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voiture. On peut juger de la peur qu'on eut; on crut qu'il avait été reconnu et pris. Enfin nous étions au commencement du village de Varennes. Il y a à peine une centaine de maisons. Dans ce lieu, point de poste; et d'ordinaire les personnes qui voyagent font venir des chevaux. Nous en avions, mais ils étaient au château, de l'autre côté de la rivière, et personne ne savait où les trouver. Enfin le courrier revint; il amena avec lui un homme qu'il croyait qui était dans le secret cet homme, je crois, était un espion de la Fayette. Il vint à la voiture en bonnet de nuit et en robe de chambre; il se jeta presque tout entier dedans; il disait qu'il avait un secret, mais qu'il ne voulait pas le dire. Madame de Tourzel lui demanda s'il connaissait madame de Korff; il dit que non : depuis, je n'ai plus revu cet homme. On vint à bout de persuader aux postillons que les chevaux étaient au château; ils se mirent à marcher, mais bien doucement. Arrivés au village, nous entendîmes des cris affreux autour de la voiture : Arréte, arrête! On s'empara des postillons, et en un moment la voiture fut environnée de tout plein de monde armé, et de flambeaux. Ils nous demandèrent qui nous étions? On leur répondit: Madame de Korff et sa famille. Ils prirent des lumières, les mirent justement devant mon père, et nous signifièrent qu'il fallait descendre. On leur dit que non ; que nous étions de simples voyageurs, et que nous devions passer. Ils nous sommèrent de descendre, ou qu'ils nous tueraient tous. Au même instant, tous les fusils se tournèrent contre la voiture. Nous descendîmes, et, en traversant la rue, nous vîmes passer six dragons à cheval. Il n'y avait malheureusement pas d'officier; car, sans cela, six hommes bien déterminés auraient pu faire peur à tous ces gens, et sauver le roi.

Maintenant, après avoir rapporté ces souvenirs naïfs et touchants de l'innocence et de la vérité, s'exprimant par la bouche de la plus intéressante princesse de l'Europe, je vais offrir un récit plus détaillé de ce même voyage, des causes qui le motivèrent, et des circonstances qui l'accompagnèrent et le suivirent. Je le dois aux bontés d'un ministre de Louis XVI en pays étranger,

le marquis de Bombelles. Il lui fut adressé par un prélat distingué qui a joui, pendant plus de deux années, d'une grande confiance de la part du roi et de la reine. L'habitude que ce prélat eut de voir leurs majestés dans leur intimité, en 1791 et en 1792, donna de fréquentes occasions d'apprendre de leur bouche les détails qu'il confia ensuite à l'amitié. J'ose croire que ce morceau d'histoire mérite infiniment plus de croyance que les relations de cet événement qui ont été publiées jusqu'à ce jour, lesquelles sont presque toutes défigurées et altérées, soit par la partialité, soit par des motifs personnels.

Relation du voyage de Varennes, adressée par un prélat, membre de l'assemblée constituante, à un ministre en pays étranger.

Il n'a fallu rien moins que le désir que vous m'avez montré, pour me déterminer à mettre par écrit les douloureux détails, venus à ma connaissance, du voyage de Varennes. Il y aura sans doute beaucoup de relations de cet événement, l'un de ceux qui. ont le plus influé sur le sort de la révolution et du roi. Il y a à parier qu'elles ne s'accorderont point entre elles, soit parce que de toutes les personnes qui ont été à portée de tout connaître par elles-mêmes, il n'existe plus que Madame, fille du roi, alors bien jeune, et madame de Tourzel '; soit parce que les autres acteurs n'ont vu qu'une partie de l'événement, et ont quelque intérêt à présenter les faits, même ceux qu'ils ont pu le mieux savoir, un peu autrement qu'ils ne se sont passés. Je n'ai pas la prétention de vous faire une relation exempte de toute erreur ; j'ai seulement celle de vous retracer fidèlement, et sans partialité, ce qui est resté gravé dans ma mémoire, des conversations que j'ai eues avec la reine elle-même, ensuite avec M. de Bouillé, et avec d'autres personnes qui m'ont paru très-bien instruites de toutes les particularités de cet événement,

1 Cette dame jouissait dans le monde sensibilité : « En vous confiant mes ende la considération la mieux méritée; fants, madame, je suis sûre de les mettre lorsqu'elle fut nommée gouvernante des entre les mains de la vertu même. »> enfants de France, la reine lui dit avec

W.

Le roi s'était constamment refusé à sortir de Paris pendant les années 1789 et 1790, malgré les instances de ses serviteurs les plus dévoués, l'évidence des raisons qui devaient l'y déterminer, et les facilités que plusieurs circonstances lui ont quelquefois présentées, surtout pendant le séjour assez long qu'il fit à Saint-Cloud durant l'été de 1790. J'en raisonnai plusieurs fois avec la reine : elle me répondit constamment que le roi avait pris son parti là-dessus, qu'il était inutile de lui en parler; et quand j'insistais, elle me fermait la bouche en me disant : « Que voulez-vous que le roi fasse loin de Paris, sans argent, sans moyens personnels pour rappeler l'armée à la fidélité, sans lumière pour se diriger, sans conseils pour suppléer à ce qui lui manque; et, outre cela, avec son horreur pour la guerre civile ? N'en parlons plus.

