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avait pu être inondée, sans qu'une infinité d'autres pays, et le Péloponnèse lui-même, qui n'est pas plus élevé que la Grèce, fussent inondés aussi.

Diodore, liv. i. p. m. 10. n'assigne pas à cette catastrophe des limites si étroites, puisqu'il conjecture que ses effets auraient pu s'étendre jusques vers la Haute-Egypte.

La tradition de Phrygie relative à Annacus ou Nannacus, qui fut une sorte de précurseur de Deucalion, suppose aussi, que le déluge de celui-ci s'étendit sur l'Asie Mineure, et même qu'il détruisit tout le genre humain ; car c'est après ce déluge seulement, qu'elle place Prométhée, chargé par Jupiter de reproduire l'espèce. Il est vrai que cette tradition, si différente des autres, ne nous a été conservée que par des auteurs du Bas-Empire, Etienne de Byzance, voce Iconion, Zenodote ou Zenobius, Prov. Cent. vi. n. 10. et Suidas, voce Nannacus. Mais Zenodote cite des auteurs plus anciens, tels qu'Hermogène, auteur d'un traité sur les Phrygiens, et Hérode le Jambographe.

Iconium, où l'on suppose que régnait Annacus, est sur le grand plateau de l'Asie Mineure; ainsi il n'a pu être inondé, sans que la presque totalité de cette presqu'île le fût.

C'est sur le Parnasse, qu'Apollodore, comme Pindare, fait aborder Deucalion; mais d'autres auteurs lui assignent des lieux différens. Selon Servius, ad Virg. Ecl. vi. 41. ce fut sur le mont Athos, et selon Hygin, fab. 153. ce fut sur l'Etna qu'il trouva un refuge. D'après le récit de Lucien, de Dea Syra, il semblerait même, qu'à Hiérapolis on croyait que Deucalion était descendu près de cette ville.

Le coffre qu'Apollodore, loc. cit. donne à Deucalion

pour moyen de salut, les colombes par l'instinct desquelles, selon Plutarque, de Solert. Anim. il cherchait à savoir si les eaux s'étaient retirées, les animaux de toute espèce. qu'il avait embarqués avec lui, selon Lucien, de Dea Syra, sont des circonstances si manifestement empruntées de la narration de Moïse, qu'il est presqu'impossible, qu'elles n'en aient pas été tirées, soit immédiatement, soit par la connaissance que ces écrivains ont eue du récit de Bé

rose..

Il paraît donc certain que l'idée que l'on se faisait le plus communément, soit du déluge d'Ogygès, soit du déluge de Deucalion, était dérivée de l'ancienne tradition du déluge universel, insensiblement modifiée, diversifiée selon les lieux. Chaque colonie en avait apporté avec elle le souvenir. Mais dans ces tems, où rien n'était encore fixé par l'écriture, les prêtres chargés de conserver la mémoire des principaux faits, et sans doute de celui-là plus que d'aucun autre, le localisaient petit à petit, d'après le penchant naturel à tous les hommes de placer, près des lieux qu'ils habitent, les grands évènemens, dont ils n'ont plus qu'une réminiscence confuse, et d'après l'intérêt encore plus naturel, que les prêtres de chaque lieu avaient d'inspirer une vénération religieuse pour leurs temples, et en les accréditant ainsi, de s'accréditer eux-mêmes.

C'est particulièrement dans cette dernière vue, qu'en beaucoup d'endroits, on montrait des ouvertures, par où l'on disait que les eaux du déluge s'étaient engouffrées : la plus célèbre était celle du Parnasse.

Il y avait, au rapport de Pausanias, Attic. liv. i. c. 18. quelque chose de semblable à Athènes, dans un bosquet sacré, appelé Olympias. Un enfoncement d'une coudée de profondeur passait pour avoir reçu les eaux du déluge

de Deucalion, et l'on y jetait chaque année des gâteaux de farine et de miel; aussi prétendait-on bien, que Deucalion avait demeuré à Athènes, qu'il y avait construit un temple à Jupiter Phyxius, et que l'on y possédait son sépulcre, bien que l'on crût aussi le posséder à Pyrrha, dans la Phtyotide.

Les Hierapolitains de Syrie, selon Lucien, de Dea Syra, prétendaient de leur côté posséder l'orifice, par lequel s'étaient écoulées les eaux de ce déluge: un temple célèbre couvrait cet hiatus de la terre, où l'on jetait deux fois chaque année une grande quantité d'eau de mer, qu'il absorbait entièrement, bien qu'il fût fort étroit, ce qui prouve qu'il conduisait dans quelque grande cavité.

