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des principales républiques de la Grèce et de l'Italie. Il avait recueilli de cette étude trois ou quatre principes de politique et de législation auxquels il s'était tellement attaché qu'il en avait fait pour ainsi dire les barrières de sa pensée; rien ne pouvait le déterminer à les franchir. C'est à ces principes, d'une utilité peut-être incontestable, mais d'une application nécessairement bornée, qu'il voulait tout rapporter; ce qu'il ne pouvait apercevoir sous ce point de vue échappait à ses regards ou ne les frappait que faiblement. En législation, il ne voyait guère de salut hors la communauté des biens; ce qui s'éloignait des formes de la liberté démocratique était à ses yeux une violation manifeste des premiers droits de l'humanité. Confondant sans cesse la morale privée avec la morale publique, selon lui, l'art des négociateurs se réduisait aux plus simples maximes de la justice, de la modération et de la bonne foi. La sévérité de son humeur, sans l'avoir garanti toujours de la fougue des passions, avait empreint du moins de ce caractère toutes ses vues et toutes ses idées. Son respect pour les lois de Lycurgue tenait du fanatisme, et l'on peut dire que l'espèce de superstition qu'il avait vouée aux principes qu'il crut devoir adopter exclusivement borna d'une manière trèssensible l'horizon naturel de ses lumières.

De tous ses ouvrages, les seuls qui jouissent encore de l'estime générale, sont: l'abrégé qu'il fit des traités depuis la paix de Westphalie jusqu'à nos jours, sous le titre de Droit public de l'Europe; c'est un précis clair et méthodique, c'est proprement l'a, b, c de la politique

moderne.

Son Discours sur l'Étude de l'Histoire, adressé au duc de Parme. M. l'abbé de Mably n'a rien écrit avec

plus d'intérêt que ce petit ouvrage, et peut-être est-ce encore de tous ses écrits celui qui renferme le plus de vues neuves et utiles.

Ses Observations sur l'Histoire de France sont << l'ouvrage d'un jugement sain, d'une érudition bien digérée, d'une critique lumineuse..... Également éloigné des systèmes de Dubos et des paradoxes de Boulainvilliers, il les combat tous deux avec avantage, cherche et trouve souvent la vérité...... »

La vie de l'abbé de Mably, tout entière dans ses écrits, offre peu d'événemens importans; la seule anecdote de sa jeunesse qu'il nous paraît intéressant de ne pas oublier, est relative à ses liaisons avec le cardinal de Tencin. Le jeune Mably ayant été admis dans la société de madame de Tencin, dont sa famille était alliée, cette dame, l'entendant parler des affaires publiques, jugea que c'était l'homme qu'il fallait à son frère, qui commençait à entrer en faveur et dans la carrière du ministère.... Le cardinal sentait sa faiblesse dans le conseil; pour le tirer d'embarras, l'abbé de Mably lui persuada de demander au roi la permission de donner ses avis par écrit; c'était Mably qui préparait ses rapports et faisait ses mémoires.... Ce fut lui qui, en 1743, négocia secrètement à Paris avec le ministre du roi de Prusse, et dressa le traité que Voltaire alla porter à ce prince.... C'est une singularité digne de remarque, que deux hommes de lettres, sans caractère public, fussent chargés de cette négociation, qui allait changer la face de l'Europe.

Il se brouilla avec le cardinal, à l'occasion d'un mariage protestant que Tencin voulait casser; il disait qu'il voulait agir en cardinal, en évêque, en prêtre; Mably

TOM. XIV.

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lui soutenait qu'il devait agir en homme d'État. Le cardinal prétendit qu'il se déshonorerait s'il suivait ses avis: l'abbé, indigné, le quitta brusquement et ne le revit plus. Depuis cette époque, il s'adonna tout entier à l'étude, et vécut toujours dans la retraite. Il n'eut jamais qu'un seul domestique, et, sur la fin de ses jours, il se priva de ces commodités de la vie que son âge et ses infirmités lui rendaient cependant plus nécessaires afin d'accroître la petite fortune de ce serviteur fidèle. Il pratiquait à la lettre cette maxime si douce et si humaine, de regarder ses domestiques comme des amis malheureux.

