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fut cette guerre si malheureuse de la succession d'Espagne. Le talent que déploya M. le duc de Villars dans des circonstances si importantes à la tranquillité de l'État, le plan qu'il osa concevoir et exécuter aux risques même d'une fortune qu'il ambitionna toujours beaucoup trop, suffiraient pour placer ce grand homme au rang où on le vit s'élever en sauvant la France à la bataille de Denain. M. de Rulhière enchaîne et démontre tous ces faits de la manière la plus lumineuse, et l'on gémit de voir par quels motifs, par quels ressorts furent dirigées ces maximes si contradictoires, suivant lesquelles on se décidait tantôt à tourmenter, tantôt à laisser respirer les malheureux que l'on s'obstinait à regarder tour à tour comme de nouveaux convertis, ou comme des hérétiques dignes de la colère céleste.

M. de Rulhière présente avec la même clarté les principes qui dirigèrent l'administration du régent; il ordonna une révision de toutes les lois faites sur les protestans, et tout le temps que dura ce travail, on leur laissa une tolérance assez étendue. Ce fut le chancelier d'Aguesseau qui en fut chargé, et ce chef de la magistrature rédigea le nouveau code de la manière la plus. contraire aux vues du Régent; la déclaration de 1724, qui fut son ouvrage, ou qui n'est plutôt que la compilation la plus absurde et la plus inconséquente des différentes lois émanées du parti janséniste et du parti moliniste, par conséquent des ordonnances les plus contradictoires, ôtait implicitement tout état civil aux religionnaires. Elle fut heureusement modifiée par le cardinal de Fleury, et les ordres secrets de ce ministreprêtre favorisèrent une tolérance qu'avait proscrite un chancelier de France, un d'Aguesseau, que ce trait seul

doit montrer sans doute fort au-dessous de sa réputation. M. de Rulhière cite à l'appui de ce fait une lettre écrite, par ordre du cardinal de Fleury, à la sénéchaussée de Nîmes, tribunal.qui osa le premier casser un mariage de protestans; lettre par laquelle on lui défendait de prononcer à l'avenir sur des mariages faits par des ministres, en annonçant une déclaration sur ce qui devait être observé à cet égard; mais le cardinal de Fleury mourut, la déclaration ne parut pas, et l'acte illégal d'un tribunal subalterne devint une loi pour la plupart des parlemens du royaume.

Les protestans vécurent en France sous ces lois de proscription, exécutées à la rigueur jusqu'à la fin de la guerre de 1753. Les ouvrages de quelques-uns de nos philosophes sur la tolérance religieuse, quoique très-défendus encore, avaient commencé à éclairer la nation, et, ce qui était plus difficile, à adoucir les maximes sanguinaires de nos tribunaux; on vit dèslors moins de roués, moins de gibets; on ne conduisit plus si souvent aux galères, on n'enferma plus si soigneusement dans des châteaux-forts les malheureux protestans surpris dans leurs conventicules religieux. L'impulsion était donnée, mais l'assentiment général ne condamna ces lois de sang que lorsque celui de Calas eut coulé sur un échafaud. La voix de Voltaire, la pitié secourable d'une grande princesse, dont l'exemple, en répandant le bienfait de la tolérance sur ses vastes États, accusait si hautement la France et le reste de l'Europe, apprirent enfin au Gouvernement qu'il devait s'occuper à détruire des lois que l'opinion publique avait déjà réduites à une sorte de désuétude. A l'aide des secours que plusieurs princes, surtout l'impératrice de

Russie, donnèrent à la famille de Calas, on vit une épouse en deuil, suivie de ses deux filles, de son fils, d'un ami de leur famille, tous protestans, tous connus pour l'être, couverts, pour ainsi dire, et protégés par la gloire de Catherine, traverser le royaume, et venir, sans cacher leur religion, se prosterner aux pieds de Louis XV, et lui demander justice du crime de l'intolérance. La cause fut discutée au conseil ; l'arrêt qui intervint démentit cette maxime si étrange des lois de Louis XIV, et sur laquelle elles reposaient toutes, qu'il n'y a plus de protestans en France. C'est depuis cet arrêt que le conseil du roi s'est occupé de la destinée de cette partie de ses sujets; et, sans le supplice de Calas, sans la sainte indignation de Voltaire, sans l'humanité, sans les bienfaits de Catherine II, qui répandirent sur cette cause un éclat et une importance que n'eût pas obtenus la voix isolée du solitaire de Ferney, le conseil serait peut-être encore à s'occuper de l'état civil des protestans, que Louis XVI vient de leur restituer.

