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et qui ont laissé dans les cœurs une impression profonde. Ils sont venus poser les fondemens inébranlables de la félicité publique... » O utinam!

Si le discours de M. l'abbé Barthélemy n'a pas paru d'un grand effet, la réponse de M. le chevalier de Boufflers, chargé des fonctions de directeur de l'Académie, a fini par réunir tous les suffrages de la manière la plus éclatante. On a trouvé d'abord ce qu'il a dit à la suite de l'éloge de M. Beauzée, sur la métaphysique des langues, d'une discussion trop subtile, trop obscure, au moins trop longue pour un discours oratoire; mais le morceau où il a peint la Grèce détruite par la main du temps, et tous ses monumens relevés, tous ses grands personnages ressuscités par le génie de M. l'abbé Barthélemy, a excité des applaudissemens universels. Il est impossible de louer avec plus d'esprit, de grace et d'imagination. Nous ne nous refuserons point au plaisir. d'en transcrire au moins une partie.

gers,

« La Grèce, dit M. de Boufflers, est le pays qui atteste le moins ce que fut autrefois la Grèce; le voyageur qu'une curiosité audacieuse a conduit loin de sa patrie vers ces rivages désolés n'y retrouve pas même la nature, et pour unique fruit de tant de fatigues et de danil ne remporte qu'une grande leçon, c'est que pour les pays comme pour les peuples la liberté est un principe de vie, et le despotisme un principe de mort... Mais quel autre Orphée, quelle voix harmonieuse a rappelé sur ces coteaux dépouillés les arbres majestueux qui les couronnaient, et rendu à ces lieux incultes l'ornement de leurs bocages frais, de leurs vertes prairies et de leurs ondoyantes moissons? Quels puissans accords ont de nouveau rassemblé les pierres éparses de ces murs au

trefois bâtis par les dieux? Tous les édifices sont relevés sur leurs fondemens, toutes les colonnes sur leurs bases, toutes les statues sur leurs piédestaux ; chaque chose a repris sa forme, son lustre et sa place, et dans cette création récente, le plus aimable des peuples a retrouvé ses cités, ses demeures, ses lois, ses usages, ses intérêts, ses travaux, ses occupations et ses fêtes. C'est vous, monsieur, qui opérez tous ces prodiges; vous parlez, aussitôt la nuit de vingt siècles fait place à une lumière soudaine et laisse éclore à nos yeux le magnifique spectacle de la Grèce entière au plus haut degré de son antique splendeur. Argos, Corinthe, Sparte, Athènes et mille autres villes disparues sont repeuplées. Vous nous montrez, vous nous ouvrez les temples, les théâtres, les gymnases, les académies, les édifices publics, les maisons particulières, les réduits les plus intérieurs... et jamais les Grecs n'ont aussi bien connu la Grèce, jamais ils ne se sont si bien connus entre eux que votre Anacharsis nous les a fait connaître, etc. »

Beaucoup d'auditeurs se sont permis de croire que dans tout l'ouvrage si délicieusement loué l'on aurait peut-être de la peine à trouver autant de poésie, autant d'imagination qu'il y en a dans ce seul morceau.

Après les deux discours, M. Marmontel a annoncé que M. de Fontanes avait remporté le prix de poésie, et qu'une Épître de M. l'abbé Noël sur le même sujet avait obtenu une mention honorable. Nous avons déjà eu l'honneur de vous faire connaître la pièce couronnée que l'auteur a désiré de lire lui-même. On a remarqué dans le Poëme sur l'Édit en faveur des non Catholiques, les portraits de Bossuet et de Fénélon, surtout le dernier où se trouve ce vers charmant :

Son goût fut aussi pur que son ame était belle.

Mais ce qu'on a le plus applaudi, c'est l'éloge de ce ministre citoyen (1)

que

Que les complots des cours ont trois fois exilé,
Et que le vœu public a trois fois rappelé.

