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Au sein d'un doux abri peut, sous ton ciel vermeil,
Avec tes orangers partager ton soleil,

Respirer leurs parfums, et, comme leur verdure,
Même au sein des frimats défier la froidure !
Toutefois le bel art que célèbrent mes chants
Ne borne point sa gloire à féconder les champs.
Il sait, pour employer leurs richesses fécondes,
Mettre à profit les vents et les feux et les ondes,
Dompter et façonner et le fer et l'airain,

Transformer en tissus et la laine et le lin.

Loin de ces verts coteaux, de ces humbles campagnes,
Venez donc, suivez-moi vers ces âpres montagnes,
Formidables déserts d'où tombent les torrens

Où gronde le tonnerre, où mugissent les vents.
Monts où j'ai tant rêvé, pour qui, dans mon ivresse,
Des plus rians vallons j'oubliois la mollesse
Ne pourrai-je encor voir vos rocs majestueux,
Entendre de vos flots le cours tumultueux ?
Oh! qui m'enfoncera sous vos portiques sombres,
Dans vos sentiers noircis d'impénétrables ombres?
Mais ce n'est plus le temps: autrefois des beaux arts,
Sur ces monts, sur ces rocs, j'appelois les regards;
C'est au cultivateur qu'aujourd'hui je m'adresse ;
J'invoque le besoin, le travail et l'adresse.

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Je leur dis: voyez-vous bondir ces flots errans ?
Courez, emparez-vous de ces fougueux torrens ;
Guidez dans des canaux leur onde apprivoisée.
Que, tantôt réunie et tantôt divisée,

Elle tourne la roue, élève les marteaux,
Et dévide la soie, ou dompte les métaux.
Là, docile ouvrier, le fier torrent façonne
Les toisons de Palès, les sabres de Bellone :
Là, plus prompt que l'éclair, le flot lance les mâts
Destinés à voguer vers de lointains climats :

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Là pour l'art des Didot Annonay voit paroître
Les feuilles où ces vers seront tracés peut-être.
Tout vit, j'entends partout retentir les échos
Du bruit des ateliers, des forges et des flots.
Les rocs sont subjugués; l'homme est grand, l'art sublime:
La montagne s'égaie, et le désert s'anime.

Sachez aussi comment des fleuves, des ruisseaux

On peut mettre à profit les salutaires eaux ;
Et Pomone et Palès, et Flore et les Dryades,
Doivent leurs doux trésors à l'urne des Nayades,
Surtout dans les climats où l'ardente saison

Jusque dans sa racine attaque le gazon,

Et laisse à peine au sein de la terre embrasée
Tomber d'un ciel avare une foible rosée.

Non loin est un ruisseau; mais de ce mont jaloux

Le rempart ennemi le sépare de vous :

Eh bien ! osez tenter une grande conquête.

Venez, de vos sapeurs déjà l'armée est prête.
Sous leurs coups redoublés le mont cède en croulant
La brouette aux longs bras, qui gémit en roulant,
Qui, partout se frayant un facile
passage,
Sur son unique roue agilement voyage,

S'emplissant, se vidant, allant, venant cent fois,
Des débris entassés transporte au loin le poids.
Enfin le mont succombe; il s'ouvre, et sous sa voûte
Ouvre au ruisseau joyeux une facile route.
La Nayade s'étonne, et, dans son lit nouveau,
A ses brillans destins abandonne son eau.

Il vient, il se partage en fertiles rigoles;
Chacun de ses filets sont autant de Pactoles :
Sur son passage heureux tout renaît, tout verdit.
De ses états nouveaux son onde s'applaudit,
Et, source de fraîcheur, d'abondance et de gloire,
Vous paye en peu de temps les frais de la victoire. 16
Dans les champs où, plus près de l'astre ardent du jour,
Au sein de ses vallons Lima sent, tour à tour 17,
Par le vent de la mer, par celui des montagnes,
Le soir et le matin rafraîchir ses campagnes,

Avec bien moins de frais et bien moins d'art encor,
L'homme sait des ruisseaux disposer le trésor,
Et, suivant qu'il répand ou suspend leur largesse,
Retarde sa récolte ou hâte sa richesse.

Près du fruit coloré la fleur s'épanouit,
L'arbre donne et promet, l'homme espère et jouit.
Là le cep obéit au fer qui le façonne;

Ici de grappes d'or la vigne se couronne ;

Et, sans que l'eau du ciel lui dispense ses dons,
L'homme au cours des ruisseaux asservit les saisons.
Lieux charmans, où les cieux sont féconds sans nuage,
Et qui ne doivent point leur richesse à l'orage!
Tant l'art a de pouvoir ! tant l'homme audacieux
Sait vaincre la nature et corriger les cieux!

Ne pouvez-vous encor de ces terres fangeuses
Guider dans des canaux les eaux marécageuses,
Et, donnant à Cérès des trésors imprévus,

Montrer au ciel des champs qu'il n'avoit jamais vus?
Tantôt,
coulant sans but, des sources vagabondes
A leur libre penchant abandonnent leurs ondes,
Et suivent au hasard leur cours licencieux :

Changez en long canal ces flots capricieux.
Bientôt vous allez voir mille barques agiles
Descendre, remonter sur ses ondes dociles.

Aux cantons étrangers il porte vos trésors ;

Des fruits d'un sol lointain il enrichit vos bords;

Par lui les intérêts, les besoins se confondent,

Tous les biens sont communs, tous les lieux se répondent, Et l'air, l'onde et la terre en bénissent l'auteur.

Riquet de ce grand art atteignit la hauteur,
Lorsqu'à ce grand travail du peuple monastique,
Dont long-temps l'ignorance honora Rome antique, 18
Son art joignit encor des prodiges nouveaux,
Et réunit deux mers par ses hardis travaux.
Non, l'Égypte et son lac, le Nil et ses merveilles
Jamais de tels récits n'ont frappé les oreilles.
Là, par un art magique, à vos yeux sont offerts
Des fleuves sur des ponts, des vaisseaux dans les airs
Des chemins sous des monts, des rocs changés en voûte,
Où vingt fleuves, suivant leur ténébreuse route,
Dans de noirs souterrains conduisent les vaisseaux,
Qui du noir Achéron semblent fendre les eaux;
Puis, gagnant lentement l'ouverture opposée,
Découvrent tout à coup un riant élysée,

Des vergers pleins de fruits et des prés pleins de fleurs,
Et d'un bel horizon les brillantes couleurs.
En contemplant du mont la hauteur menaçante,
Le fleuve quelque temps s'arrête d'épouvante;

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