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de la pensée, acquit aussi alors une déplorable célébrité. Il en fut de même d'Étienne Zannowic, joueur de profession et escroc, qui se disait descendant de Scanderbeg, et prince d'Albanie; il publia divers écrits en italien et en français, trouva des dupes dans le Levant, en Allemagne, dans les Pays-Bas, et tira de grosses sommes de différentes cours et des négociants hollandais. Arrêté enfin pour dettes et pour escroqueries à Amsterdam, où il était venu réclamer un million pour de prétendus services, il se tua, pour échapper au gibet (1786).

Nous pourrions allonger cette liste sans même recourir au roi Théodore. Nous avons déjà parlé du docteur Mesmer, qui arriva à Paris quand la curiosité n'avait plus pour se repaître les affaires publiques, qui se traînaient languissamment, ni les querelles, désormais assoupies, des molinistes et des jansénistes. Les découvertes de la science habituaient les hommes à ne rien croire impossible; et la manie de tout savoir faisait que l'on confondait le chimiste avec le marchand de drogues, le physicien avec l'escamoteur. Ceux-là donc qui d'abord avaient hésité à croire aux phénomènes électriques, acceptaient, une fois convaincus de leur réalité, toutes les exagérations des charlatans. Ceux qui avaient ri des convulsionnaires de Saint-Médard prêtèrent foi à Mesmer, qui transformait les hommes en une machine électrique parfaite, où ce que l'an avait de trop passait dans l'autre, et produisait non-seulement la santé, máis la science. Des médecins comme des philosophes, la Fayette comme Bergasse, l'intrépide parlementaire d'Éprémesnil comme le naturaliste Jussieu, lui accordèrent croyance. Les décisions contraires de l'Académie ne dissipèrent pas l'illusion. Le roi lui fit offrir vingt mille francs de rente viagère et un traitement,

liqueur magique, à l'aide de laquelle on pouvait se rajeunir. Pour lui en donner la preuve, il lui amena une jeune fille des rues, travestie en vieille; puis l'ayant fait se coucher, après lui avoir donné de sa liqueur, il la lui présenta fraiche et revenue à dix-huit ans. La vieille dame lui montra alors des trésors, et les lui offrit pour obtenir un pareil effet sur elle-même. Casanova la mit au lit, lui fit prendre un somnifère puissant; et après l'avoir ainsi endormie, il lai vola tout ce qu'il lui plut d'emporter en or et en pierreries. Il remit le tout, dit-il, à un valet de confiance qui l'attendait à la porte, avec ordre d'aller l'attendre à une auberge non loin de Paris, tandis qu'il allait porter cinquante louis à la prostituée, sa complice. Cette fille reçut le prix de son escroquerie; mais Casanova ne retrouva plus son valet, et resta sans un sou vaillant; dupé lui-même grossièrement, après avoir trompé par une longue astuce.

pour instituer une clinique magnétique; mais il ne trouva pas l'offre suffisante, et une souscription ouverte en sa faveur parmi ceux qu'il avait guéris lui rapporta trois cent quarante mille livres.

1743-1795.

Le comte de Cagliostro mit à profit tous ces artifices de char- Cagliostro. latans et de savants. C'était, dit-on, un nommé Joseph Balsamo, de Palerme, qui commença ses escroqueries en attrapant soixante onces d'or à un orfévre, à qui il avait promis de lui faire trouver un trésor. Il voyagea dans plusieurs pays, se donna pour en avoir parcouru un plus grand nombre encore, changeant de nom, cherchant à se procurer de l'argent avec des préparations chimiques, avec des jongleries, à l'aide du jeu, et en prostituant sa femme. Il fut reçu en triomphe à Strasbourg (1780), et se montra digne de cet accueil par des actes de bienfaisance, assistant les malades sans vouloir accepter de payement, affable avec les pauvres, plein de morgue avec les riches, qui sollicitaient en foule ses avis. S'étant ensuite installé à Paris, indépendamment du traitement des malades, il se livrait à l'art des évocations, et faisait apparaître les ombres d'anciens personnages, avec une telle habileté que le naturaliste Ramond, qui n'était rien moins qu'un sot, resta persuadé de sa puissance magique. Ayant fini par se rendre à Rome, il y fut arrêté avec sa femme, comme prévenu de franc-maçonnerie et d'escroquerie; et la peine de mort prononcée contre lui fut commuée en un emprisonnement perpétuel.

