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1654-1658 francs, à condition qu'il en acquitteroit chaque Et. 33-37 quartier par une pièce de vers, condition qui fut exactement remplie 23.

quet, et s'at

Il plaît à Fou- La Fontaine avoit le goût et le sentiment des arts, tache à lui. qui s'allient presque toujours avec le génie poétique ;

il savouroit avec délices la tranquillité du séjour de la campagne; mais il recherchoit aussi la société, et surtout celle des femmes aimables; enfin, il ne haïssoit pas la bonne chère 24. Qu'on juge de son bonheur lorsque le surintendant lui procura toutes ces jouissances sans qu'il en coûtât aucun sacrifice à son insouciance et à sa paresse! Aussi dès lors il fut tout à Fouquet; sa reconnoissance en fit un héros 25 : il l'aima véritablement dans sa prospérité, mais il l'aima plus encore dans son malheur.

Transporté tout à coup du fond d'une province au milieu de la société la plus brillante du royaume, La Fontaine se fit de tous ceux qui le connurent des protecteurs et des amis. On s'étonnera justement de ce succès, si l'on considère le portrait qu'ont tracé de lui quelques uns de ses contemporains. On ne peut expliquer l'empressement qu'on mettoit à l'accueillir, par l'éclat de sa réputation, et par le plaisir qu'on trouvoit à la lecture de ses ouvrages; La Fontaine n'avoit encore rien produit qui pût le tirer de l'obscurité. D'ailleurs, alors comme aujourd'hui, on savoit très-bien, au besoin, applaudir aux écrits d'un auteur, et négliger sa personne. L'exemple du grand Corneille suffiroit seul pour le prouver. La Fontaine avoit donc des qua

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La Fontaine.

lités aimables, puisqu'il se faisoit aimer; mais inca- 1654-1658
pable de tout effort, de toute contrainte, ces qua, Æt. 33–37
lités ne se manifestoient qu'avec les personnes dont
il étoit particulièrement connu, ou lorsque la joie
qu'il éprouvoit le faisoit sortir de son habituelle
apathie. Concentré dans ses propres pensées, dis- Portrait de
trait, rêveur, il étoit souvent, dans la société, d'une
nullité complète, qui, lors de sa grande célébrité,
choquoit d'autant plus ceux qui avoient lu ses écrits,
qu'avant de l'avoir vu ils s'étoient promis beaucoup
de jouissances de la conversation d'un homme
d'une tournure d'esprit si gaie, si originale. Aussi,
en recueillant avec soin tout ce qu'ont écrit sur
notre poëte ses contemporains, il faut bien distin-
guer ceux qui n'eurent avec lui que des relations
passagères, d'avec ceux qui ont vécu dans son
intimité, et qui seuls peuvent nous en donner une
idée exacte. Ses distractions et sa candeur donnèrent
lieu à des aventures plaisantes, et souvent presque
incroyables. Nous ne devons pas omettre ces parti-
cularités, toutes minutieuses qu'elles sont, parce
qu'elles servent à peindre cet homme singulier;
mais nous devons les séparer des contes absurdes
que, même de son vivant, on a débités sur lui,
et dont il est facile de démontrer la fausseté. C'est
ainsi que nous obtiendrons un portrait piquant par
sa vérité, au lieu d'une risible mais fausse carica-
ture.

Louis Racine, qui n'a connu La Fontaine que
par tradition, et par ce que lui en ont dit ses

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1654-1658 sœurs, en parle dans les termes suivants : « Autant Et. 33-37 il étoit aimable par la douceur du caractère, auSelon tant il l'étoit peu par les agréments de la société. Il n'y mettoit jamais rien du sien; il ne parloit pas, ou vouloit toujours parler de Platon 26. »

Louis Racine.

Selon

La Bruyère.

La Bruyère, qui aime à charger ses portraits, trace en ces termes celui de La Fontaine : « Un homme paroît grossier, lourd, stupide; il ne sait pas parler, ni raconter ce qu'il vient de voir s'il se met à écrire, c'est le modèle des bons contes; il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle pas; ce n'est que légèreté, qu'élégance, que beau naturel et que délicatesse dans ses ouvrages 27. » La Bruyère ajoute à ce portrait celui du grand Corneille qui offroit un pareil contraste entre sa personne et ses écrits; mais on laissoit le grand Corneille dans sa solitude, et on recherchoit La Fontaine. Continuons de rassembler les témoignages de ses contemporains, et nous en saurons bientôt les raisons.

