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tions en Amérique, avait atteint le but qu'elle s'était proposé, d'affaiblir la France. Cette puissance, forte par elle-même et par ses nombreuses alliances, perdit le continent américain, et signa la paix la plus humiliante. La Prusse, qui semblait devoir succomber sous les coups de l'Europe conjurée, n'eut pas à regretter un pouce de terre; et, grandie dans l'opinion, elle fut comptée parmi les puissances principales, qui désormais furent au nombre de cinq. L'Autriche, qui voulait avoir la Silésie, resta avec son désir.

L'humanité cite tous ces princes à son tribunal, et leur demande compte de la perte de huit cent quatre-vingt-dix-neuf mille hommes (1); chiffre auquel il faudrait peut-être même ajouter encore.

A partir de ce moment, Frédéric observa d'un œil défiant l'Angleterre, qui, n'étant plus unie avec l'Autriche, mit moins d'activité dans ses intrigues sur le continent, mais déploya son orgueil sur

« Si nous examinons, d'un autre côté, les causes des pertes que les Français firent dans cette guerre, nous observerons la faute qu'ils commirent de se mêler des troubles de l'Allemagne. L'espèce de guerre qu'ils faisaient aux Anglais était maritime; ils prirent le change, et négligèrent cet objet principal pour courir après un objet étranger, qui proprement ne les regardait point. Ils avaient eu jusqu'alors des avantages sur mer comme les Anglais; mais dès que leur attention fut distraite par la guerre de terre ferme, dès que les armées d'Allemagne absorbèrent tous les fonds qu'ils auraient dû employer à augmenter leurs flottes, leur marine vint à manquer des choses nécessaires, et les Anglais gagnèrent un ascendant qui les rendit vainqueurs dans les quatre parties du monde. D'ailleurs, les sommes excessives que Louis XV payait en subsides, et celles que coûtait l'entretien des armées d'Allemagne, sortaient du royaume, ce qui diminua de la moitié la quantité des espèces qui étaient en circulation tant à Paris que dans les provinces; et, pour comble d'humiliation, les généraux dont la cour fit choix pour commander ses armées, et qui se croyaient des Turennes, firent des fautes très-grossières. »

(1) Ce calcul est de Frédéric II, qui l'établit ainsi : Russes, en quatre batailles et dans les marches.

140,000

Autrichiens, en quatre batailles rangées, sans compter les garni

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Prussiens, en seize batailles, sans compter les petits combats..
Hommes qui périrent en Prusse, à la suite des excursions des
Russes. . .

180,000

20,000

Id. dans la Poméranie, dans la Nouvelle-Marche et dans l'électorat de Brandebourg.

6,000 899,000,

les mers, et prétendit y exercer ce droit de visite, dont nous avons indiqué ailleurs les vicissitudes.

Lorsque Frédéric, de retour à Berlin, entendit les applaudissements du peuple, il en fut touché, et s'écria: Vivent mes enfants! vive mon cher peuple! Mais la ville avait été plusieurs fois mise à sac; la jeunesse avait péri; les ennemis avaient pillé pour cinq cent millions de valeurs, et en avaient levé autant en contributions. Il n'y avait plus dans les campagnes désolées ni chevaux ni bœufs. La population se trouvait décimée dans certaines provinces on ne voyait plus que des femmes labourer; dans d'autres, personne ne restait pour travailler à la terre. L'argent avait disparu; les lois étaient oubliées; l'armée restait sans officiers, et l'on y admettait quiconque se présentait, larrons, déserteurs, contumaces.

Le roi s'appliqua à cicatriser ces plaies, et à prévenir le retour de pareils maux. Il indemnisa par des dons les pays qui avaient le plus souffert; et de 1763 à 1786 il affecta à cet usage vingt-qua tre millions d'écus de Prusse, équivalents à cent quatre millions de francs par an. Lors du sac de Berlin, le riche négociant Gotskowski avait déployé un zèle et une charité extrêmes : le roi lui fit don, en conséquence, de cent cinquante mille rixdales; il les employa à établir une manufacture de porcelaine qui fut ensuite achetée par le roi, et devint l'une des plus renommées du pays.