Pendant son séjour à Paris, dans l'éclat de sa réputation, il s'était introduit dans l'intimité de Louis de Rohan, grand aumônier de France, qui, comblé de dignités et de richesses, traînait un grand nom déshonoré. Débauché, vaniteux, léger, il avait été ambassadeur à Vienne, où il n'entretenait les gens de sa maison qu'en leur laissant faire la contrebande. Criblé de dettes, engagé dans d'ignobles intrigues et perdu de réputation, il n'en fut pas moins fait cardinal, attendu qu'il était d'une maison princière. Il ne savait pas, disait-il, comment un galant homme pouvait vivre à moins de douze cent mille livres de rente. Comme il entendait parler d'une énorme faillite Il n'est permis, s'écria-t-il, d'en faire d'aussi grosses qu'au roi et aux Rohans.

:

Son ambition d'homme à bonnes fortunes et de grand seigneur était irritée de n'avoir pu jusque-là se concilier les bonnes grâces de Marie-Antoinette, et d'autant plus qu'il la considérait comme un obstacle à son élévation au poste de premier ministre. Or, Ca

Affaire du

collier.

1785.

gliostro lui persuada qu'il était en son pouvoir, au moyen de procédés occultes, d'inspirer pour lui à la reine une vive passion; et il ourdit sa trame avec la comtesse de la Mothe, descendante des Valois, qui, pauvre et séduisante, était corrompue jusqu'au fond de l'âme.

Louis XV avait commandé à Böhmer, joaillier de la cour, un magnifique collier, de la valeur de deux millions, pour la du Barry. Mais le vieux roi étant mort sur ces entrefaites, Böhmer offrit cette parure à Marie-Antoinette pour 1,600,000 livres. Louis XVI s'effraya de la dépense, et eut le courage de se refuser à cette acquisition; mais Marie-Antoinette n'eut pas celui d'y renoncer.

Madame de la Mothe vint trouver le cardinal de Rohan, pour le prier, de la part de la reine, disait-elle, de rendre un grand service à sa majesté, en lui promettant en retour toute sa faveur. Il s'agissait d'acheter le collier désiré, qu'elle se réservait de payer ensuite à sa commodité; et elle lui remit, eu preuve de sa mission, un billet signé de la main royale (1). Le prélat se trouva flatté dans sa vanité et dans sa convoitise lascive; on amena une fille publique nommée Oliva, qui avait dans ses traits, et dans sa taille surtout, beaucoup de ressemblance avec la reine, à se faire passer pour elle dans un rendez-vous nocturne, dans un bosquet de Versailles. Le collier fut acheté et remis à madame de la Mothe pour le porter à la reine; mais elle partit pour Londres, où elle le vendit. Lorsque le premier terme fixé pour le payement fut échu, le joaillier s'adressa au cardinal, qui, n'ayant pas les 400,000 livres nécessaires, l'invita à en dire un mot à la reine. Il en résulta une explication qui révéla les circonstances du marché, et les coupables espérances du cardinal. Le roi, au lieu de les couvrir d'un voile, céda à son ressentiment, et livra à la publicité ce qui était un scandale domestique. Le cardinal de Rohan fut arrêté, revêtu de ses habits pontificaux, au moment où il se préparait à dire la messe à l'Assomption, et conduit à la Bastille; la comtesse de la Mothe fut appréhendée au corps, et le procès déféré au parlement.

La société s'émut à ces scandales inouïs. C'était un cardinal traîné en jugement entre un charlatan et une coureuse; c'était une reine mêlée à de sales manoeuvres; enfin c'était le roi qui ébranlait

(1) Il était signé Marie-Antoinette de France, titre qui n'appartenait pas à la reine, princesse autrichienne.

lui-même les bases d'un trône attaqué depuis de longues années, c'est-à-dire les priviléges de la noblesse et du clergé; bien plus, il introduisit le regard malin du public dans les secrets de sa couche, et offrit au parlement une occasion de satisfaire sa longue rancune en remuant cet ignoble bourbier.

