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fois à intéresser le cœur, à frapper l'imagination, à soumettre les esprits. Qu'opposer au témoignage universel de tous les siècles et de tous les pays? En est-il un seul qui n'atteste qu'il n'y cut jamais de société civilisée sans une religion quelconque?

Nous ne citerons de cette seconde Lettre que la première note. Il n'est pas inutile de remarquer que la brochure a paru au moment même de l'assemblée du clergé.

« L'Évangile n'a rien appris aux hommes en fait de morale; le pardon des injures, la modestie, la charité, etc., tout cela est fortement recommandé dans tous les anciens moralistes : l'Évangile les a copiés; et dire que sa morale est plus parfaite que celle de Zénon ou de Cicéron est une de ces fraudes pieuses qu'on ne devrait plus se permettre, d'autant que la religion chrétienne n'en a pas besoin. L'Évangile nous a appris que les cieux s'ouvraient à une certaine hauteur; qu'il y avait trois personnes en Dieu, que la troisième personne descendait en forme de colombe, que la seconde viendrait juger les vivans et les morts; que le diable entrait dans le corps des gens... Voilà incontestablement ce que l'Évangile nous a appris, et ce que l'esprit humain n'aurait pu imaginer, tant la science est impuissante et vaine. »

AOUT.

Paris, août 1788.

C'EST le mardi 15 juillet qu'on a donné, sur le théâtre de l'Académie royale de Musique, la première représen

tation d'Amphitryon, opéra en trois actes. Les paroles sont de M. Sedaine et la musique de M. Grétry.

Il est peu de sujets plus connus que celui d'Amphitryon. L'histoire héroïque de la Grèce commence à la naissance d'Hercule, dont les descendans, sous le nom d'Héraclides, régnèrent long-temps sur les plus belles contrées de cette partie à jamais célèbre de notre continent. Cette fable est du nombre des erreurs religieuses qui ont parcouru le globe. Les Grecs, qui empruntèrent presque toutes celles de leur théogonie des Égyptiens, doivent celle-ci aux Indiens; on l'a retrouvée dans un de ces livres sacrés des Brames que les Anglais viennent de traduire, et dont l'antiquité remonte bien au - delà des premiers temps de la civilisation des Grecs. Dans la mythologie indienne, c'est un dieu qui prend, comme dans la mythologie grecque, la figure d'un général célèbre, et jouit de ses droits auprès de son épouse; de cette union naquit un héros dont les exploits ont consacré le nom dans les temps héroïques de l'Inde. C'est absolument, comme l'on voit, l'histoire de Jupiter et d'Alcmène; mais ce qui rend, dans le livre sacré des Brames, l'aventure encore plus singulière, et surtout plus gaie, c'est le procès qui en est la suite. Le général indien revendique ses droits et sa femme, le dieu ne veut s'en dessaisir; l'affaire est portée devant un tribunal. La ressemblance des deux époux est si parfaite que les juges, dans l'impossibilité où ils se trouvent de décider quel est le véritable mari, ordonnent un congrès assez étrange, auquel cependant la femme se soumet avec une résignation qu'on ne doit attribuer qu'à sa profonde soumission aux lois; ils ordonnent que la femme passera tour à tour une nuit avec les deux maris prétendus, et

