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des romans. Les journaux ne sont point remplis de discussions sérieuses; mais ils s'emploient à communiquer de proche en proche les idées qui pullulent, à les rendre rapides, à faire jouir plus tôt de leur effet, à mettre en correspondance des milliers de personnes à des distances éloignées. Un voyageur, à qui l'on demandait ce qu'il avait vu de nouveau à Paris, répondit: Rien, sinon que ce qui se disait dans les salons se répète aujourd'hui dans les rues. En toute chose apparaissait un amour discoureur de l'humanité; de la vanité plutôt que de l'égoïsme; une réprobation absolue de tout ce qui était historique et ancien, sans qu'on songeât encore à y porter la hache. On écrivait par mode sur un ton larmoyant, et l'on déblatérait contre la société en termes qui tenaient de Tacite et de Juvénal. On était pourtant rempli de confiance en soi et dans l'avenir, attendu que des changements inévitables se montraient en perspective à tout ceil clairvoyant.

Louis XV avait déjà dit : Après nous la fin du monde ; nos successeurs seront bien embarrassés. Rousseau écrivait en 1760: « Je crois impossible que les grandes monarchies subsistent encore longtemps. Nous approchons de la crise, du siècle de la révolution. Je fonde mon opinion sur des raisons particulières; mais il ne convient pas de tout dire, et puis tout le monde ne le voit que trop. » Voltaire disait aussi au marquis de Chauvelin, dans une lettre du 2 avril 1762: « Tout ce que je vois jette les semences d'une révolution qui arrivera immanquablement, et dont je n'aurai pas le plaisir d'être témoin. La lumière s'est tellement répandue, qu'à la première occasion il y aura une explosion, et alors ce sera un beau gâchis. Heureux les jeunes gens! que de choses ils verront! »

Louis XVI, homme de bien, qui, se défiant de lui-même, s'en rapportait à des gens qui avaient bien moins de capacité que lui et surtout beaucoup moins de probité, se trouvait avoir à diriger les conflits qui s'engageaient. Une cour imprévoyante avait succédé à celle qui, sous Louis XV, avait affiché une corruption profonde; et, ne sachant point mettre le roi à la tête du mouvement, elle prétendit qu'il l'arrêtât, mais sans lui inspirer l'énergie nécessaire. On vit en conséquence dans le gouvernement ce mélange d'injustices et de faiblesses qui irrite la résistance sans la fatiguer, la rend au contraire populaire, et lui donne l'espérance de réussir. Ballotté entre ses ministres, ses courtisans, sa femme, les traditions et la philosophie, Louis XVI louvoya au hasard, et n'inspira d'in

notables.

térêt qu'au moment où il cessa d'agir pour commencer à souffrir.

La guerre d'Amérique remplit le pays d'idées d'insurrection et de liberté; elle introduisit dans l'armée, qu'une longue paix avait ramenée aux habitudes civiles, les idées de la nation; ce qui fit que les vertus du citoyen s'unirent aux qualités militaires. Les finances se trouvaient dans le plus grand délabrement. Appelé à les rétablir, un ministre qui savait conquérir la popularité n'osa pas révéler des plaies qui appelaient un prompt remède; il n'osa pas réclamer au moins du roi les réformes suffisantes; et, combinant les habitudes de sa profession avec la disposition prédominante de sou caractère, il édifia les finances sur le crédit, et le crédit sur la confiance inspirée par le ministre. Peut-être espérait-il un temps d'arrêt, pendant lequel il pourrait arriver à quelque chose de mieux; mais il ne l'eut pas; et, de même qu'un malade impatient de guérir s'abandonne à un charlatan, la cour s'en remit aux conseils de Calonne.

Prodigue par nature, par système, par complaisance, Calonne ressemblait à ces négociants qui déploient un luxe éblouissant à la veille d'une banqueroute. Il semblait qu'il se fût proposé d'enivrer la nation par une prospérité fictive, afin de maîtriser les esprits quand viendrait le moment des opinions hardies, à l'aide des- quelles il croyait remettre les finances à flot. Il jeta en conséquence le roi dans une révolution destinée à faire changer la face Assemblée des de l'administration du royaume, en l'amenant à convoquer l'assemblée des notables, pour lui donner communication des mesures crues utiles au bien public. Cette assemblée différait des états généraux en ce que les membres en étaient désignés par le roi; et, quoique représentant les trois ordres, elle n'avait pas le droit d'accorder, mais seulement celui de conseiller. En outre, les représentants du tiers état, en très-petit nombre, étaient tous nobles; et l'on ne pouvait les croire disposés à restreindre les priviléges des classes élevées. Les notables avaient été convoqués par Henri IV, puis par Richelieu; mais ce n'étaient plus les temps du premier, et Calonne était loin de valoir le second.