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On a mis au bas de son portrait ce vers de Juvénal, qui semble fait pour lui.

Acer et indomitus libertatisque magister.

La Vie de Frédéric, baron de Trenck, écrite par lui-même, et traduite de l'allemand en français, par M. le baron de Bock (gentilhomme allemand); deux petits volumes avec une gravure.

Nous avons vu plusieurs personnes révoquer en doute une grande partie des faits rapportés dans ces mémoires; mais à la lecture il est impossible d'être de leur avis, on se sent entraîné par le charme de la narration, tout à la fois la plus simple, la plus naturelle et la plus merveilleuse. L'attendrissement qu'inspire une si longue suite de malheur et d'infortune se trouve balancé sans cesse par une constance, une opiniâtreté de courage qu'on ne se lasse point d'admirer, et le mélange de ces deux impressions produit l'intérêt le plus vif et le plus attachant. «< Mais cela n'est pas trop bien écrit, disait

quelqu'un, peut-être est-ce la faute du traducteur? Eh! comment sait-on, Monsieur, lui répondit une femme d'esprit, si un ouvrage de ce genre est bien ou mal écrit ?..... » Des admirateurs passionnés du grand Frédéric auraient désiré, pour la gloire de ce héros, que les mémoires du baron de Trenck n'eussent jamais paru; mais est-il au monde une gloire, quelque grande qu'elle puisse être, qui doive en imposer à la justice? Ce sentiment est développé avec beaucoup de franchise, de noblesse et même de respect, dans l'épître dédicatoire adressée au génie de Frédéric II, roi de Prusse, dans les Champs Elysées.

Il est évident, d'ailleurs, par les aveux même du baron, que le roi de Prusse crut long-temps, et qu'il eut même d'assez fortes raisons de croire que l'infortuné prisonnier avait conçu l'affreux projet de le livrer à ses ennemis, peut-être même d'attenter à ses jours.

Vie de Frédéric II, roi de Prusse, accompagnée de remarques, pièces justificatives, et d'un grand nombre d'anecdotes, dont la plupart n'ont point encore été publiées; trois vol. in-8°, à Strasbourg (1).

C'est une compilation très-informe, et des hommes faits pour en juger m'ont assuré que toute la partie militaire décelait à chaque instant l'ignorance de l'auteur, par les méprises les plus grossières. Dans les pièces justificatives qui occupent les deux tiers de chaque volume, on trouve cependant quelques morceaux curieux, entre autres plusieurs fragmens de la correspondance

(1) La Vie de Frédéric II, par M. de Laveaux, est en 4 vol. in-8o et in-12. Elle a été suivie de trois autres volumes (B.)

du roi avec ses augustes frères et quelques-uns de ses principaux généraux.

Nous venons d'apprendre que cet ouvrage est d'un certain Français nommé Laveaux, actuellement professeur à Tubingue. On sait qu'il a demeuré assez longtemps à Berlin, où il ne s'est fait connaître que par des pamphlets fort injurieux contre plusieurs personnes infiniment respectables, et nommément contre M. le comte de Hertzberg.

Lettres de mademoiselle de Tourville à madame la comtesse de Lénoncourt, par mademoiselle de Sommery, l'auteur des Doutes sur différentes opinions reçues dans la société; un vol. in-8°.

L'héroïne de ce roman est un être assez ordinaire ; mais en revanche on peut dire que sa rivale est une femme comme il y en a peu. Dans le désespoir de sa jalousie, elle se fait couper les plus beaux cheveux du monde; la tête ainsi rasée, elle est occupée pendant treize jours à se faire arracher vingt-huit dents, et ne se réserve qu'un chicot pour mieux ressembler à la fée Dentue. Après avoir envoyé à sa rivale cette belle chevelure et ses vingt-huit dents artistement enfilées dans une chaîne d'or, elle se tue de trois ou quatre coups de poignard.

Est-ce là de l'amour? Non; mais c'est de pareilles extravagances qu'on imagine lorsqu'on veut s'obstiner à peindre l'égarement des passions qu'on n'a jamais éprouvées; et ceux qui ont le bonheur de connaître mademoiselle de Sommery savent bien que ce n'est pas sa faute.

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