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Heureux, vous unissez, dans votre heureux hameau,
Le riche à l'indigent, la cabane au château.

Vous créez des plaisirs, vous soulagez des peines,
Du lien social vous resserrez les chaînes,

Et satisfait de tout, et ne regrettant rien,

Vous dites comme Dieu : ce que j'ai fait est bien.

Fin du premier Chant.

HEUREUX qui dans le sein de ses dieux domestiques

Se dérobe au fracas des tempêtes publiques,

Et dans un doux abri trompant tous les regards,
Cultive ses jardins, les vertus et les arts!

Tel, quand des triumvirs la main ensanglantée
Disputoit les lambeaux de Rome épouvantée,
Virgile, des partis laissant rouler les flots,
Du nom d'Amaryllis enchantoit les échos.

Nul mortel n'eût osé, troublant de si doux charmes,
Entourer son réduit du tumulte des armes ;

Et lorsque Rome, enfin lasse de tant d'horreurs
Sous un règne plus doux oublioit ces fureurs,
S'il vint redemander au maître de la terre

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Le champ de ses ayeux que lui ravit la guerre,
Bientôt on le revit, loin du bruit des palais,
Favori du dieu Pan, courtisan de Palès,
Fouler, près du beau lac où le cygne se joue,
Les prés alors si beaux de sa chère Mantoue. 1
Là, tranquille au milieu des vergers, des troupeaux
Sa bouche harmonieuse erroit sur ses pipeaux,
Et, ranimant le goût des richesses rustiques,
Chantoit aux fiers Romains ses douces Géorgiques.

Comme lui je n'eus point un champ de mes ayeux,
Et le peu que j'avois je l'abandonne aux dieux;
Mais comme lui, fuyant les discordes civiles,
J'échappe dans les bois au tumulte des villes,
Et, content de former quelques rustiques sons,
A nos cultivateurs je dicte des leçons.
Vous donc qui prétendiez, profanant ma retraite,
En intrigant d'état transformer un poëte,
Épargnez à ma Muse un regard indiscret ;

De son heureux loisir respectez le secret.
Auguste triomphant pour Virgile fut juste ;
J'imitai le poëte, imitez donc Auguste,

Et laissez-moi, sans nom, sans fortune et sans fers,
Rêver au bruit des eaux, de la lyre et des vers.

Quand des agriculteurs j'enseigne l'art utile, Je ne viens plus, marchant sur les pas de Virgile, Répéter aux Français les leçons des Romains: Sans guide m'élançant par de nouveaux chemins, Je vais orner de fleurs le soc de Triptolème, Et sur mon propre luth chanter un art que j'aime. Je ne prends pas non plus pour sujet de mes chants Les vulgaires moyens qui fécondent les champs : Je ne viens point ici vous dire sous quel signe Il faut planter le cep et marier la vigne;

Quel sol veut l'olivier, dans quels heureux terrains
Réussissent les fruits et prospèrent les grains.

La culture offre ici de plus brillans spectacles;
Au lieu de ses travaux, je chante ses miracles,
Ses plus nobles efforts, ses plus rares bienfaits.
Féconde en grands moyens, fertile en grands effets,
Ce n'est plus cette simple et rustique déesse
Qui suit ses vieilles lois; c'est une enchanteresse
Qui, la baguette en main, par de hardis travaux,
Fait naître des aspects et des trésors nouveaux,
Compose un sol plus riche et des races plus belles,
Fertilise les monts, dompte les rocs rebelles,
Dirige dans leur cours les flots emprisonnés,
Fait commercer entr'eux les fleuves étonnés,
Triomphe des climats, et sous ses mains fécondes
Confond les lieux, les temps, les saisons et les mondes.
Quand l'homme cultiva pour la première fois,

De ce premier des arts il ignoroit les lois ;
Sans distinguer le sol et les monts et les plaines,
Son imprudente main leur confią ses graines :
Mais bientôt, plus instruit, il connut les terrains;
;

Chaque arbre eut sa patrie, et chaque sol ses grains.
Vous, faites plus encore; osez par la culture

Corriger le terrain et dompter la nature,

Rival de Duhamel, surprenez ses secrets ;

Connoissez, employez l'art fécond des engrais.
Pour fournir à vos champs l'aliment qu'ils demandent,
La castine, la chaux, la marne vous attendent.
Que la cendre tantôt, tantôt les vils débris

Des grains dont sous leurs toits vos pigeons sont nourris,
Tantôt de vos troupeaux la litière féconde,
Changent en sucs heureux un aliment immonde.
Ici, pour réparer la maigreur de vos champs,
Mêlez la grasse argile à leurs sables tranchans:
Ailleurs, pour diviser les terres limoneuses,
Mariez à leur sol les terres sablonneuses.
Vous, dont le fol espoir, couvant un vain trésor,
D'un stérile travail croit voir sortir de l'or,
D'un chimérique bien laissez là l'imposture :
L'or naît dans les sillons qu'enrichit la culture;
La terre est le creuset qui mûrit vos travaux,
Et le soleil lui-même échauffe vos fourneaux.
Les voilà, les vrais biens, et la vraie alchimie.
Jadis, heureux vainqueur d'une terre ennemie,
Un vieillard avoit su de ses champs plus féconds
Vaincre l'ingratitude et doubler les moissons.
Il avoit, devinant l'art heureux d'Angleterre,
Pétri, décomposé, recomposé la terre,

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