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chérissez sans doute, elles sont celles de la liberté. M. Necker a reçu la cocarde et l'a attachée à son chapeau. Alors il a été harangué par M. de La Vigne, président de l'assemblée. M. Moreau de Saint-Méry a prononcé ensuite un autre discours qui a été interrompu par des applaudissemens répétés à un trait court, mais heureux, qui caractérise les vertus de madame Necker, et à l'éloge de M. le comte de Saint-Priest, «ce ministre patriote qui, invariablement attaché aux mêmes principes que M. Necker, a montré dans les circonstances les plus difficiles les vues de l'homme d'État unies au courage d'un bon citoyen. »>

Le discours que M. Necker a prononcé dans l'une et dans l'autre assemblée a fait verser des larmes à tous ceux qui ont pu l'entendre. Vous trouverez, Monsieur, ce discours ci-joint.

Il y avait une heure et demie que M. Necker était à l'Hôtel-de-Ville, lorsque le peuple impatient sur la place de Grève demandait à grands cris à le voir. On le détermina à passer dans une chambre voisine pour satisfaire l'empressement du peuple. Il se montra à l'avantdernière croisée du côté de la rue du Mouton; il salua le public avec beaucoup d'attendrissement et de respect. A peine l'eut-on aperçu, qu'il entendit une bruyante explosion de battemens de mains, de cris de vive M. Necker, et ces acclamations durèrent plusieurs minutes. Mais quand on vit ce grand homme se livrant aux mouvemens de la sensibilité que lui causaient de telles marques d'amour, lever ses yeux et ses bras vers le ciel, que sans doute il prenait à témoin de la sincérité de sa reconnaissance, les reporter sur son cœur, et les déployer ensuite vers le peuple, à qui il semblait envoyer ce cœur géné

reux et patriotique; quand on vit avec quel abandon, quelle cordialité touchante il répéta huit à dix fois de suite ces vives démonstrations d'une ame profondément pénétrée, alors il se fit un silence général; cet homme parut un dieu, les larmes coulèrent de tous les yeux, on voulait parler et on ne le pouvait pas; on était comme suffoqué par un sentiment inexprimable, par un sentiment que je n'avais pas encore éprouvé, et que sûrement je n'éprouverai plus, car ces scènes délicieuses, uniques, n'arrivent pas deux fois pendant la vie d'un homme. Je ne crois pas qu'on pût vivre long-temps dans une pareille situation morale. J'étais dans un épuisement tel qu'à peine je pouvais me soutenir.

Revenu de cette espèce d'évanouissement, je n'ai pu m'empêcher de me dire en moi-même: Cette place que j'entendais, il y a huit jours, retentir de malédictions, de cris de la plus terrible fureur; ces pavés que je vis teints du sang et souillés par les cadavres flétris et mutilés de deux hommes odieux et détestés (1); cette même place retentit aujourd'hui de bénédictions, de louanges, de vœux sincères pour la conservation de l'ami, du sauveur de la patrie; on couvre de fleurs le chemin par lequel il va remonter sur son char de triomphe!.... O Providence! vous avez voulu que je fusse témoin oculaire de la scène la plus sanglante et du spectacle le plus ravissant. Je vous en rends graces.

M. le directeur-général est sorti de l'Hôtel-de-Ville dans le même ordre qu'il y était entré, et a été reconduit par le même cortège (qui grossissait même par la jonction de plusieurs patrouilles qui accouraient de tous les quartiers de la capitale) jusqu'à la barrière de la

(1) MM. Foulon et Bertier.

Conférence, où il a remercié la garde bourgeoise, qui voulait absolument l'accompagner jusqu'à Versailles. Madame Necker, madame de Staël et M. l'ambassadeur de Suède étaient dans une troisième voiture qui suivait à une assez grande distance les deux premières. Ils étaient aussi précédés et suivis de gardes bourgeoises marchant tambour battant et drapeaux déployés. Les acclamations étaient aussi bruyantes au départ qu'à l'arrivée. Il était trois heures quand le cortège quitta l'Hôtel-deVille.

