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ils y suppléent par la variété des développements accessoires et par la richesse des détails. Son dialogue est bien loin d'avoir ce mouvement facile qu'on remarque chez les Grecs, et cet abandon qui tient de la nature. On cherche dans ses pièces des personnages réels, et l'on trouve constamment l'auteur.

Alfieri changea par trois fois de manière, ce qui indique qu'il n'avait pas bien arrêté la route à suivre. Mais pour lui le mérite consiste à se conformer à toutes les règles, et non à faire de la tragédie la représentation d'une époque ou des progrès d'une passion; aussi les jugements que portent sur ses ouvrages quelques critiques (1) et lui-même ne vont-ils pas au delà de l'art. Ses réformes sont purement négatives; elles se bornent à n'avoir pas eu recours aux confidents, aux ombres visibles, aux tonnerres et aux éclairs, aux reconnaissances à l'aide de billets, de croix, d'épées, et des autres petits moyens habituels. « Celui qui a observé la « charpente de l'une de mes tragédies, dit-il, les connaît presque « toutes. Le premier acte est très-court, le principal personnage «ne paraît le plus souvent en scène qu'au second; au troisième <«< acte aucun incident, beaucoup de dialogue sans importance; le quatrième acte, des vides çà et là dans l'action, que l'auteur « croit avoir remplis et dissimulés par une certaine passion de dialogue; des cinquièmes actes extrêmement courts, très-rapides, « et le plus souvent tout en action et en spectacle; les mourants parlent très-brièvement. Voilà en raccourci la marche très-sem<< blable de toutes ces tragédies. »>

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En effet, il en fit des squelettes. Jamais il ne peint, jamais il ne s'écarte de l'unité rigoureuse d'action: entraîné qu'il est par l'amour du beau, il ne comprend pas qu'on puisse s'y conformer en faisant converger des sentiments multiples. Une fois le but fixé, il y marche tout droit, sans cueillir une fleur sur sa route (2); de là son innovation, qui consiste à écarter les accessoires de la tragé

(1) On peut encore, dans le nombre, lire Capacelli, qui avait l'entente de la scène, et le Livournais Casalbigi, qui connaissait les théâtres grec, anglais et français, sans pour cela s'élever à des vues générales. Alfieri s'aida de leurs conseils.

(2) « Ma manière dans cet art ( et souvent ma nature l'exige impérieusement malgré moi) est de marcher toujours à grands pas, autant que je le puis, vers le dénoûment. Aussi tout ce qui n'est pas très-nécessaire, lors même qu'il en pourrait résulter un très-grand effet, je ne saurais absolument l'admettre. »

die française, mais sans rien mettre à la place. Il bannit les confidents (1) et les acteurs secondaires, qui agissent par dévouement envers les principaux personnages, plutôt que par sentiment propre; mais ses personnages font leurs confidences au public. Réduits à un si petit nombre (2) et sans aucun épisode, ils sont con. traints de devenir verbeux, de s'analyser eux-mêmes, et de révéler leurs propres sentiments, même ceux qui ont le plus de dissimulation.

Alfieri avait trop peu d'érudition pour s'identifier avec une époque, et pour la reproduire; il avait trop de fierté et de roideur pour se plier au caractère des temps et des hommes, aux métamorphoses qui sont nécessaires au poëte dramatique. Il refait à sa ma. nière les événements et les personnages, en leur imprimant un cachet uniforme d'après des abstractions et sans nuances. Comment l'intérêt qui ne résulte que de la lutte peut-il s'arrêter sur cette Rosemonde, qu'aucun crime, aucun sentiment de honte ne retient dans ses passions farouches ? Les déclamations de la Conjuration des Pazzi, dont le but, alors vulgaire, est de dénigrer les papes, disent bien moins que l'histoire de cet événement dans sa nudité. De même que le lieu de la scène est tellement indéterminé dans ses pièces, qu'on neut croire qu'elle se passe tantôt sur une place publique, tantôt dans un cabinet isolé ; les teintes qu'il emploie sont génériques, et Cosme ne diffère point de Créon, ni les Pazzi d'Antigone ou de Michol. Néron, qui, selon Tacite, paraissait créé pour cacher la haine sous le voile des caresses, est chez lui toujours menaçant et furieux. Sa concision même est une autre infidélité; car elle est la même dans la bouche du taciturne Philippe et dans celle de Sénèque, le philosophe discoureur.

