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l'Éloge du baron de Closen, celui d'Helvétius, ses Voyages en Amérique, etc., etc.. Ce discours, assez long par lui-même, l'a paru davantage encore par l'extrême lenteur avec laquelle il a été prononcé.

C'est M. de Rulhière qui a été chargé de lui répondre en qualité de directeur de l'Académie. Il s'est étendu d'abord avec beaucoup de complaisance sur cette longue succession d'une même dignité, une des plus belles du royaume, transmise de génération en génération, et sans aucun intervalle, des ancêtres de M. de Nicolaï jusqu'à lui. << Comment et par quel art, s'est-il écrié avec assez d'emphase, dans une nation si mobile, au milieu de tant de Cours orageuses, et quelquefois au milieu des plus sanglantes dissensions, sous tant de règnes, tantôt défians et sévères, tantôt fermes et superbes, tantôt faibles et agités, s'est maintenue dans ce calme toujours égal cette élévation (de premier président de la chambre des comptes), toujours la même, que rien jamais n'a pu ébranler !......» On a été dédommagé de cet ample et magnifique pathos par l'anecdote qui le termine et qui nous paraît trop intéréssante pour être oubliée. On commençait le siège de Valenciennes; cette ville faisait prévoir une longue résistance; les mousquetaires sollicitaient d'être envoyés seuls à l'attaque d'un ouvrage extérieur où déjà l'élite des autres troupes avait été repoussée. Louis XIV apprit alors que le fils aîné du premier président de la chambre des comptes, destiné à cette même place, venait de mourir à Paris; il fit appeler le jeune Nicolaï, qui servait dans une de ces compagnies si célèbres à cette époque, l'instruisit du malheur de sa famille, lui ordonna de partir aussitôt pour aller consoler la vieillesse de son père, et daigna pour première conso

lation lui en assurer la survivance. Le jeune homme tombe aux pieds du roi et s'écrie : « Sire, dans quelque état que je serve Votre Majesté, elle ne peut pas vouloir que j'y entre déshonoré. » Le roi applaudit à ce sentiment, et le jeune Nicolaï, déjà premier président, fut un de ceux qui attirèrent le plus les regards de toute l'armée dans un assaut à jamais mémorable....

C'est ce même Nicolaï qui, dans le temps du système, lorsqu'on publia la fameuse défense de garder chez soi de l'argent, après avoir déclaré que si on osait venir faire quelques recherches chez lui, il ferait un mauvais parti aux curieux, dit encore au régent : « Je garde cent mille écus, parce qu'au train que prennent les affaires le roi aura besoin des offrandes de ses sujets, et cette somme, j'irai la lui offrir lorsqu'il sera majeur. »

De l'éloge des ancêtres de M. de Nicolaï, le directeur est descendu enfin à celui du récipiendaire, et n'a pas manqué de rappeler le talent qu'il a déployé dans les différens discours adressés par lui aux administrateurs des finances dont chacun est venu tour à tour prêter entre ses mains un serment tant de fois inutile. « Chacun de ces discours, a-t-il dit, est un portrait fidèle, crayonné d'une main hardie, mais légère et circonspecte, et d'habiles physionomistes auraient pu y reconnaître d'avance le destin de ces administrations passagères. >>

Dans l'éloge que M. de Rulhière a fait du marquis de Chastellux il a développé surtout une singularité assez remarquable, c'est que les Entretiens de Phocion et le Traité de la Félicité publique furent le fruit d'une conversation dans laquelle le marquis de Chastellux, jeune encore, et l'abbé de Mably, dans la maturité de l'esprit et de l'âge, s'entretinrent long-temps de leurs

