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L'HOMME

DES CHA M P S.

O U

LES GÉORGIQUES

FRANÇOISES.

PREMIER CHAN T.

BOILEAU jadis a pu, d'une imposante voix,

Dicter de l'art des vers les rigoureuses lois;
Le chantre de Mantoue a pu des champs dociles
Hâter les dons tardifs par des leçons utiles:
Mais quoi! l'art de jouir, et de jouir des champs,

Se

peut-il enseigner? Non sans doute, et mes chants,

Des austères leçons fuyant le ton sauvage,

Viennent de la nature offrir la douce image,
Inviter les mortels à s'en laisser charmer:

Apprendre à la bien voir, c'est apprendre à l'aimer.
Inspirez donc mes vers, lieux charmans, doux asiles,
Où la vie est plus pure, où les cœurs, plus tranquilles,

Ne se reprochent point le plaisir qu'ils ont eu !
Qui fait aimer les champs, fait aimer la vertu :
Ce sont les vrais plaisirs, les vrais biens que je chante.

Mais peu savent goûter leur volupté touchante : Pour les bien savourer, c'est trop peu que des sens;

Il faut une ame pure et des goûts innocens.
Toutefois n'allons pas, déclamateurs stériles,
Affliger de conseils tristement inutiles

Nos riches d'autrefois, nos pauvres Lucullus,
Errans sur les débris d'un luxe qui n'est plus:
On a trop parmi nous réformé l'opulence!
Mais je ne parle pas seulement à la France;
Ainsi que tous les temps, j'embrasse tous les lieux.
O vous qui dans les champs prétendez vivre heureux,
N'offrez qu'un encens pur aux déités champêtres.
Héritier corrompu de ses simples ancêtres,

Ce riche qui, d'avance usant tous ses plaisirs,
Ainsi que son argent tourmente ses désirs,

S'écrie à son lever: « Que la ville m'ennuie!

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Volons aux champs; c'est là qu'on jouit de la vie,

Qu'on est heureux. » Il part, vole, arrive; l'ennui1 Le reçoit à la grille, et se traîne avec lui.

A peine il a de l'œil parcouru son parterre,
Et son nouveau kiosk, et sa nouvelle serre;

Les relais sont mandés: lassé de son château,
Il part, et court bâiller à l'opéra nouveau.
Ainsi, changeant toujours de dégoûts et d'asile,
Il accuse les champs, il accuse la ville;

Tous deux sont innocens, le tort est à son cœur :
Un vase impur aigrit la plus douce liqueur.

Le doux plaisir des champs fuit une pompe vaine :
L'orgueil produit le faste, et le faste la gêne.
Tel est l'homme; il corrompt et dénature tout.
Qu'au milieu des cités son superbe dégoût
Ait transporté les bois, les fleurs et la verdure;
Je lui pardonne encor: j'aime à voir la nature,
Toujours chassée en vain, vengeant toujours ses droits,
Rentrer à force d'art chez les grands et les rois.
Mais je vois en pitié le Crésus imbécille

Qui jusque dans les champs me transporte la ville:
Avec pompe on le couche, on l'habille, on le sert;
Et Mondor au village est à son grand couvert.

Bien plus à plaindre encor les jeunes téméraires
Qui, lassés tout à coup du manoir de leurs pères,
Vont sur le grand théâtre, ennuyés à grands frais,
Transporter leurs champarts, leurs moulins, leurs forêts;

Des puissances du jour assiégent la demeure,

Pour qu'un regard distrait en passant les effleure,

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