Le cardinal n'ayant pas excipé de l'incompétence de la juridiction, le parlement, après six mois du procès le plus inconvenant, le renvoya absous, ainsi que Cagliostro. Cependant le cardinal reçut du roi l'ordre de se démettre des fonctions de grand aumônier, et de se retirer dans l'abbaye de la Chaise-Dieu. Mais Cagliostro et lui obtinrent du public des ovations qui étaient autant d'insultes pour la reine, comme s'il eût vu en eux deux victimes des intrigues de l'odieuse Autrichienne. La comtesse de la Mothe fut condamnée à faire amende honorable, la corde au cou ; à être fouettée, marquée, et renfermée à la Salpêtrière pour le reste de ses jours. Mais, ayant réussi à s'enfuir, elle publia un mémoire, où elle traînait dans la boue le nom de Marie-Antoinette.

CHAPITRE XXXVII.

PRÉLUDES DE LA RÉVOLUTION.

Comme les autres gouvernements de l'Europe, celui de la France était sorti de la conquête et de la féodalité. Quelques seigneurs, égaux entre eux et indépendants, s'étaient imposés comme maîtres à un peuple vaincu et réduit à une condition servile, en s'appropriant, du droit du glaive, la guerre, la juridiction et le territoire. Nous avons rapporté les longues vicissitudes à la suite desquelles la richesse mobilière réagit sous cette oppression armée, et le soulèvement des communes, où l'industriel et le marchand rentrèrent dans les droits d'homme et de citoyen. Mais il faut beaucoup de temps avant que la force résigne ses priviléges aux mains de la justice. et de la raison les habitudes de la violence et de l'inégalité s'opposent à un ordre uniforme; aussi la lutte du privilége contre la liberté ou de la force contre la justice se prolongea-t-elle durant des siècles.

Cependant, parmi ces feudataires, un plus heureux était parvenu à assujettir les autres; ses successeurs donnèrent peu à peu l'unité

Le roi.

au territoire français, et étendirent sur tout le pays la force publique, représentée par le nom du roi. Cette œuvre s'étant poursuivie à de longs intervalles et par des moyens divers, il en était résulté une très-grande variété de priviléges, de barrières, de droits, de ville à ville, de province à province; et tout se fondait sur des coutumes, sans jamais devenir loi générale et constitution.

Deux rois, l'un rusé, en employant l'astuce et la violence, l'autre magnifique, en éblouissant par sa splendeur, purent concentrer en eux toute la monarchie. Avec Henri IV elle était devenue non plus le fait, mais la base de la société ; le municipalisme avait cessé, la noblesse guerrière s'était changée en noblesse de cour. Louis XIV, après avoir employé d'abord l'autorité pour établir l'ordre, puis l'ordre pour établir l'absolutisme, put s'écrier: L'Etat, c'est moi. En effet, légalement rien ne s'opposait plus au bon plaisir du roi, qui faisait la guerre pour un caprice, des ligues par vanité de ministres, et qui suspendait ses victoires en Hollande pour faire visite à une maîtresse.

Mais si les masses avaient gagné à ce que les rois de France eussent enlevé l'autorité aux feudataires, la concentration de l'autorité en eux seuls tournait à leur désavantage; c'était comme si un juge eût retenu le fruit d'un larcin, au lieu de le restituer au propriétaire volé. La monarchie, séparée de la noblesse et du clergé, ne représentant plus, depuis Louis XIV, les intérêts des peuples, ne cherchait désormais qu'à se fortifier; elle achetait des serviteurs, mais n'avait pas d'amis; et tous ses efforts se réduisaient à se procurer de l'argent, des soldats, et un pouvoir arbitraire.

L'administration tendait de plus en plus à devenir despotique, et à exclure les seigneurs de toute ingérence dans l'assiette et la répartition des impôts, même dans les pays d'élection. Les finances étant devenues l'art suprême, il fallait s'en assurer le produit par des moyens énergiques on les affermait en conséquence à des capitalistes nommés fermiers généraux, dont le pouvoir était sans frein. Les lettres de cachet détruisaient toute sûreté individuelle on pouvait avec un de ces ordres, souvent délivrés en blanc, envoyer Voltaire à la Bastille, retenir Maurepas en exil pendant vingt-cinq ans, se débarrasser d'un mari jaloux ou d'un rival heureux; celui qui en était atteint n'avait pas à s'informer des motifs l'unique raison alléguée était la volonté du roi, qui le plus souvent ignorait l'acte exécuté en son nom.

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