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Dans les champs dépouillés, combien j'aime à le voir!
Aux plus doux souvenirs il mêle un doux espoir,

Et je jouis, malgré la froidure cruelle,

Des beaux jours qu'il promet, des beaux jours qu'il rappelle.

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Le ciel devient-il sombre? Eh bien! dans ce salon,
Près d'un chêne brûlant, j'insulte à l'aquilon.
Dans cette chaude enceinte, avec goût éclairée
Mille doux passe-temps abrègent la soirée.
J'entends ce jeu bruyant où, le cornet en main,
L'adroit joueur calcule un hasard incertain.
Chacun sur le damier fixe, d'un œil avide,
Les cases, les couleurs, et le plein et le vide :
Les disques noirs et blancs volent du blanc au noir;
Leur pile croît, décroît. Par la crainte et l'espoir
Battu, chassé, repris, de sa prison sonore

Le dez avec fracas part, rentré, part encore;
Il court, roule, s'abat: le nombre a prononcé.
Plus loin, dans ses calculs gravement enfoncé,
Un couple sérieux qu'avec fureur possède
L'amour du jeu rêveur qu'inventa Palamède,
Sur des carrés égaux, différens de couleur,
Combattant sans danger, mais non pas sans chaleur,
Par cent détours savans conduit à la victoire
Ses bataillons d'ébène et ses soldats d'ivoire.

Long-temps des camps rivaux le succès est égal :
Enfin l'heureux vainqueur donne l'échec fatal,
Se lève, et du vaincu proclame la défaite.
L'autre reste atterré dans sa douleur muette,
Et, du terrible mat à regret convaincu,
Regarde encor long-temps le coup qui l'a vaincu.
Ailleurs c'est le piquet des graves douairières,
Le lotto du grand -oncle, et le wisk des grand-pères.
Lá, sur un tapis vert, un essaim étourdi

Pousse contre l'ivoire un ivoire arrondi;

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La blouse le reçoit. Mais l'heure de la table
Désarme les joueurs; un flacon delectable
Verse avec son nectar les aimables propos,
Et, comme son bouchon, fait partir les bons mots.
On se lève, on reprend sa lecture ordinaire,
On relit tout Racine, on choisit dans Voltaire.
Tantôt un bon roman charme le coin du feu :
Hélas ! et quelquefois un bel esprit du lieu
Tire un traître papier; il lit, l'ennui circule.
L'un admire en bâillant l'assommant opuscule,

Et d'un sommeil bien franc l'autre dormant tout haut
Aux battemens de mains se réveille en sursaut.

On rit; on se remet de la triste lecture;

On tourne un madrigal, on conte une aventure.

Le lendemain promet des plaisirs non moins doux, Et la gaîté revient, exacte au rendez-vous.

Ainsi dans l'hiver même on connoît l'allégresse.
Ce n'est plus ce dieu sombre, amant de la tristesse ;
C'est un riant vieillard, qui sous le faix des ans
Connoît encor la joie, et plaît en cheveux blancs.
En tableaux variés les beaux jours plus fertiles
Ont des plaisirs plus vifs, des scènes moins tranquilles.
Eh! qui de ses loisirs peut mettre alors l'espoir
Dans ces tristes cartons peints de rouge et de noir?
L'homme veut des plaisirs; mais leurs pures délices
Ont besoin de santé, la santé d'exercices.

Laissez donc à l'hiver, laissez à la cité,

Tous ces jeux où la sombre et morne oisiveté,
Pour assoupir l'ennui réveillant l'avarice,
Se plaît dans un tourment et s'amuse d'un vice.
Loin ces tristes tapis! L'air, l'onde et les forêts
De leurs jeux innocens vous offrent les attraits,
Et la guerre des bois, et les piéges des ondes.
Compagne des Silvains, des nymphes vagabondes,
Muse, viens, conduis-moi dans leurs sentiers déserts:
Le spectacle des champs dicta les premiers vers.
Sous ces saules touffus, dont le feuillage sombre
A la fraîcheur de l'eau joint la fraîcheur de l'ombre,

Le pêcheur patient prend son poste sans bruit,
Tient sa ligne tremblante, et sur l'onde la suit.
Penché, l'œil immobile, il observe avec joie
Le liége qui s'enfonce et le roseau qui ploie.
Quel imprudent, surpris au piége inattendu,
A l'hameçon fatal demeure suspendu ?
Est-ce la truite agile, ou la carpe dorée,
Ou la perche étalant sa nageoire pourprée ;
Ou l'anguille argentée, errante en longs anneaux;
Ou le brochet glouton, qui dépeuple les eaux? 2

Aux habitans de l'air faut-il livrer la guerre ?
Le chasseur prend son tube, image du tonnerre;
Il l'élève au niveau de l'œil qui le conduit ;
Le coup part, l'éclair brille, et la foudre le suit,
Quels oiseaux va percer la grêle meurtrière?
C'est le vanneau plaintif, errant sur la bruyère:
C'est toi, jeune alouette, habitante des airs!
Tu meurs en préludant à tes tendres concerts.

Mais pourquoi célébrer cette lâche victoire, Ces triomphes sans fruits et ces combats sans gloire? O Muse, qui souvent, d'une si douce voix, Imploras la pitié pour les chantres des bois, Ah! dévoue à la mort l'animal dont la tête

Présente à notre bras une digne conquête,

L'ennemi des troupeaux, l'ennemi des moissons.
Mais quoi! du cor bruyant j'entends déjà les sons;
L'ardent coursier déjà sent tressaillir ses veines,
Bat du pied, mord le frein, sollicite les rênes.
A ces apprêts de guerre, au bruit des combattans,
Le cerf frémit, s'étonne et balance long-temps.
Doit-il loin des chasseurs prendre son vol rapide ?
Doit-il leur opposer son audace intrépide?
De son front menaçant ou de ses pieds légers,
A qui se fìra-t-il dans ces pressans dangers?
Il hésite long-temps: la peur enfin l'emporte;
Il part, il court, il vole: un moment le transporte
Bien loin de la forêt, et des chiens et du cor.
Le coursier, libre enfin, s'élance et prend l'essor;
Sur lui l'ardent chasseur part comme la tempête,
Se penche sur ses crins, se suspend sur sa tête.
perce les taillis, il rase les sillons,

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Et la terre sous lui roule en noirs tourbillons.

Cependant le cerf vole, et les chiens sur sa voie Suivent ces corps légers que le vent leur envoie; Partout où sont ses pas sur le sable imprimés, Ils attachent sur eux leurs naseaux enflammés; Alors le cerf tremblant, de son pied, qui les guide, Maudit l'odeur traîtresse et l'empreinte perfide.

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