D'ailleurs combien le monde qu'il décrit est horrible! toujours des catastrophes effrayantes, des tyrans qui n'ont pas leurs pareils dans les enfers, des scélérats qui se donnent pour ce qu'ils sont.

La fatalité seule, c'est-à-dire, la punition irrésistible d'un dieu, peut rendre tolérable sur la scène grecque quelques faits que repousse le théâtre moderne, comme une fille éprise de son père.

(1) Il y a deux confidents dans le Philippe II, et ils y figurent à merveille. (2) La parodie la plus spirituelle d'Alfieri est le Socrate, tragédie une, du Napolitain Gaspard Molo, qui réduit tous les personnages à un seul, et le discours à un laconisme des plus durs.

Quant à la tragédie romaine, bien qu'Alfieri ait osé introduire le peuple dans Virginie et dans les deux Brutus, il a dû recourir à des passions personnelles et exagérées, pour exciter cet intérêt qu'il ne savait pas tirer du mouvement public. S'il s'avoue incapable de traiter les sujets modernes, c'est qu'il y a dans ces sujets nécessité de sortir de ces généralités que l'éloignement permet dans les sujets anciens. Le Saül est peut-être son chef-d'œuvre, parce qu'il ne dédaigna pas de descendre, dans cette composition, à des particularités toutes spéciales au peuple hébreu.

Mais on doit savoir gré à Alfieri d'avoir perpétuellement parlé de l'Italie, aidant ainsi à maintenir son nom vivant quand tout le reste avait péri, et d'avoir voulu se servir de la tragédie pour inspirer des sentiments magnanimes. Mais, par malheur, méprisant son siècle, il eut recours au passé, et fomenta les haines, qui jamais ne sont fécondes, sans connaître les progrès ni les besoins de la société moderne. Il fait détester la servitude, sans faire aimer la liberté; il dessèche toute sensibilité, à l'exception de l'horreur pour les tyrans, sur lesquels il concentre l'attention, en dédaignant le peuple. C'est ainsi qu'il donna à l'Italie un théâtre neuf, mais non pas national.

Il voulut mettre la politique en scène dans les comédies qu'il inti. tula l'Un, les Peu, les Trop, l'Antidote, et où c'est une innovation que de montrer les héros sous leur côté prosaïque. Dans la Tyrannie, exagération des exagérations de Rousseau, il soutient l'ancienne liberté, fait la guerre aux arts et à l'industrie; les peuples chrétiens sont, selon lui, plus esclaves que les Orientaux ; et, afin de vaincre les tyrans, il enseigne qu'il faut s'entendre tous pour ne pas obéir; comme si, lorsque tout le monde est d'accord, la tyrannie restait possible (1). Dans le Prince et les lettres, il montre combien la protection est funeste à celles-ci, et nie que la faveur royale produise des hommes de mérite. Il lance aussi, dans ses nombreuses poésies, un grand nombre de traits contre les puissances. Dans l'Étrurie, il exalte Lorenzino de Médicis; il épanche dans ses satires un orgueil misanthropique, et il plaît toujours, parce qu'il a ce qui manque à ses contemporains, la passion. Quand vint la révolution, il ne la comprit pas comte, il était dégoûté de cette domination des avocats;

(1) Cette idée était déjà apparue au bouffon de Philippe If, quand il lui demandait : Que ferait ta majesté si quand tu dis oui tout le monde disait

non?

il injuria bassement les Français; et il croyait si fermement qu'il s'agissait d'un orage passager, qu'il dédia à la postérité quelquesunes de ses tragédies, et qu'il faisait, au début de cet immense mouvement, une édition de ses ouvrages avec une date plus éloignée; tant il était loin de penser qu'il pût en résulter pour lui aucune leçon !

Le manque d'énergie qui caractérise ce temps frappa aussi Alphonse Varano, qui, voulant revenir aux idées de Dante comme à sa vigueur, composa les tragédies de Sainte-Agnès, de Démétrius, de Jean de Giscala, dont la conception est assez hardie et le style riche. Les Visions le firent appeler par un siècle facile le Dante ressuscité; mais, outre la monotonie de la pensée, il déploie une dignité affectée, et ses peintures prolongées ne sont pas du tout dans la manière du grand poëte florentin.

