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les avoir sauvés console bien sans doute et des inimitiés et du décret que lui valurent son zèle et sa constance. Plusieurs de ces Lettres ont déjà paru, quelques-unes même dans les notes de ses mémoires; l'auteur n'a donc guère eu l'intention de garder l'anonyme, pas même en faisant dire à son éditeur dans l'avertissement : « On les a attribuées à un magistrat, mais cette foule de gens qui se connaissent en style ne s'y trompera point. >>

L'avertissement de cet éditeur est remarquable.. Il avoue d'abord modestement que « ceci n'est point un voyage d'Italie, mais un voyage en Italie; l'auteur, à mesure que les objets paraissaient sous ses yeux, communiquait à sa famille et à ses amis quelques-unes des impressions qu'il recevait; voila ces Lettres... » Il prévoit ensuite plusieurs reproches que beaucoup d'écrivains ne craindraient guère d'avoir mérité. « On reprochera peutêtre à l'auteur d'avoir écrit avec un certain enthousiasme, avec sensibilité; mais souvent il a écrit en présence même des objets, et il a le malheur de sentir. (Quel malheur !) On pourra encore accuser le style d'être quelquefois poétique. Coniment donc décrire un tableau sans en faire un?» Que répondre à tant de modestie?

Les torts que des lecteurs sans partialité ont remarqués dans cet ouvrage ne sont pas précisément ceux dont l'auteur et ses amis conviennent avec une naïveté si facile; mais ces torts seraient encore plus réels, qu'ils ne pourraient détruire l'intérêt qu'inspire la lecture de ces Lettres par une foule d'idées ingénieuses, d'observations. fines et profondes, de sentimens délicats exprimés trop souvent sans doute avec recherche, mais quelquefois aussi avec l'originalité la plus énergique et la plus heureuse.

TOM. XIV.

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On est tenté de croire que, dans ses observations comme dans ses descriptions, l'auteur a souvent essayé de saisir la manière de Sterne; mais comme il a senti qu'il avait beaucoup moins de talent, il a voulu du moins avoir beaucoup plus d'esprit, et sous ce double rapport, il est tour à tour fort au-dessus et fort au-dessous de son modèle. Quelquefois il s'élève à la hauteur de Montesquieu, à la chaleur de Jean-Jacques, mais l'instant d'après il retombe dans une petite manière remplie d'affectation et de mauvais goût; à force de chercher à donner aux moindres détails de l'effet et de l'éclat, il a fait perdre à l'ensemble de ses tableaux cette pureté de trait, cette unité de ton qu'il sait si bien apprécier lui-même dans les chefs-d'œuvre du génie et des arts. En jugeant presque tout ce qu'il voit d'après les meilleurs principes, comment a-t-il pu s'en éloigner à ce point dans la manière d'exprimer et son jugement et ses impressions?

La vérité, qui nous paraît manquer souvent au style de M. Dupaty, ne manquerait-elle pas quelquefois aussi à ses observations? Il prétend qu'un événement singulier plongea, il y a quelque temps, les galériens de Toulon dans le plus profond désespoir. « L'intendant de la marine, dit-il, reçoit l'ordre de séparer en trois classes les déserteurs, les contrebandiers et les criminels. Il semble que les déserteurs et les contrebandiers auraient dû bénir cette séparation; leur désespoir fut extrême. Tous les galériens, en effet, ajoute-t-il, se voient du même œil; car le malheur est comme la mort, il met de niveau tous les hommes..... Réfléchissez sur ceci; fouillez ces nouvelles profondeurs du cœur humain. » Avant de fouiller, avant de réfléchir, avant de croire, ne serait-il pas convenable de s'assurer plus exactement de la vérité du fait?

Des circonstances particulières peuvent sans doute rapprocher, dans le malheur, des hommes d'une espèce absolument différente; mais est-il vrai que le malheur mette de niveau tous les hommes, le plus coupable comme celui qui l'est le moins? C'est là, ce me semble, l'exagération d'une fausse pitié.

Lorsque, pour décrire le fameux Incendie del Borgo, par Raphaël, l'auteur commence par dire : « Le feu prit hier pendant la nuit dans la place de Saint-Pierre, à côté du Vatican..... Je m'en revenais chez moi, à la place d'Espagne, etc..... » comment n'a-t-il pas senti que l'effet d'une pareille fiction, au lieu d'être un moyen de frapper l'attention, n'était propre qu'à la déjouer, et que bien loin de porter l'admiration au comble, il ne donne à ses lecteurs que la plus sotte surprise du monde, quand il termine sa longue description en récit par cette magnifique exclamation : « Ah! que ce tableau de Raphaël, que l'on voit au Vatican, est admirable !.... » Voilà précisément ce qu'on appelle faire de l'imagination comme on fait de l'esprit.