A la séance d'ouverture de l'assemblée, qui eut lieu à Versailles, le m nistre prononça ces paroles au nom de la couronne : « On a dit jusqu'à présent, Si veut le roi, si veut la loi; on dit aujourd'hui: Si veut le bien public, si veut le roi. » Cette assemblée aurait pu prévenir beaucoup de maux en secondaut les réformes que Louis XVI

acceptait, et en empêchant de nouveaux désordres dans les finances; mais elle nuisit au contraire, en donnant la conviction que les classes privilégiées avaient en haine l'égalité. Au scandale général, la dette se trouva énorme, et le compte rendu parut men. songer; d'où il résulte que le roi avait été trompé ou par Necker ou par Calonne. Ce ministre, obligé de restreindre ses plans, ne proposa que la taxe du papier timbré et une subvention territoriale, impôt direct substitué à d'autres, qui devait être payé en nature, et sans privilége ni exemption.

Ces mesures soulevèrent une opposition acharnée, que leur suscita un personnage puissant.

La maison d'Orléans grandissait en face de la couronne; et le Palais-Royal, autour duquel se pressait la classe bourgeoise, portait ombrage au château de Versailles. C'était la bourgeoisie qui avait soutenu le régent, et elle favorisait alors Louis-Philippe-Joseph, son petit-fils, qui avait rapporté d'Angleterre quelques idées politiques, et encore plus de vices; mais les goûts ignobles auxquels il se livrait ne l'avaient pas empêché d'élever ses vues jusqu'à la reine. Irrité contre la cour et plus particulièrement contre Marie-Antoinette, il se lança, comme son aïeul, dans les spéculations, changeant en bazar le jardin de son palais, qu'il fit entourer de galeries avec des boutiques, afin d'avoir, disait-on, tous les vices pour locataires. Mais il bravait les risées des Parisiens, et s'en dédommageait en noircissant tout ce que faisait la reine, qu'il s'appliquait à rendre odieuse en même temps qu'il tâchait de rendre le roi ridicule. C'étaient de nouveaux plaisirs qu'il cherchait en faisant de l'opposition au gouvernement ; car il aimait la politique comme un amusement, et il ne l'aurait pas affrontée comme un péril. Il s'attirait de la sorte cette popularité qui devait le conduire à l'échafaud, et valoir plus tard le trône à son fils.

L'Angleterre, dont il avait pris les usages, fomentait son mauvais vouloir comme une cause de troubles pour la France, et lui laissait peut-être entrevoir un diadème au fond de tant de changements si peu calculés; ses partisans affichaient de vive voix et par écrit un ardent patriotisme, et la désapprobation incessante des actes de la royauté. Il se fit élire grand maître des francs-maçons, afin de se procurer un nouveau moyen d'influence.

Il était appuyé par la Fayette, qui avait rapporté d'Amérique la réputation de héros libéral, tout en conservant les airs et les manières

aristocratiques; Américain à Versailles, il proclamait, lui marquis, les droits de l'homme, et conservait, au milieu des calculs et de la corruption, cette candeur qu'on n'a qu'une fois. Le peuple, qui voyait en lui le représentant de la liberté et des idées nouvelles, prit parti dans la question de l'assemblée des notables, sifflant les membres favorables au cabinet, applaudissant les opposants. En conséquence, le roi, contraint de se prononcer entre l'assemblée et le ministre, congédia ce dernier. Alors les séances continuèrent sans amener rien d'important, et se terminèrent à l'amiable, c'est-à-dire sans résultat. Cependant le peuple s'était éclairé à ces discussions, et il n'en désirait que plus une représentation véritable.

