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tant de charges, croit-on que notre Almanach puisse être indifférent à votre gloire et à celle de la nation, quand on y prouve qu'un président de musée peut prélever plus de cent mille vers par an sur la jeunesse française, et marcher dans la capitale à la tête de cinq ou six cents poètes? >>

L'utilité des recherches pénibles dont ce nouvel Almanach est le glorieux résultat, se trouve bien mieux développée encore dans la préface. « N'est-ce pas, dit l'auteur, une chose bien étrange et bien humiliante pour l'espèce humaine que cette manie des historiens de ne citer qu'une douzaine, tout au plus, de grands écrivains dans les siècles les plus brillans, tels que ceux d'Alexandre, d'Auguste, des Médicis, de Louis XIV? N'est-ce pas donner à la nature je ne sais quel air d'avarice et d'indigence? Le peuple, qui n'entend nommer que cinq ou six grands hommes par siècle, est tenté de croire que la Providence n'est qu'une marâtre, tandis que, si on proclamait le nom de tout ce qui écrit, ou ne verrait plus dans elle qu'une mère inépuisable et tendre, toujours quitte envers nous, soit par la qualité, soit par la quantité; et si j'écrivais l'histoire naturelle, croyezvous que je ne citerais que les éléphans, les rhinocéros, les baleines?

« C'est faute d'avoir fait une si heureuse observation que l'histoire de l'esprit humain n'offre dans sa mesquine perspective que d'arides déserts où s'élèvent à de grandes distances quelques bustes outragés par le temps et consacrés par l'envie qui les oppose sans cesse aux grands hommes naissans et les représente toujours isolés, comme si la nature n'avait pas fait croître autour d'Euripide, de Sophocle, d'Homère, princes de la tragédie et

de l'épopée, une foule de petits poètes qui vivaient frugalement de la charade et du madrigal, ainsi qu'elle fait monter la mousse et le lierre autour des chênes et des ormeaux, etc.

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<< Il est temps de corriger cette injustice... Cet Almanach paraîtra chaque année; et afin que la nation puisse juger de notre exactitude, le rédacteur, armé d'un microscope, parcourra les recueils les moins connus, les musées les plus cachés et les sociétés les plus obscures de Paris; nous nous flattons que rien ne lui échappera, etc,»

<< Mais avant tout, ajoute encore l'auteur dans un Avertissement qui se trouve à la tête du Supplément, nous déclarons à l'univers entier, et ceci est sans appel, que cet ouvrage n'ayant été conçu que dans la vue d'encourager la jeunesse et de la pousser, soit dans l'Académie, soit dans le monde, nous n'admettrons jamais les noms de ceux qui auront fait une fortune littéraire, et qui, par conséquent, peuvent se passer de nos éloges. L'obscurité n'est donc pas un titre pour notre Almanach quand on est de l'Académie, et nous comptons pour rien la médiocrité quand elle est à la vogue... En conséquence, nous avons mal reçu les jolis vers de M. Gaillard sur le panaris de madame de Fourqueux, insérés dans tous les journaux... Nous n'accepterons jamais la Fable du Peuplier et du Pêcher de M. le vicomte de Ségur, quoique infiniment à notre bienséance... Nous serons inexorables pour M. le chevalier de Florian, bien qu'il pût, ses vers à la main, forcer l'entrée de notre Almanach... Nous résisterons également aux offres de M. le marquis de Marnésia, quoiqu'il puisse nous tenter avec un grand Poëme sur la Nature, etc. »>

L'auteur avoue lui-même qu'on risquerait de s'ennuyer en voulant lire son Almanach de suite, non-seulement parce que l'ordre alphabétique s'y oppose, mais encore parce qu'il y a une foule de notices qui ne signifient rien, et que ce sont malheureusement les plus ressemblantes; mais nous ne pouvons nous refuser au plaisir d'en citer quelques-unes pour donner à nos lecteurs une idée du ton de gaieté répandu dans tout le cours de l'ouvrage.