Une des plus belles Lettres du premier volume est sans contredit celle où l'auteur rend compte du gouvernement de la Toscane, et de la conversation qu'il eut l'honneur d'avoir avec S. A. R. Il rappelle plusieurs objections faites contre les principes et les effets de l'administration du grand duc. Écoutez, dit-il, ma conversation sur ces objets avec une personne très-instruite; et après les détails de cette intéressante discussion, il ajoute : « A qui ai-je fait ces objections? qui les a ainsi résolues? un écrivain? un magistrat? un particulier? C'est le grand duc, c'est lui qui a cette raison, cette simplicité, cette facilité..... C'est le grand duc qui m'a parlé pendant une

heure debout dans un cabinet, où une simple table est un bureau, des planches de sapin sans couleur un secrétaire, un bougeoir de fer-blanc un flambeau; car le grand duc n'a d'autre luxe que le bonheur de son peuple.... Et le grand duc ne règne que sur la Toscane!.... Il ne règne, dit-il dans un autre endroit, ni pour les nobles, ni pour les riches, ni pour les ministres, mais pour son peuple; il est vraiment souverain.

« Enfin, je vois Rome..... je vois ce théâtre où la nature humaine a été tout ce qu'elle pourra être, a fait tout ce qu'elle pourra faire, a déployé toutes les vertus, a étalé tous les vices, a enfanté les héros les plus sublimes et les monstres les plus exécrables, s'est élevée jusqu'à Brutus, a descendu jusqu'à Néron, est remontée jusqu'à MarcAurèle..... Cet air que je respire à présent, c'est cet air que Cicéron a frappé de tant de mots éloquens, les Césars de tant de mots puissans et terribles, les papes de tant de mots enchantés, etc. »

Quoique la sensibilité de M. Dupaty nous paraisse quelquefois aussi maniérée que la tournure de son style, elle laisse échapper souvent des mots également profonds et vrais. << On prétend, dit-il en parlant du superbe hôpital des Incurables, à Gênes; on prétend que cet hôpital est plus mal administré que les autres; c'est que les maux qui sont ici sont éternels, et que la pitié est inconstante. La pitié aime ce qui est nouveau; tant le cœur humain est volage! >>

M. Dupaty dit beaucoup de mal du gouvernement et des mœurs de Naples; voici une anecdote qui a paru trop singulière pour l'oublier. Un avocat de Naples a eu l'audace de dire, dans un mémoire imprimé : « Et notre roi est un polichinel qui

ne sait-on pas que

n'a pas de volonté? » Ce mémoire n'a pas été attaqué. On trouvera, je crois, le sentiment d'un goût sage et pur dans la description de plusieurs chefs-d'œuvre de peinture et de sculpture, tant anciens que modernes ; mais quelque mérite qu'il y ait dans plusieurs de ces descriptions, est-ce au bel esprit français à refaire celles que nous a laissées l'abbé Winckelman? Quel style approchera jamais de l'immortel burin de cet homme de génie?

SEPTEMBRE.

Paris, septembre 1788.

La séance publique de l'Académie Française, le jour de la Saint-Louis, a été occupée tout entière par la lecture et par l'annonce des différens prix décernés ou proposés par l'Académie. Le prix d'éloquence a été donné à l'Éloge de Louis XII, par M. l'abbé Noël, professeur de l'Université de Paris au collège de Louis-le-Grand, et c'est M. l'abbé Maury qui en a fait la lecture. L'esprit dans lequel l'auteur a conçu cet Éloge, est très-bien marqué dans l'épigraphe qu'il a choisie, Remittuntur ei multum quia dilexit multum (1). Notre orateur ne rappelle ni les entreprises guerrières de son héros, ni ses démêlés avec les papes et les nations voisines; il avoue que ce n'est point la part que prit Louis XII au système politique de l'Europe qui lui assure un rang si honorable dans le cœur de tous les Français; ses titres à la gloire sont les bienfaits de son administration intérieure. A tous les reproches que l'histoire peut faire à son règne, il n'a qu'une

(1) S. Luc. cap. VII, v. 47.

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