Frédéric mit en état de défense les forts de la Silésie; ouvrit le port de Stettin et le canal de la Swina, au bord duquel s'éleva une ville. Il abrégea, au moyen du canal de Plauen, la communication entre l'Elbe et l'Oder; un autre canal allant de Custrin à Wrietzen lui servit à dessécher, le long de l'Oder, de vastes terrains, qui se peuplèrent de deux mille familles.

Il introduisit le mûrier et les fabriques d'étoffes de soie, tira des mérinos de l'Espagne pour améliorer les troupeaux, et appela dans ses États des ouvriers en laine : c'étaient des opérations contre nature, où se montrait une bonne intention, quoiqu'elle fût inconsidérée. Il établit des forges dans les lieux où se trouvait du minerai. Dans les onze années qui suivirent 1747, le nombre des villages s'accrut de deux cent quatre-vingts; et en quarante ans la population augmenta d'un million cent vingt mille âmes, c'est-à-dire d'un tiers. On aime à voir ces améliorations racontées par Frédéric, avec non moins de complaisance que d'autres

et lui-même racontent les meurtres et les fourberies des rois. La jurisprudence avait été jusque-là un mélange de droit romain et canonique, de coutumes saxonnes et germaniques; et de là résultait le manque de principes généraux et l'incertitude des applications. Afin d'y remédier on multipliait les édits, qui produisaient de l'embarras et des contradictions. Frédéric fit paraître d'abord un projet de code de procédure, sur lequel les meilleurs jurisconsultes eurent à donner leur avis après une année de pratique. Il fut suivi du projet du Corpus juris Fridericiani; fondé sur le droit romain. Tous deux étaient l'ouvrage du grand chancelier Samuel Coccéius, qui introduisit l'ordre et la régularité dans les procédures, supprima plusieurs abus honteux, hâta la décision des affaires, et ordonna tous les trois ans une visite des cours de justice pour châtier les prévarications. Sa mort interrompit la tâche qu'il avait entreprise; puis Cramer et Suarez réformèrent le code, d'après l'avis des légistes les plus habiles; mais des inconvénients nombreux déterminèrent à le laisser de côté. L'atrocité des peines était mitigée; mais ce fut une nouvelle manière de les aggraver, que d'interdire au condamné l'assistance d'un prêtre et les secours de la religion. Les avocats étaient abolis, et les parties obligées de plaider en personne. La procédure inquisitoriale était conservée; mais Frédéric se réservait le droit de réformer les sentences.

Cette réserve suffirait pour révéler ses intentions despotiques. Du reste, il n'entendait rien à la légalité ni aux minuties juridiques. Il traitait les juges d'ânes, et les déposait; il envoyait des officiers examiner des procès étrangers à leurs connaissances; et, voyant les objections des jurisconsultes, leurs lenteurs, il supposa une conjuration organisée entre eux, et les prit en exécration. Un meunier, nommé Arnold, lui présente une réclamation contre une sentence qu'il prétendait injuste, et il condamne les juges à la prison. Mais lorsqu'après le procès qui leur est intenté ils sont déclarés innocents, il n'en reste que plus persuadé de l'existence d'une conjuration générale; et il fait arrêter d'autres magistrats, jusqu'à ce qu'il en vienne à toucher du doigt l'erreur où il est tombé.

Il en revint alors à la pensée d'un code en allemand, que Cramer fut chargé de rédiger avec un règlement de procédure expéditive; et il promit des récompenses à ceux qui indiqueraient des améliorations opportunes. Cramer tendait à l'unité; mais il recon

nut que l'abolition subite des coutumes était un tort (1). On ordonna donc de les recueillir, afin de faire un choix parmi les meilleures, et de laisser subsister celles-ci comme code provincial, par exception à la loi générale. Frédéric ne vit pas l'œuvre accomplie le code ne fut mis en vigueur qu'en 1795; mais l'art. 1er de l'introduction maintint force de loi aux statuts locaux ; et c'était seulement à leur défaut que l'on devait recourir à la loi générale.