Bien plus hardi, l'abbé Melchior Cesarotti osa entrer en lutte avec ce qu'il y a de plus illustre, et crut que la victoire lui restait. Il infusa le goût français aux cercles vénitiens, qui, de même que ceux de Paris, s'arrangeaient fort d'une instruction facile, et il se fit chef d'école en imitant. D'un esprit très-cultivé, et connaissant plusieurs langues, il rédigea des rapports académiques sans être ennuyeux, et jugea avec goût ses contemporains; mais, insensible aux beautés naïves et à la vigueur d'une littérature primitive, il traduisit Démosthène en l'habillant à la mode du siècle, en le gâtant même par une affectation pédantesque, lui qui pourtant la détestait. Non content d'avoir boursouflé les formes austères d'Homère en le traduisant dans une poésie fastueuse, il voulut le refaire, et enfanta une Mort d'Hector, où il réduit le Méonide aux proportions que voudraient lui imposer les écoles. Car ses censures, aussi frivoles que celles de la Motte, proviennent de ce qu'il l'envisage du côté le moins philosophique; c'est-à-dire que, ne concevant dans la civilisation que le raffinement, il en mutile les hardiesses, rend les dieux dignes, les hommes raisonnables, substitue la politesse à l'éloquence, l'étiquette à l'imagination, et revêt le colosse du justaucorps et de la perruque de son temps.

Cesarotti réussit mieux avec Ossian; car il put s'émanciper impunément avec ce barde, et orner à sa manière les conceptions médiocres de cet Écossais, que les contemporains abusés mettaient au-dessus d'Homère et d'Isaïe. Cesarotti, multipliant les comparaisons entre le barde calédonien et le chantre d'Achille,

Cesarotti. 1730-1808.

Langue ita

ljence.

donne aussi presque toujours la palme au premier; mais les étrangers eux-mêmes avouent qu'il vaut beaucoup mieux dans la version italienne que dans les fragments postiches de Macpherson. L'Italie en rafola; et ses muses, tournant le dos à l'Olympe, à l'Hymen et aux Grâces, ne chantèrent plus que le brouillard, les ombres, les sapins, les harpes agitées par le vent, et les mélancolies fantastiques (1).

La langue était peu et mal étudiée : la Crusca s'endormait; quelques pédants continuaient le frivole et facile travail de feuilleter les auteurs classiques pour s'enrichir. Alberti de Villanova conçut la pensée d'un nouveau dictionnaire, et réussit moins mal que l'Académie, parce qu'il fut seul à s'en occuper. Ces exagérations qui faisaient prétendre, d'une part, que la pureté consiste uniquement dans les expressions enregistrées, et refuser, de l'autre, au dialecte le plus beau le droit de langue nationale, divisaient les écrivains en pédants, comme Corticelli, Vanetti, Branda, Bandiera ; et en libertins, tels que la plupart des Lombards, les traducteurs et les écrivains de sciences (2), qui répétaient des choses, des choses, comme si les choses pouvaient se dire sans les mots, ou les pensées s'exprimer sans langue.

Napione, homme érudit s'il en fut, détourna, dans l'Usage et les qualités de la langue italienne, d'écrire latin et français comme faisaient les Piémontais, ses compatriotes; et il traça des règles qui parurent relâchées à Cesari, rigoureuses à Cesarotti. Ce dernier voulut réduire en théorie sa pratique propre, dans l'Essai sur la philosophie des langues. Il applique à l'italien les doctrines

(1) Le chef-d'œuvre de l'ossianisme fut la Naissance du Christ, par Pélerin Gaudenzi, qui fut portée aux nues, et donnée comme modèle aux jeunes gens.

(2) On lit dans un des premiers numéros du Café : « Comme les auteurs du Café sont extrêmement portés à préférer les idées aux paroles, et très-ennemis de toute entrave injuste que l'on voudrait imposer à l'honnête liberté de leurs pensées et de leur raison, ils ont pris le parti de faire dans les formes une renonciation solennelle à la pureté du langage toscan. »

Alexandre Verri, l'un des rédacteurs, se dédit ensuite dans la traduction de Xénophon : « Il n'est certainement pas de signe plus manifeste d'un esprit servile, que de contrefaire les mœurs, les façons, les opinions, la langue d'autrui. C'est pourquoi nos gens de lettres se plaignent longuement, mais sans aucun profit, que notre langue est gàtée désormais par le mélange qu'on en fait avec sa sœur la plus voisine. Un dialecte étrange composé des deux langues, nonseulement se parle, mais s'écrit même, etc. »>

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