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Je crois en effet que ces raisons auraient constamment retenu le roi auprès de l'assemblée, si elle se fût tenue dans les bornes de la modération et d'une sorte d'égards pour sa personne, qui sembla diriger la majorité pendant l'été de 1790 : mais le projet presque hautement avoué de s'emparer du pouvoir exécutif, et de l'exercer jusque dans ses moindres détails; le renvoi des anciens ministres, pour y substituer des ministres révolutionnaires, et surtout l'atroce persécution contre la religion et ses ministres fidèles, dont le roi semblait être complice, furent, je crois, les véritables motifs qui, en lui rendant sa situation absolument intolérable, lui firent naître, vers la fin de 1790, le désir de se soustraire à l'empire que l'assemblée avait pris sur lui. La reine fut d'abord la seule personne à laquelle il s'ouvrit de ce projet soit qu'elle fût frappée des raisons que j'ai indiquées plus haut, soit que, par pressentiment ou par une sagacité dont je lui ai vu des exemples étonnants, elle prévît les malheurs qui arriveraient, non-seulement elle ne chercha pas à l'affermir dans l'idée de fuir, mais elle ne voulut s'en occuper sérieusement qu'à ses instances réitérées, et lorsqu'elle se fut bien convaincue que son parti était pris invariablement.

Les circonstances étaient telles, qu'il ne fallait songer à sortir de Paris que par adresse. La force aurait été inutile, et du plus grand danger l'adresse même n'était pas sans de grandes diffi

cultés. Quoique le roi se fût proclamé libre dans toutes les occasions, depuis que quinze mille baïonnettes et vingt pièces de canon l'avaient conduit de Versailles aux Tuileries; quoique l'assemblée se mît en fureur toutes les fois qu'il échappait devant elle le plus petit doute sur la liberté du roi, il n'en était pas moins vrai que Louis XVI et toute sa famille étaient prisonniers, et prisonniers gardés à vue avec la plus grande surveillance. Tous les jours six cents gardes nationaux, tirés des sections de Paris, montaient la garde aux Tuileries. Deux gardes à cheval étaient constamment devant la porte extérieure. Tous les postes du dehors, c'est-à-dire les postes du château et des cours, étaient partagés aux gardes suisses et aux gardes nationales. Deux corps de garde de ces troupes étaient postés au Pont-Tournant, et des sentinelles à toutes les autres portes du jardin des Tuileries. La terrasse sur la rivière était garnie de sentinelles de cent en cent pas.

Dans l'intérieur, les gardes et les sentinelles étaient encore plus multipliés que les gardes du corps à Versailles. On en trouvait jusque dans les issues qui conduisaient aux cabinets du roi et de la reine, et jusque dans un petit corridor noir pratiqué dans les combles, où étaient des escaliers dérobés pour le service de leurs majestés. Les officiers de la garde nationale faisaient le service des officiers des gardes du corps. Ni le roi ni la reine ne pouvaient sortir qu'ils ne fussent accompagnés d'un certain nombre d'eux. Outre cette surveillance stricte et publique, il y en avait une autre qui n'était pas moins difficile à tromper, c'était celle des valets de l'intérieur; presque tous étaient des espions. J'ai vu la reine convaincue que, sur toutes les personnes de son intérieur, elle ne pouvait compter que sur ses premières femmes de chambre; et, parmi ses gens, sur un ou deux valets de pied. Quant au roi, je crois que ses quatre premiers valets de chambre étaient les seuls auxquels il pût se fier.

Avant de penser aux moyens d'échapper à tant de surveillants et de les combiner, le roi et la reine s'occupèrent du lieu de leur retraite, et de s'assurer une force militaire capable de les mettre à l'abri du danger du premier moment.

Ils jetèrent, pour ces deux objets, les yeux sur M. le marquis

de Bouillé ; ils ne pouvaient mieux choisir une grande réputation, le premier talent militaire du royaume, de la hardiesse unie à la prudence, l'estime des troupes, M. de Bouillé réunissait tout cela. Il commandait en chef à Metz, en Lorraine, en Alsace. Sa constance à se tenir dans son commandement avait conservé là plus de troupes fidèles qu'ailleurs, et il venait tout récemment d'ajouter à sa gloire et à la terreur que son nom inspirait aux factieux, en forçant, avec une poignée de monde, la garnison rebelle de Nancy à se soumettre à un ordre du roi et de l'assemblée. Il restait toujours à Metz ou dans son commandement, qu'il n'avait pas quitté depuis le commencement de la révolution.

Le roi lui écrivit pour lui faire l'ouverture de son projet, et l'engager à le seconder. Sa première réponse fut de tâcher de détourner sa majesté d'une résolution dont le danger, pour le roi, le frappait bien plus que les avantages qui pouvaient en résulter pour la chose publique. Mais le roi ayant insisté avec une volonté qui lui parut aussi réfléchie que déterminée, M. de Bouillé se livra avec tout le courage, la hardiesse et la sagesse qui font la partie brillante de son caractère, à combiner les moyens qui dépendaient de lui.

Le lieu de retraite fut déterminé à Montmédy: c'est une ville très-forte, sur les confins de la Champagne, l'endroit des frontières le plus rapproché de Paris, touchant les terres de l'empereur, et très à portée de Luxembourg. En cas de malheur, la retraite dans ce boulevart, estimé le plus fort de l'Europe, était facile. Un autre avantage était de pouvoir recevoir facilement des secours d'une armée autrichienne, si on en avait besoin. Ce cas étant possible et même probable, il fut convenu de mettre l'empereur dans la confidence, et de l'engager à envoyer dans Luxembourg, sous le prétexte des troubles de Flandre, un corps de vingt-cinq mille hommes, qui serait aux ordres du roi. C'était Léopold qui était depuis un an sur le trône des Césars. Il promit tout ce qu'on devait attendre de sa générosité; il fit ses dispositions avec un secret digne de sa sagesse, et il attendit avec anxiété l'événement duquel allait dépendre le salut de sa sœur et de son beau-frère, la tranquillité de ses États et celle de l'Europe. M. de Bouillé proposa d'abord la route de Flandre, comme la

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