Une femme qui, nous le croyons, s'est cachée sous un faux nom, et qui eut avec La Fontaine, dans les dernières années de sa vie, des liaisons intimes, dont nous chercherons par la suite à déterminer la nature, a réclamé avec chaleur contre le portrait qu'en a tracé La Bruyère, et, à cet égard, elle en appelle au témoignage de tous ceux qui ont connu La Fontaine. Ce qu'elle en dit est confirmé par d'Olivet, qui a vécu avec plusieurs amis de La Fontaine, et qui s'exprime ainsi sur son compte.

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Selon d'Olivet.

« A sa physionomie on n'eût point deviné ses 1654-1658 talents. Rarement il commençoit la conversation, et Et.33-37 même, pour l'ordinaire, il y étoit si distrait, qu'il ne savoit ce que disoient les autres. Il rêvoit à tout autre chose, sans qu'il pût dire à quoi il rêvoit. Si pourtant il se trouvoit entre amis, et que le discours vînt à s'animer par quelque agréable dispute, surtout à table, alors il s'échauffoit véritablement, ses yeux s'allumoient; c'étoit La Fontaine en personne, et non pas un fantôme revêtu de sa figure.

>> On ne tiroit rien de lui dans un tête-à-tête, à
moins que le discours ne roulât sur quelque chose
de sérieux et d'intéressant pour celui qui parloit.
Si des personnes dans l'affliction s'avisoient de le
consulter, non seulement il écoutoit avec grande
attention, mais, je le sais de gens qui l'ont éprouvé,
il s'attendrissoit; il cherchoit des expédients; il en
trouvoit; et cet idiot (c'est d'Olivet qui parle),
qui de sa vie n'a fait à propos une démarche pour

lui, donnoit les meilleurs conseils du monde :
autant il étoit sincère dans ses discours, autant
étoit-il facile à croire tout ce qu'on lui disoit.

» Une chose qu'on ne croiroit pas de lui, et qui
est pourtant très-vraie, c'est que dans ses conver-
sations il ne laissoit rien échapper de libre, ni
d'équivoque. Quantité de gens l'agaçoient, dans
l'espérance de lui entendre faire des contes sem-
blables à ceux qu'il a rimés; mais il étoit sourd et
muet sur ces matières : toujours plein de respect
pour les femmes, donnant de grandes louanges à

1654-1658 celles qui avoient de la raison, et ne témoignant Et. 33-37 jamais de mépris à celles qui en manquoient 28.

Selon

Mad. Ulrich.

>>

Nous voyons par là que La Fontaine étoit un convive aimable, un homme de bon ton et de bon conseil, sensible et affectueux, plein d'indulgence pour les autres, simple et sans prétention pour lui-même un composé si rare nous explique suffisamment ses succès dans le monde. Aussi la dame dont nous avons parlé plus haut, et qui publia les œuvres posthumes de notre poëte un an après sa mort, oppose-t-elle la manière dont il étoit accueilli partout, au portrait qu'en a tracé La Bruyère.

<< Si l'auteur qui l'a peint sous des traits si contraires à la vérité l'avoit bien connu, dit-elle, il auroit avoué que le commerce de cet aimable homme faisoit autant de plaisir que la lecture de ses livres. Aussi tous ceux qui aiment ses ouvrages. (et qui est-ce qui ne les aime pas ?) aimoient aussi sa personne. Il étoit admis chez tout ce qu'il y a de meilleur en France. Tout le monde le désiroit, et si je voulois citer toutes les illustres personnes et tous les esprits supérieurs qui avoient de l'empressement pour sa conversation, il faudroit que je fisse la liste de toute la cour 29. »>

Mais c'est encore plutôt dans ses ouvrages que dans les renseignements donnés par ses contemporains, , que nous devons étudier cette alliance d'un esprit plein de finesse et de malice avec cette simplicité et cette bonhomie innées et inaltérables,

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