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carpemens avaient suffi à quelques anciens pour qu'ils supposassent que ce canal était effectivement le produit d'une rupture. Straton de Lampsaque, au rapport de Strabon, Géog. liv. i. p. 49, cherchait même à expliquer par cet évènement supposé, les coquilles et autres vestiges de la mer, qui se remarquent en plusieurs endroits des plaines et des plateaux de l'Asie Mineure. Avant cette rupture, selon Straton, le Pont-Euxin aurait été beaucoup plus étendu qu'aujourd'hui, et aurait couvert une partie de l'Asie Mineure; une rupture pareille aurait eu lieu, à une époque quelconque et par des causes analogues, aux Colonnes d'Hercule, et aurait influé d'une manière ou d'une autre sur l'étendue de la Méditerranée.

Des modernes, d'après l'observation faite par Pallas des grandes plaines de sable, qui s'étendent du nord de la mer Noire à la mer Caspienne et au lac d'Oural, ont même imaginé, qu'autrefois ces trois mers étaient réunies, et qu'elles ne se sont séparées, qu'à cause de l'écoulement de leurs eaux, occasionné par la rupture du Bosphore; quelques traces de volcans observées aux Cyanées, et vers l'entrée de la mer Noire, leur ont paru pouvoir fournir une explication physique d'une telle rupture; ils ont même été plus loin, et ont cru pouvoir lier cet écoulement avec le déluge de Deucalion par des témoignages historiques.

Comme il est dit dans Apollodore, que le déluge de Deucalion arriva du tems de Nyctimus, roi d'Arcadie, Clavier, Hist. des premiers tems de la Grèce, i. pag. 44, suppose, que c'est sous ce même roi Nyctimus, qu'eut lieu l'inondation de l'Arcadie, qui, selon Denys, contraignit Dardanus à aller vers la Samothrace; et par une seconde supposition, il va jusqu'à croire que ce fut aussi cette inondation qui obligea Deucalion à se rendre vers le Par

nasse; en sorte que, selon lui, Deucalion aurait été originaire d'Arcadie.

Mais une combinaison plus forte encore, est celle de M. Dureau de la Malle. Géog. Phys. de la mer Noire, etc. p. 241. Réunissant la tradition de Samothrace, touchant l'éruption de l'Euxin, que Diodore rapporte comme trèsantérieure à Dardanus, et même à tous les autres déluges, avec la tradition relative à l'inondation de l'Arcadie, et à l'émigration de Dardanus, dans laquelle Denys d'Halicarnasse, de qui seul on la tient, ne fait aucune mention de l'Euxin; admettant ensuite, que le deuxième de ces événemens est identique avec le déluge de Deucalion, il fait de tout cela, et de la rupture du Bosphore, et de celle des Colonnes d'Hercule, qu'il place aussi à la même époque, une seule et même catastrophe, à laquelle il croit en conséquence pouvoir assigner une date historique.

Malheureusement le tout ensemble est aussi peu fondé en physique, qu'en histoire. Le phénomène des vestiges de la mer sur les continens est universel, et ne peut dépendre d'une cause locale. Ce n'est pas seulement autour de la mer Noire qu'il y a des coquilles fossiles; il y en a partout.

De plus, il résulte du témoignage de deux savans hommes qui ont été sur les lieux, M. Olivier, dans un rapport fait à l'Académie des Sciences, et le général Andréossy, Voyage à l'embouchure de la mer Noire, pag. 48 et suivantes, que la mer Noire, si elle se fût beaucoup élevée au-dessus de son niveau actuel, aurait trouvé plusieurs écoulemens par des cols et des plaines moins élevées que les bords actuels du Bosphore, sans avoir besoin de s'ouvrir cette longue et étroite issue. Chacun sent d'ailleurs, qu'une éruption volcanique est incapable de produire un

tel effet sur une plage calcaire, telle que les plateaux que traverse le Bosphore. Enfin, la mer Noire fût-elle même tombée un jour subitement en cascade par ce nouveau passage, la petite quantité d'eau qui aurait pu s'écouler à la fois par une ouverture si étroite, se serait répandue par degrés sur l'immense surface de la Méditerranée, sans causer sur ses bords une marée de quelques toises, encore moins un déluge qui aurait détruit des provinces, et forcé les hommes à chercher un refuge sur les hauts sommets du Parnasse.

M. le général Andréossy, qui a fait une étude particulière des lieux, et dont les talens, comme ingénieur et comme hydraulicien, sont si connus, a même prouvé, d'après la hauteur de la partie des bords de ce détroit qui est escarpée, que la simple inclinaison de la surface des eaux, nécessaire à l'écoulement, aurait réduit à rien l'excédent de hauteur, qu'elles auraient pu produire, une fois arrivées aux rives de l'Attique.

Mais, si les preuves historiques que l'on a prétendu donner de l'identité des déluges de Samothrace, d'Arcadie et de Deucalion, et surtout de leur date, et les explications physiques que l'on en a imaginées, disparaissent devant une critique sérieuse, il n'en reste pas moins trèsprobable, que tout ce qu'il y a de réel dans ces traditions, et même dans celles des déluges d'Ogygès, de Syrie, de Phrygie, d'Assyrie et de Chine, se rapporte au souvenir d'un seul et même événement, de celui qui est connu dans les annales hébraïques sous le nom de Déluge universel.

G. CUVIER.

VOL. III.

PUBLII

OVIDII NASONIS

METAMORPHOSEON

LIBRI QUINDECIM.

PARS PRIMA.

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