Il n'est point de beau jour sans nuage, et cette belle journée eut aussi le sien. Peu s'en est fallu que du sein même d'une joie si pure ne sortissent de nouveaux troubles. Pendant que M. Necker recevait à la croisée les hommages, je dirais presque les adorations du peuple l'assemblée des électeurs, vivement émue par le discours du ministre, prenait l'arrêté suivant :

« Sur le discours vrai, sublime et attendrissant de M. Necker, l'assemblée des électeurs, pénétrée des sentimens de justice et d'humanité qu'il respire, a arrêté que le jour où ce ministre si cher, si nécessaire, a été rendu à la France devait être un jour de fête; en conséquence elle déclare, au nom des habitans de cette capitale, certaine de n'être pas désavouée, qu'elle pardonne à tous ses ennemis, qu'elle proscrit tout acte de violence contraire au présent arrêté, et qu'elle regarde désormais comme les seuls ennemis de la nation ceux qui troubleraient par aucun excès la tranquillité publique.

<< Arrête en outre que le présent arrêté sera lu au prône de toutes les paroisses, publié à son de trompe dans toutes les rues et carrefours, et envoyé à toutes les municipalités du royaume; et les applaudissemens qu'il

obtiendra distingueront les bons Français. Fait à l'Hôtelde-Ville le 30 juillet 1789. »

M. Necker étant rentré dans la salle, M. de ClermontTonnerre lui lut cet arrêté : il en fut touché jusqu'aux larmes; il se prosterna d'attendrissement, et exprima la vive émotion et le bonheur qu'il éprouvait par quelques phrases pleines de ce trouble d'un cœur oppressé de sentimens divers. On jeta ensuite par les croisées de l'Hôtelde-Ville un grand nombre de feuilles volantes, sur lesquelles on avait écrit à la hâte : Amnistie générale, pardon du passé, et qu'on faisait circuler dans toute la place en les portant au bout d'une épée. Ces expressions équivoques firent succéder une inquiétude subite à la douce émotion qu'on venait d'éprouver. Amnistie générale! Mais le roi, disait-on, a déjà manifesté ses intentions à l'égard des soldats. Pardon du passé! pour qui? pour les citoyens? Mais ils n'ont fait qu'user du droit naturel de se défendre. Pour les ennemis de M. Necker? Mais on ne lui connaît d'ennemis que ceux de la nation, et ceux-là, la nation seule a le droit de leur pardonner ou de les punir, etc. Voilà, Monsieur, ce que l'on disait dans la place même de Grève. Quelques-unes de ces feuilles furent portées au Palais-Royal. L'arrêté des électeurs fut envoyé aux districts; on sut que ces électeurs avaient dépêché un courrier à Villenauxe pour faire relâcher M. de Bézenval. Voilà tout à coup le Palais-Royal dans une fermentation pareille à celle des premiers jours de la révolution; les districts s'assemblent pendant la nuit, et prennent des arrêtés plus violens les uns que les autres contre les électeurs, dont ils déclarent la compétence et le jugement nuls et absurdes, etc. Le district de l'Oratoire dépêche deux de ses membres à Villenauxe

pour s'opposer à l'élargissement de M. de Bézenval; celui des Blancs - Manteaux envoie une députation à l'Assemblée nationale pour l'instruire de ce qui se passe et protester contre; enfin le feu se rallume dans la capitale. L'assemblée des électeurs prend le parti extrêmement sage de chanter la palinodie, et de dépêcher un second courrier qui porte un contre-ordre à Villenauxe; M. de Bézenval est amené à Brie-Comte-Robert, et gardé à vue. L'Assemblée nationale, ayant entendu la lecture du discours de M. Necker, les griefs du district des BlancsManteaux et les raisons des députés de la municipalité de Paris, ayant à leur tête M. Bailly, a pris, le 31 juillet, à quatre heures après midi, un arrêté qui a été imprimé et affiché dans tout Paris..

C'est le mercredi 12 août qu'on a donné au Théâtre Français la première représentation des Fausses Présomptions, ou le Jeune Gouverneur, comédie en cinq actes et en vers, imitée de l'allemand, par M. Patrat, l'auteur des Méprises par ressemblance, du Fou raisonnable, etc.

Il s'agit d'une vieille folle qui se croit aimée par un jeune gouverneur; d'un pupille qui devient amoureux de la sœur de son instituteur; d'un duel entre l'élève et le maître, où celui-ci est entraîné par l'impétuosité du premier, et où il se comporte en homme généreux; d'un duc qui s'extasie sur la conduite du gouverneur au point de consentir au mariage de son fils avec la sœur de ce gouverneur, qui se trouve un homme très-bien né, etc. C'est tout ce que nous avons pu démêler à travers la confusion d'un ouvrage dont l'ennui seul a décidé la chute. Le style en a paru aussi faible, aussi négligé que le fonds en est insipide et romanesque.

TOM. XIV.

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