pas

qu'elle reconnaîtra pour son véritable époux celui qui en remplira le mieux les devoirs. Le dieu, dans cette épreuve singulière, se conduit en dieu, car, quelque estimable que soit la conduite du mari, celle du dieu l'est quatre fois davantage. Le choix pourrait-il encore être. douteux? La dame, toujours fidèle à la loi, reconnaît pour son époux celui qui s'en est montré le plus digne; mais le dieu, à qui tant de succès multipliés avaient peut-être fait éprouver cette malheureuse satiété qui corrompt trop souvent les plus douces jouissances des mortels, abandonne alors sa femme à son véritable mari, et remonte au ciel, en lui annonçant, comme Jupiter à Amphitryon, que de ce tour vraiment divin doit naître un héros dont les exploits étonneront l'univers. Si l'on est surpris de retrouver chez les Grecs une fable si anciennement établie dans l'Inde, on ne l'est pas moins sans doute d'apprendre que cette union si scandaleuse du souverain des dieux fut représentée publiquement sur le théâtre d'Athènes, et qu'elle le fut de préférence aux fêtes de Jupiter. Euripide et Archippus avaient traité le sujet d'Amphitryon; il ne nous reste rien de ces deux pièces, qui vraisemblablement servirent de modèle à Plaute, dont l'Amphitryon eut le plus grand succès à Rome, et qu'on y jouait encore cinq cents ans après sa mort. Ce sujet offre des situations si ingénieuses et si profondément comiques, qu'il ne pouvait échapper à Molière; il s'en est emparé, et si ce grand homme a emprunté de Plaute, non-seulement le fond de l'intrigue, mais encore toute la marche de la pièce jusqu'au dénouement, combien n'a-t-il pas embelli son modèle! Les scènes de Cléanthis et de Sosie, ces scènes d'un comique si original et d'une gaieté si piquante, sont autant de

créations du talent de Molière; ces scènes admirables suffiraient seules pour prouver la supériorité du poète français sur le poète latin, quand même Molière n'eût pas répandu d'ailleurs dans tout son dialogue tant de philosophie, de grace et de gaieté, tant de traits piquans, tant de plaisanteries de ce genre fin et délicat qui, en faisant sourire l'esprit, ajoute encore à la force comique des situations. C'est ce mérite inimitable qui a décidé la supériorité de l'Amphitryon de Paris sur celui de Rome, et, dans la dispute si célèbre des anciens et des modernes, à la fin du règne de Louis XIV, les partisans les plus outrés de l'antiquité, les Dacier même, n'osèrent le lui

contester.

En rendant à l'Amphitryon de Molière le tribut d'éloges que mérite la seule de ses pièces dont le succès ait été aussi complet à la première représentation qu'il l'est aujourd'hui, comment M. Sedaine n'a-t-il pas senti combien il était peu propre, par le caractère même de son talent, à lutter contre l'ouvrage de ce grand homme? La fable d'Amphitryon étant faite, ordonnée dans toutes ses parties, que lui restait-il à faire? d'y jeter du style. Du style de M. Sedaine! Quelque connue que soit sa manière d'écrire, par ses autres ouvrages, il est difficile de se faire une juste idée du triste abandon qui règne dans celui-ci; on y trouve tour à tour les tournures les plus triviales et les expressions les plus bizarres; les règles les plus communes du langage, comme de la versification, y sont également négligées.

On reprochera bien moins au nouvel Amphitryon de ressembler trop à son aîné que de ne pas lui ressembler

assez.

La musique n'a point rempli ce que semblaient pro

mettre et la nature du sujet, et les contrastes heureux qu'il présentait au compositeur, et le caractère même du talent qui distingue plusieurs ouvrages de M. Grétry. Le récitatif est la partie la plus négligée de cet opéra, l'effet en a presque toujours paru fort au-dessous de celui que produirait la déclamation la plus simple et la plus commune; les airs manquent souvent d'intention comme d'originalité. Pour être juste, il faut distinguer cependant le mérite de quelques morceaux d'ensemble; le duo de Mercure et de Bromia, celui de Sosie et de sa femme, sont dignes d'éloges, et nous ont rappelé le faire spirituel, piquant et vrai qui a déjà fait réussir tant de compositions de M. Grétry.

VERS de M. de Mugnerot à madame Suard, en lui envoyant un paquet de plumes taillées pour son usage.

Plumes, qui tour à tour dans la main d'Amélie
Remplissez ses plus doux loisirs,

Allez, secondant nos désirs,

De son style enchanteur recueillir l'harmonie.
Votre sort est d'être avant nous

Confidentes de ses pensées ;

Mais sur le papier, grace à vous,

Ainsi que dans son ame on les verra tracées.
Vos pareilles dans le boudoir

De nos plus sublimes coquettes,
Ou griffonnent quelques fleurettes,
Ou vont, traînant sur les toilettes,

S'émousser aux billets du matin et du soir.

C'est un tout autre emploi que vous allez avoir.
Amélie, il faut vous le dire,

Dans ses écrits comme dans ses discours,
Ne cajole point les amours;

TOM. XIV.

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