En résumé, il ne semble pas que les philosophes aient beaucoup à se vanter de cet adepte. Sa politique fut celle d'un despote sans foi et sans remords, qui se hâta de faire oublier son Anti-Machiavel. Il crut, comme eux, que l'amour de la vérité consistait à décomposer et à ne pas croire. Il déploya, dans sa correspondance particulière, un mépris cynique pour toute croyance; mais il appliquait l'égoïsme de cette école à ses intérêts de roi, et il disait: Si je voulais châtier une de mes provinces, je la donnerais à gouverner à un philosophe. Il applaudissait lorsqu'on lui suggérait l'idée de donner un démenti au Christ en rétablissant le royaume de Jérusalem, mais il n'en faisait rien ; et quand Voltaire lui conseillait d'ouvrir dans ses États un asile aux philosophes de France: Oui, répondait-il, pourvu qu'ils respectent ce qui doit être respecté, et observent la décence dans leurs écrits. C'est-à-dire qu'il aimait la liberté, tant qu'elle ne portait pas atteinte à ses droits.

1726.

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Le duc de Bourbon, ministre de Louis XV, était haï du peuple non moins que du roi, qui finit par le congédier, et lui substitua Fleury, seul honnête homme et seul désintéressé dans cette cour dépravée.

Lorsqu'il arriva au ministère, il trouva les finances épuisées,

(1) Mirabeau s'exprime ainsi : « Le code Frédéric est une analyse des lois romaines, appropriées aux coutumes prussiennes par un jurisconsulte qui, prenant l'érudition pour la science, comme tant d'autres, et les lois positives pour la sagesse, avait établi dans un gros livre qu'il ne peut y avoir de droit naturel bien fondé sans puiser au droit civil romain. Il en résulta un amas inextricable de difficultés et d'incertitudes, qui obligèrent Frédéric à le laisser oublier. »

le commerce languissant, le crédit nul, le roi sans opinion, une immense corruption de mœurs; au dehors une guerre périlleuse, au dedans les querelles du jansénisme ressuscitées. Plein d'une urbanité digne, et proportionnée à la condition de chacun ; de mœurs pures; maître de ses passions, religieux sans hypocrisie, économe sans grandeur; administrant le royaume comme une famille, et ménageant, comme dit Saint-Simon, jusqu'aux bouts de chandelle; prudent sans génie, ennemi de tout luxe, même de celui de l'esprit, il ne peut être comparé ni à Richelieu ni à Mazarin; mais, arrivé aux affaires après une série de ministres dilapidateurs, il y consuma une partie de sa fortune. Son ministère peut être comparé à la léthargie qu'un médecin procure à un malade en danger, afin de réparer ses forces et de le mettre en état de soutenir un nouvel accès du mal. Il aimait le pouvoir comme l'avare aime l'or, sans en rechercher les avantages extérieurs et les jouissances. Il sut obtenir beaucoup avec des ressources restreintes, conserva la paix par économie, en diminuant l'armée, et accrut cependant l'influence française. Il éloigna les voleurs et les intrigants, quoiqu'il ne sût pas se mettre en garde contre les préventions et les délateurs; enfin il tenait du courtisan, en ce qu'il ignorait la reconnaissance.

Les grands et les petits lui obéirent avec moins de difficulté qu'à Louis XIV, et il inspira au roi, son élève, une idée absolue du pouvoir royal, l'art de dissimuler, et le désir de la paix à tout prix. Pour la conserver il caressait les Anglais, et il alla jusqu'à laisser dépérir la marine, afin de ne pas leur causer d'ombrage. Aussi était-il appelé à prononcer comme arbitre dans les querelles des rois. Il apaisa les troubles civils de Genève et d'autres cantons suisses; il aplanit les difficultés que Clément XII apportait à reconnaître le roi de Naples; puis, lors de la guerre de Pologne, il acquit à la France la Lorraine, qui lui était devenue nécessaire depuis la conquête de l'Alsace, et mettait Paris à couvert d'une surprise.

La France acquit aussi dans ce siècle la Corse, qui plus tard devait lui donner un maître. Les Corses n'avaient jamais pu se faire au joug génois, et plusieurs fois ils s'étaient levés en armes contre la république. Nation sauvage, et tellement adonnée à l'oisiveté, qu'il fallait que l'Italie et la Sardaigne lui fournissent des cultivateurs, la vengeance était pour elle un devoir, et l'on en poursuivait avec opiniâtreté l'accomplissement sur des familles entières; il se

T. XVII.

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