C'est dans cet esprit qu'il faut examiner le second volume de l'ouvrage de M. de Rulhière: il ne se fait pas lire avec le même intérêt que le premier : les faits qu'on y trouve ont moins de suite, étaient plus connus ou avaient déjà été indiqués en partie par l'auteur dans le volume précédent; la narration en est tout à la fois moins claire et moins rapide. Mais malgré ces reproches, ce nouveau volume forme une suite nécessaire au premier. Si l'ouvrage entier ne doit pas faire placer l'auteur parmi nos grands historiens, il ne peut manquer du moins de lui assurer une place distinguée parmi les écrivains dont le talent a bien mérité de l'humanité.

Le jeudi 19 juin, on a donné, sur le Théâtre Français, la première représentation d'Alphée et Zarine, tragédie en cinq actes, de M. Fallet (1.), connu par celle de Tibère et Sérénus. Ce premier ouvrage était loin sans doute d'être une bonne tragédie; la versification en est d'une faiblesse extrême; le caractère de Tibère, si profondément atroce, y est à peine esquissé; mais la régularité du plan, l'espèce d'intérêt qui résulte de la rivalité de Tibère et de Sérénus, lui valurent une sorte de succès. La pièce que nous avons l'honneur de vous annoncer joint à un style encore plus faible, encore plus négligé, le vice d'une action folle et romanesque; c'est un tissu d'événemens invraisemblables, de situations accumulées sans choix, sans effet; l'on serait tenté de croire que l'auteur n'a jamais étudié d'autres modèles que quelques mauvaises tragédies de Jodelle ou de Quinault.

Candide marié, opéra comique en deux actes, en prose et en vaudevilles, a été représenté pour la première fois au Théâtre Italien, le vendredi 20 juin. Ce sont les derniers chapitres du plus ingénieux des romans qui ont donné l'idée du fond de cette petite pièce; mais le parti qu'en ont su tirer les auteurs, MM. Radet et Barré, n'a paru ni très-original, ni très-saillant; on y a cependant applaudi quelques jolis vers et plusieurs couplets d'un tour facile et gai.

(1) On a aimé M. Fallet dans Tibère, dit l'Almanach des Grands Hommes, et Tibère lui-même y a beaucoup gagné. Il fallait bien du talent pour rendre Tibère aimable. (Note de Grimm.)

Études de la Nature, par Jacques-Bernardin- Henri de Saint-Pierre, tome IV, avec cette épigraphe tirée de Virgile :

Miseris succurrere disco.
AEneid, lib. 1.

Si l'on excepte l'avertissement, où l'auteur répond à quelques critiques de son système sur la cause du flux et du reflux de la mer, ce quatrième volume a fort peu de rapports avec les trois premiers; mais on est bien éloigné de s'en plaindre, car au lieu de nouvelles rêveries scientifiques, on y trouve deux petits romans poétiques pleins de grace et d'imagination; le premier surtout respire la sensibilité la plus pure et la plus touchante; c'est l'histoire de deux amans élevés ensemble dans une habitation solitaire de l'Ile de France, séparés par une tante qui rappelle sa nièce en Europe, et réunis enfin dans la nuit du tombeau par la plus imprévue et la plus déchirante de toutes les catastrophes. Cette histoire, dont le fond est, dit-on, véritable, offre peu d'événemens, peu de situations, par conséquent peu de variété; mais quelque simples qu'en soient tous les incidens, elle attache par une foule de tableaux neufs et intéressans, par les peintures les plus riches d'une nature presque inconnue, par les développemens de la passion la plus douce et la plus naturelle, par l'expression soutenue d'un sentiment vif et profond. Il faudrait en citer des morceaux de différens genres pour faire concevoir le charme qui anime ce délicieux ouvrage.

Quelle idylle que la conversation que voici :

« Quelquefois seul avec elle (il me l'a mille fois raconté), Paul disait à Virginie au retour de ses travaux

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