opinions contradictoires. Tous deux écrivirent sur le bonheur auquel doivent prétendre les sociétés; le premier le fondait tout entier sur la bonté des mœurs publiques, l'autre sur les progrès nécessaires de l'esprit, des sciences et des arts. Ce fut un modèle peut-être unique d'une querelle littéraire, car les deux ouvrages polémiques publiés en opposition l'un de l'autre ne laissent rien pénétrer de cette intention particulière. Pour relever le parallèle de ces deux athlètes, M. de Rulhière n'a pas craint d'y joindre encore un troisième, cet homme célèbre qui soutint avec toute la force de l'éloquence, toute l'adresse de la plus subtile dialectique, que nos institutions sociales ne sont que la corruption des sentimens naturels, nos arts les plus nécessaires l'altération de nos facultés physiques, etc. « Rousseau, dit-il, détracteur de la société, misanthrope par l'excès même de son amour pour le bonheur des hommes, annonce l'inévitable ruine, la subversion instante et prochaine de tous les royaumes, républiques et empires... Mably, plaçant le bonheur dans l'état d'une société simple et bien ordonnée, croit que d'utiles réformes peuvent encore renouveler le destin des empires; il cherche la méthode de procéder à ces réformes; ses dernières prédictions furent cependant celles d'un citoyen découragé..... Il semble aujourd'hui que le marquis de Chastellux aura porté sur l'avenir un regard plus perçant, et qu'en cette occasion du moins il aura eu sur ces deux sages célèbres le double avantage d'avoir mieux présagé les événemens, et d'avoir joui d'avance, par ce présage même, d'une félicité qu'ils n'osaient pressentir. Ami de tous les arts, ne doutant pas que l'esprit humain ne parvienne au plus

haut degré où la perfectibilité puisse atteindre, accoutumé à chercher le bien jusque dans les erreurs du siècle présent, il annonce en France et dans toute l'Europe le retour de la liberté par l'excès même de la dette publique ; il dit que les besoins du fisc sont les vrais précepteurs des rois, et qu'envisagés d'un œil juste, ils deviendront un jour les protecteurs de la fortune des peuples, etc. >>

M. l'abbé Delille a terminé la séance par la lecture de plusieurs morceaux de son poëme sur l'Imagination, qui ont été applaudis avec enthousiasme.

Il a paru tant d'écrits ennuyeux sur les états-généraux! comment ne pas accueillir le premier pamphlet où l'on trouve enfin quelques étincelles d'imagination et de gaieté? C'est la Séance extraordinaire et secrète de l'Académie Française, tenue le 30 mars 1789. On l'attribue au comte de Rivarol, et l'on a cru y reconnaître en effet le même esprit de plaisanterie qui a dicté la préface du Petit Almanach de nos grands Hommes ; le style en est cependant plus faible, et surtout plus négligé.

Démophoon (Marmontel), le secrétaire perpétuel, ouvre la séance par un discours où il exhorte ses confrères à éclairer la nation, à lui tracer la route qu'elle doit suivre. Il ne craint pas que les états-généraux' attaquent jamais la glorieuse institution des jetons, elle fait partie des lois fondamentales de la monarchie; mais il pense qu'il est bon de rappeler à la nation que les travaux utiles de l'Académie restent sans récompense, etc. Il prie Messieurs de délibérer. On rejette d'abord l'idée

de faire un livre. Cet avis, qui est celui d'un archevêque, excite un murmure général, où l'on entend seulement qu'écrire est bon pour s'ouvrir les portes de l'Académie, mais que, parvenu au fauteuil, c'est bien assez d'endoctriner les cercles.—Mon projet, dit Cithéron (La Harpe), est de transporter ma chaire à Versailles, et deux fois par semaine je donnerai mes leçons aux comices. Je leur apprendrai que Boileau était correct, Racine harmonieux, Crébillon barbare, Molière philosophe, etc. Telles sont les vérités immortelles dont il importe à la nation de se pénétrer. Un Gouvernement va de lui-même, mais la littérature s'affaiblit. Il faut répéter cent fois ce qui a été dit mille, refaire les mêmes tragédies sous d'autres noms, reproduire les mêmes idées sous un autre coloris.

Flaccus (Florian) propose d'accommoder aux circonstances la partie politique de son Numa. Si jamais, dit-il, cet ouvrage peut être lu, sa fortune est décidée. -Azur (Suard) offre de revoir les délibérations nationales comme il revoit les journaux et les opéra. L'esprit créateur est un mot; tout ce qui est créé a besoin d'être revu. Les états-généraux, que vont-ils faire eux-mêmes? revoir. Puissent-ils s'en trouver aussi bien que moi! — Pastorinet (M. le duc de Nivernois) rappelle en très-peu de mots ce qu'il a fait comme ambassadeur, comme duc et pair, comme ministre, comme académicien... Qu'exigez-vous encore de moi? - Grand homme! s'écrie Flaccus, mettez le comble à vos dons généreux; composez une fable... - Bochan (Chabanon) déclare qu'il a porté long-temps la patrie dans son cœur, mais que les outrages répétés qu'il en a reçus ont à la fin glacé sa tendresse. Pourquoi m'occuper d'une nation qui a si cruellement

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