tout se change ici-bas, à la fin tout se passe;
Les livres de bassette ont des autres la place,
Plutarque est suspendu, Don Quichotte interdit,
Montaigne auprès de vous a perdu son crédit,
Racine vous déplaît, Patru vous importune,
Et le bon La Fontaine a la même fortune.

Ce dernier trait étoit une exagération faite à

plaint que le goût de la duchesse pour les lettres et les savants s'affoiblit.

chérissoit La

veut l'attirer

à elle.

1684-1687 dessein. La duchesse de Mazarin avoit une prédilecEt. 63-66 tion toute particulière pour La Fontaine 8; aussi Mais elle Saint-Evremond, qui le savoit, mettoit un grand Fontaine, et intérêt à l'attirer en Angleterre, et comptoit beaucoup sur ce moyen pour réveiller en elle le goût des lettres, et la distraire de sa passion pour le jeu. Nous verrons qu'ils firent intervenir la duchesse de Bouillon dans leur complot, et ce n'est qu'alors qu'ils furent sur le point de le faire réussir.

La Fontaine

ne peut se ré

ter

Madame

de La Sabliè

re.

qu'il venoit

de publier est

Mais à l'époque dont nous traitons, il eût été soudre à quit impossible de faire abandonner à La Fontaine la maison de madame de La Sablière. Il semble que la tendre amitié qu'il avoit pour elle augmentoit avec les privations qu'il éprouvoit par les fréquentes absences de celle qui en étoit l'objet. Le recueil dont nous nous occupons est en quelque sorte plein Le recueil du nom de madame de La Sablière. On a déjà pu plein de son remarquer que les louanges qu'il lui donne ne ressemblent à aucune de celles qu'il a adressées à d'autres femmes: ce n'est pas de la galanterie, mais l'expression vive et franche de l'admiration et de la reconnoissance; c'est un sentiment aussi passionné, mais plus respectueux que celui de l'amour, aussi fort et aussi solide que celui de l'amitié, Fable inti- mais plus tendre et plus touchant. Dans la fable intibeau, la Ga- tulée : le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat, qu'il

nom et de ses louanges.

tulée: le Cor

zelle,la Tortue

et le Rat, dé

diée à Madame lui a dédiée, et qui est destinée à peindre l'héroïsme

de La Sabliè

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de l'amitié, il commence par lui dire qu'il veut lui bâtir un temple dans ses vers où elle sera éternellement adorée; il détaille avec délices toutes les

qua

lités qui la rendent digne de l'hommage des mortels. 1684-1687 Enfin, abandonnant toutes les allégories, toutes les Et. 63-66 louanges, et se livrant à l'effusion de son cœur, il s'écrie:

O vous, Iris, qui savez tout charmer,
Vous que l'on aime à l'égal de soi-même;
Ceci soit dit sans nul soupçon d'amour,
Car c'est un mot banni de votre cour,
Laissons-le donc...

Ille laisse en effet pour conter sa fable; mais en termi-
nant il revient encore sur un sujet si doux et si cher :

Que n'ose et que ne peut l'amitié violente!

Cet autre sentiment que l'on appelle amour,
Mérite moins d'honneurs; cependant chaque jour

Je le célèbre, et je le chante.

Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente.

Vous protégez sa sœur ; il suffit: et mes vers

Vont s'engager pour elle à des tons tout divers.
Mon maître étoit l'Amour; j'en vais servir un autre,

Et porter par tout l'univers

Sa gloire aussi bien que la vôtre.

aimoit à rap

qui faisoit honneur à

La Sablière,

C'est surtout dans la dédicace de ce volume qu'on la Fontaine voit avec attendrissement combien La Fontaine porter tout ce aimoit à rapporter à madame de La Sablière tout Madame de ce qui pouvoit l'élever dans l'opinion des autres, même au détriment de celle qu'on pouvoit concevoir de lui.

même à son

propre détri

ment.