L'archevêque de Toulouse, que le roi haïssait parce qu'il passait pour athée, fut, par l'influence de la reine, appelé à présider le conseil des finances; et ce prélat, au lieu de porter au parlement toutes les décisions des notables pour les faire enregistrer à la fois, les présenta l'une après l'autre. Alors le parlement, élevant des difficultés, se déclara incompétent pour enregistrer de nouveaux impôts, et prétendit qu'il était nécessaire d'en référer aux états généraux. Puis lorsqu'on eut eu recours au lit de justice (1), il déclara nul tout ce qui y avait été commandé. Ce fut, à vrai dire, le premier jour de la révolution. Louis XVI exila donc le parlement à Troyes. Alors, excité sous main par le duc d'Orléans, soutenu par l'opinion publique et par les nombreux jeunes gens de la bazoche et du barreau, il accusa de despotisme le roi, examina les droits de la couronne, sema parmi le peuple des idées de résistance; et le peuple l'applaudit comme son égide contre le despotisme, le proclamant animé d'un esprit libéral, tandis que ce corps s'opposait à toute réforme. Enfin, après deux mois, on en vint à une capitulation également honteuse pour les deux partis, car le roi renonça à demander l'impôt, et le parlement prolongea la perception du vingtième.

L'archevêque de Toulouse aurait pu détourner l'attention et occuper ailleurs l'ardeur des esprits, en favorisant les patriotes hollandais dans la guerre qui était alors engagée; mesure qui non-seulement aurait été conforme aux idées qu'il avait émises comme chef de l'opposition ainsi qu'à celles du peuple et des gens éclairés, mais qui pouvait en outre restituer à la France l'influence politique qu'elle

(1) Louis XVI l'ouvrit par ces paroles: Messieurs, il n'appartient point à mon parlement de douter de mon pouvoir, ni de celui que je lui ai confié.

avait perdue. Il aurait été appuyé par l'Espagne, l'Autriche, la Russie, entre lesquelles il avait été parlé d'une quadruple alliance, où la France aurait puisé la force dont elle avait tant besoin.

Il n'osa recourir à ce remède héroïque; et la mauvaise réussite des affaires de Hollande fit perdre à la France la considération que lui avaient value, au commencement du règue de Louis XVI, ses succès militaires et diplomatiques. L'orgueil national fut en outre blessé des cris de joie qu'en poussèrent ses ennemis. On avait bien triomphe de l'Angleterre dans la guerre d'Amérique; mais on n'en faisait pas un mérite au cabinet, attendu qu'on savait qu'il avait été poussé malgré lui à jouer le rôle de libérateur.

Tout le monde voyait que la France courait à sa perte, par suite des erreurs continuelles et progressives d'un ministre incapable, des intrigues de la cour et de la faiblesse du roi. Louis XVI annonça, en séance royale, l'intention de convoquer les états généraux, et présenta à l'enregistrement deux édits, dont l'un créait un emprunt de 420 millions à réaliser en quatre années, et dont l'autre rendait les droits civils aux protestants (1), nonobstant l'opposition des notables. Le parlement les enregistra; mais il se rétracta ensuite quand le duc d'Orléans eut protesté. Le roi exila le prince, à qui la persécution donna de l'importance, et que l'on considéra comme « une illustre victime du pouvoir arbitraire; » mais, habitué aux plaisirs et incapable de courage, il négocia bassement son rappel, qu'il obtint, et fit au roi de lâches protestations, sans pour cela suspendre le cours de ses intrigues.

A ce moment le roi, qui n'avait pas su profiter du coup d'État de son prédécesseur, s'apprêta à en frapper un nouveau. Il s'agissait de réduire les membres du parlement à soixante-seize, distribués en six bailliages qui seraient devenus cours d'appel, et d'une cour plénière composée de l'élite du pays, à laquelle auraient été portés pour l'enregistrement les actes de l'autorité royale. L'ordonnance n'était pas encore promulguée, que déjà la corruption en avait fait paraître une copie. On vit alors pleuvoir les protestations; le roi fit arrêter en plein parlement les divulgateurs de la mesure, et ordonna en lit de justice l'enregistrement des édits.

Il décréta ainsi le despotisme, mais sans l'avoir bien combiné, ni s'être assuré des moyens de le soutenir. La noblesse, oubliant

(1) Sauf l'admission aux charges judiciaires et l'enseignement public.

1787.

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