<< Luchet (M. le marquis, jadis marquis de la Roche du Maine). Soixante volumes de vers et de prose caractérisent cet illustre écrivain. Rien ne lui a résisté; poëmes, drames, romans, opéra, chansons, histoire, toute la littérature lui est échue en patrimoine ou par droit de conquête. Lassé des applaudissemens de sa patrie, il a porté sa gloire en Allemagne. On ne conçoit pas d'un côté l'ingratitude de M. de Luchet, et de l'autre l'insouciance des Français. Que de guerres entreprises pour de moindres sujets! >>

« Avy*** ( M. l'abbé). Nous n'avons encore obtenu que la moitié du nom de cet auteur.... Ceux qui ont le bonheur de le connaître par son nom, nous ont assuré que nous n'avions pas plus de quatre ans à attendre, parce que M. l'abbé laisse paraître chaque année une lettre de plus; il était A*** en 1785, Av** en 1786, il est Avy* en 1787. L'impatience que nous donne l'incroyable désir de le connaître est un des grands désagrémens de notre état. »

<< Boisard (M.). Ses Fables ont fait passer de mode celles de La Fontaine, ce qui est toujours un peu injuste; on aurait dû conserver La Fontaine en acquérant M. Boisard.... Enfin il y avait des arrangemens à prendre, et nous osons croire que M. Boisard s'y serait prêté. »

On ne se rappelle guère de première représentation aussi orageuse que l'a été celle des Réputations, comédie en cinq actes et en vers (1), de M. le marquis de Bièvre, l'auteur du Séducteur, de la Lettre de la Comtesse-Tation, par l'abbé Quille, etc.

Si c'est dans le Méchant que M. de Bièvre avait pris les principaux traits de son Séducteur, c'est plus sûrement encore dans quatre vers de la même pièce qu'il a puisé la première idée de sa nouvelle comédie ;

Tant de petits talens où je n'ai pas de foi ;
Des réputations on ne sait pas pourquoi;
Des protégés si bas, des protecteurs si bêtes;
Des ouvrages vantés qui n'ont ni pieds ni têtes.

Voilà précisément le tableau qu'il a voulu mettre en action.

Beaucoup de traits et de vers ont fait un grand effet, malgré tous les murmures dont la première représentation de l'ouvrage n'a presque pas cessé d'être accompagnée depuis le commencement du second acte jusqu'à la fin de la pièce; mais nous pensons qu'il ne sera pas difficile à nos lecteurs de juger que ces détails heureux ou brillans seraient encore plus multipliés, que la comédie des Réputations n'en eût pas été beaucoup plus favorablement accueillie; le choix du sujet a déplu, et c'est un tort que rien ne saurait réparer. On n'a vu dans les Réputations qu'une très-faible copie des Femmes savantes, déjà si malheureusement parodiées dans les Philo

(1) Jouée pour la première fois au Théâtre Français, le mercredi 23 janvier, elle n'a reparu que le vendredi suivant, avec beaucoup de retranchemens; quoique infiniment mieux accueillie que le premier jour, on ne l'a pas redonnée depuis. (Note de Grimm.)

sophes, dans l'Homme dangereux de M. Palissot, et plus tristement encore dans les Journalistes de M. Cailhava de l'Estandoux. L'engouement de la comtesse a paru sans comique, sans intérêt, parce que sa manière de voir est d'ailleurs si juste et si raisonnable qu'il en perd toute vraisemblance. On a bien soupçonné, on a bien cherché à faire entendre au public que Damon, Valère et le Docteur étaient des originaux du jour, que Damon surtout avait quelques rapports avec M. de Rulhière, et les deux journalistes avec l'abbé Aubert et M. de Charnois; mais l'attention de la censure a si bien retranché tout ce qui pouvait les désigner trop clairement, que la malignité même n'a pu les reconnaître, et tous ces personnages n'ont plus été que des caricatures qui ne ressemblaient à rien, imaginées seulement pour dégrader les lettres et ceux qui les cultivent. La marche de la pièce est sans doute assez simple, mais elle ne l'est que faute d'intrigue et de mouvement; il semble même que l'auteur n'ait songé à l'action de sa comédie que lorsqu'il manquait de traits ou de sarcasmes pour soutenir son dialogue. M. de Bièvre a trop oublié que, pour faire une comédie,

Un vers heureux et d'un tour agréable
Ne suffit pas; qu'il faut une action,
Des mœurs, du temps un portrait véritable,
Pour consommer cette œuvre du démon.

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