Ce qui est bien extraordinaire, c'est qu'on retrouve dans un de ces nombreux poëmes, ou romans versifiés, qui composent le corps de la mythologie Indienne, un personnage dont le nom et les aventures ont des rapports frappans avec le Deucalion des Grecs; c'est Deva-cala-yavana, ou, dans le langage familier, Deo-cal-yun, qui, ayant attaqué Chrishna à la tête des peuples septentrionaux, (des Scythes, tel qu'était le Deucalion des Grecs, selon Lucien,) fut repoussé par le feu et par l'eau. La ressemblance va jusqu'à son père Garga, dont un des surnoms est Pramathesa, (Prométhée,) et qui, selon une autre légende, est dévoré par l'aigle Garuda. De ces détails vraiment étonnans par leur conformité avec les fables grecques, et qui ont été extraits par M. Wilfort, Mémoires de Calcutta, tom. v. du drame Sanscrit, intitulé Hari-vansa, M. Charles Ritter, dans son Vestibule de l'Histoire Européenne avant Hérodote, conclut avec une grande apparence, que toute la fable de Deucalion était d'origine étrangère, et qu'elle avait été apportée en Grèce,

avec les autres légendes de cette partie plus ancienne du culte grec, qui était venue par la voie du Nord.

Ceux des modernes qui, comme Fréret et Clavier, ont pensé que le déluge d'Ogygès et celui de Deucalion sont des événemens réels, mais locaux et différens l'un de l'autre, se sont fondés principalement sur ce que la chronologie grecque assigne à ces deux princes, des places distinctes et fixes dans l'espace et dans le tems; mais qui ne voit que pour ces époques reculées, les Grecs, ainsi que toutes les nations encore peu éclairées, ont cherché à lier leur histoire à leur mythologie par des généalogies factices, et que c'est sur ces généalogies que repose, avant les Olympiades, toute leur chronologie? Quiconque croit de bonne foi, que Codrus et Médon descendaient de Deucalion par Hellen et par Dorus, ne peut se refuser à croire aussi, que Deucalion descendait d'Uranus par Japet et Prométhée, et que Saturne était son grand-oncle, et Jupiter et le centaure Chiron ses oncles à la mode de Bretagne. Ce sont les mêmes auteurs qui nous rapportent tout cela. Y a-t-il aujourd'hui un scheich Arabe, qui ne sache comment il descend de Noé par Ismaël, et un gentilhomme irlandais par Milésius? Nous-mêmes, n'avonsnous pas long-tems ajouté foi à notre origine Troyenne, telle que l'annonce Frédégaire, et à cette longue liste de princes allant en ligne droite de Priam à Clovis, que des romanciers du moyen âge ont entée sur cette première imagination?

Apollodore donne à Deucalion un fils nommé Hellen, chef de tous les Grecs, et fait naître de celui-ci Dorus, chef des Doriens, et Eolus, chef des Eoliens, avec autant d'autorité qu' Abulgazi, Hist. Gén. des Tart. ch. 2 et 3. donne à Japhet, fils de Noé, un fils nommé Turc, et à

Turc, deux arrière-petits-fils, appelés l'un Tatar, et l'autre Mongol, d'où seraient descendues les deux grandes nations qui portent encore ces noms aujourd'hui; ou que Jean Le Maire, Ill. des Gaules, p. 43. fait descendre de Galatas, roi des Gaules, Allobrosc, prince de Dauphiné, et son fils Romus, qui fonda la ville de Romans, et donna naissance à la langue romane.

Au reste, quand il serait vrai que Deucalion eût été en effet le chef des Hellènes, lorsque ce peuple vint s'établir aux environs du Parnasse, l'opinion populaire le regardant comme l'auteur de la nation, aurait pu placer de son tems la catastrophe, de laquelle datent toutes les nations, par une simple confusion d'époques, trés-naturelle quand rien n'est écrit, ni même mis en vers et appris par cœur, et sans que l'on puisse en tirer aujourd'hui aucune conclusion sur la réalité de l'événement.

Il y avait aussi en certains lieux des traditions relatives au déluge, auxquelles le nom de Deucalion n'était pas lié. Telle était l'inondation de l'Arcadie, rapportée par Denys d'Halicarnasse, Ant. rom. lib. i. cap. 61, et à laquelle il attribue l'émigration de Dardanus vers l'île de Samothrace, et ensuite vers l'Hellespont; telle était encore celle d'une grande crue d'eau, dont parle Diodore, lib. v. cap. 47, qui devait avoir eu lieu en Samothrace avant les autres déluges, et que l'on attribuait à la rupture du Bosphore et de l'Hellespont.

Indépendamment de cette tradition de Samothrace, sur la rupture des détroits, on avait dans l'antiquité diverses hypothèses.

Le Bosphore est un canal fort peu large, mais dont les bords ne sont escarpés que dans un petit espace, et sur une hauteur peu considérable. Cependant ces petits es

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