Elle lui conseille de dédier son nouveau recueil à de Harlay.

Portrait de

Cette dédicace est une épître en vers et en prose, adressée à M. de Harlay, procureur-général au parlement c'étoit un petit homme maigre, sec, mais plein de vigueur: sa science profonde, de Harlay. la rectitude de son jugement, sa connoissance du monde, son talent de faire sortir de leurs plus profonds replis les secrets des cœurs, sa sévère

1684-1687 probité, ses mœurs antiques, son énergie, son At. 63-66 amour pour le bien public, lui avoient donné un tel ascendant sur le parlement, qu'il dominoit

ce corps et le conduisoit à son gré. Son inflexibilité, et surtout la nature de son esprit vif, brillant, caustique, sa franchise sévère qui s'expliquoit sans ménagement, et souvent avec dureté, lui avoient fait beaucoup d'ennemis. Un tel caractère n'avoit aucune analogie avec celui de La Fontaine; il formoit avec lui un contraste complet par ses défauts, et même par la plupart de ses vertus. Aussi notre fabuliste n'étoit pas très-lié avec de Harlay, qui cependant aimoit beaucoup ses fables, et les lisoit De Harlay sans cesse. De Harlay, voulant être le bienfaiteur fde. La d'un poëte qui faisoit ses délices, se chargea de son

se charge du

fils

Fontaine.

fils, et le prit chez lui pour l'établir. Peut-être La Fontaine se seroit tenu à une visite de remerciement qu'exigeoit impérieusement un pareil bienfait; mais madame de La Sablière lui fit entendre qu'il devoit un hommage public à un homme aussi généreux envers lui, et d'un aussi grand mérite, que le Dédicace de procureur-général. C'est alors que notre fabuliste de Harlay. écrivit la dédicace dont nous avons parlé. Mais, au

La Fontaine à

La Fontaine risque d'être moins agréable à ce nouveau protec

avoue que

c'est Madame

de La Sablière teur, il n'a pu s'empêcher de rendre à son amie, à

qui lui a dit

de la compo- sa bienfaitrice, tout l'honneur de cette pensée :

ser.

Iris m'en a l'ordre prescrit.

Cette Iris, Harlay, c'est la dame

A qui j'ai deux temples bâtis,

L'un dans mon cœur, l'autre en mon livre :

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La Fontaine loue ensuite de Harlay par les qualités qui
le distinguoient particulièrement comme magistrat.

Au moindre des mortels votre porte est ouverte ;
Nos vœux y sont ouïs, notre plainte soufferte:
L'équité sort toujours contente de ces lieux.
Que si la passion où l'intérêt nous plonge
Fait que quelque client y mène le mensonge,
Le mensonge n'y peut imposer à vos yeux,

De quelque adresse qu'il se pique 82.

1684-1687

Æt. 63-66

La Fontaine avoit fait donner à son fils une La Fontaine

avoit donné à

fils une

bonne éduca

excellente éducation, à laquelle avoit présidé son son ami Maucroix 83. Dès que M. de Harlay se fut chargé

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ne s'inquiéta plus de lui,

quand de Har

lay s'en fut

Distraction de La Fontairelative

de ce fils, son père ne s'en occupa plus, et, ce qui doit
un peu l'excuser, c'est qu'il ne s'occupoit pas de lui- chargé.
même. Dupin, docteur en Sorbonne et auteur d'un
grand nombre de savants ouvrages, a raconté à
Titon du Tillet qu'un jour La Fontaine l'étant venu
voir, il le reconduisoit sur l'escalier; dans le même ne,
moment, le fils de La Fontaine monta, et Dupin
lui dit : «< Monsieur, vous voilà en pays de connois-
sance; allez dans mon appartement; je reconduis
M. votre père. » La Fontaine ne fit pas grande atten-
tion à son fils, qu'il avoit cependant salué, et il de-
manda à Dupin, quel étoit ce jeune homme. « Quoi,

ment à son fils.

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