Le prix d'éloquence, dont le sujet était l'Éloge de Vauban, a été réservé pour l'année prochaine, ainsi celui fondé l'abbé Raynal, et pour sujet duquel par on avait proposé un Discours historique sur le caractère et la politique de Louis XI. Le prix d'utilité a été accordé à M. Gudin de La Brenellerie pour son ouvrage sur les Comices de Rome, les états-généraux de France et le Parlement d'Angleterre; cette distinction pourra faire connaître l'ouvrage, assez ignoré jusqu'ici. Le prix d'encouragement a été donné à M. l'abbé Noël, et celui de vertu à une domestique du sieur Réveillon, qui est à son service depuis plus de quarante ans, et qui a déployé un courage surnaturel pour son sexe et pour son âge au milieu de l'horrible pillage de la maison de son maître dans la dernière émeute du faubourg Saint-Antoine.

Ce qui a étonné du moins quelques personnes, c'est d'entendre que le sujet du nouveau prix d'éloquence proposé par l'Académie pour l'année prochaine était l'Éloge de Jean-Jacques Rousseau. Qu'en diront les mânes de d'Alembert et de Voltaire? Mais on ne gagnera que six cents livres à louer Rousseau, et deux mille quatre cents à déchirer Louis XI.

(1) Necker.

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Examen politique et critique d'un ouvrage intitulé HISTOIRE SECRÈTE DE LA COur de Berlin, ou CorresPONDANCE D'Un voyageur FRANÇAIS, par Frédéric baron de Trenck. Un volume in-8° avec cette épigraphe

Quid immerentes hospites vexas?

Cave, cave, namque in malos asperrimus

Parata tollo cornua.

HORAT. Epod. Od. VI.

On croira difficilement que M. le baron de Trenck, si tant est que l'ouvrage soit de lui, ait trouvé la meilleure manière de répondre au fameux voyageur. Est-ce d'un examen politique et critique que l'Histoire secrète devait paraître susceptible? En prenant ce parti, ne fallait-il pas éviter au moins les longueurs, les répétitions fastidieuses dont ce gros volume est rempli? Les injures viennent bien animer quelquefois la discussion, mais dans le genre de l'injure ne sait-on pas que depuis long-temps M. le comte de Mirabeau a laissé loin derrière lui tous ses rivaux et tous ses modèles? Voici cependant un échantillon des plaisanteries de M. de Trenck, qui a paru assez ferme, à propos des fausses prédictions du comte sur l'affaire de la Hollande : « Ne mériterait-il pas, dit-il, d'éprouver le sort du juif Michée? Tout le monde connaît l'aventure du prophète : il prédit la destruction de Jérusalem, un autre prophète lui donna un soufflet en lui disant: «Par quelle inspiration prophétises-tu?»

Si l'on désire quelque autre exemple du style de M. le baron de Trenck, le voici. «Que vogue donc la galère Prussienne. Guillaume en sera toujours le capitaine, et tandis que le duc de Brunswick en sera le

pilate, qu'Hertzberg observera la boussole, que Mollendorf, Calskreuter, le prince de Prusse, etc., seront les lieutenans, elle saura toujours éviter les écueils, et l'aigle noir toujours puissant et formidable conservera en Europe sa réputation et sa gloire, etc. >>

M. le baron, qui prétend savoir parfaitement le secret de tous les grands cabinets de l'Europe, ne blâme pas toujours le voyageur français, il trouve du moins qu'il raisonne fort juste sur ce qu'a fait la Cour de Russie pour empiéter sur les droits du duché de Courlande, en le traitant comme une province légitimement conquise. Je pourrais encore y ajouter, dit-il, quelques réflexions, mais je garde le silence. Je ne veux pas prévenir les dispositions de la Prusse sur un article qui intéresse si fort son arrondissement et ses frontières; quand l'instant sera venu, on se convaincra que ce Guillaume (l'indolent, si lourd, si inactif au jugement de M. de Mirabeau) peut bien se reposer, mais non pas s'endormir sur les lauriers de son prédécesseur... Les projets du prince Potemkin, dit-il dans un autre endroit, annoncent des révolutions. C'est à ces révolutions que doit veiller la Prusse, afin de garantir ses États, par la suite, des incursions des Kalmouks et des Tartares. »

Nous ne garantissons pas plus l'anecdote suivante que tout le reste, mais elle nous a paru cependant avoir un air de vérité.

<< Pendant qu'on méditait en Prusse la vengence de la princesse d'Orange je quittai Berlin pour retourner à Vienne. L'Empereur me parla des affaires de la Hollande je vis facilement qu'il ne s'attendait à rien de sérieux de la part des Prussiens; qu'il était persuadé qu'on agirait comme il avait agi lui-même dans la dis

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