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Louis Riccoboni, de Modène, fit représenter de bonnes compositions à Venise, où il dirigeait une troupe de comédiens; et il fit connaître les Français, de même qu'il donna aux Français une idée des mœurs italiennes. Le Piémontais Camille Federici produisit, à l'imitation de Kotzebue, modèle malheureux, une foule de comédies d'une intrigue compliquée, où l'on ne trouve ni vivacité, ni peinture de caractère, ni facilité dans le dialogue, mais des personnages larmoyants et un style déclamatoire.

Le duc de Parme ouvrit, en 1770, un concours annuel pour les productions théâtrales. Cette pensée lui avait été suggérée par Albergati Capacelli, méchant homme, esprit flexible et ingénieux, qui avait de bonnes idées sur l'art, et qui fut l'un des fondateurs d'un théâtre à Bologne, destiné à servir de modèle aux acteurs salariés. On trouve dans ses compositions de la conduite et de la moralité; mais elles n'offrent point de naturel dans les physionomies ni de rapidité dans le dialogue. Un des prix du concours de Parmé fut décerné au Napolitain Pierre Napoli Signorelli, qui écrivit aussi une histoire critique des théâtres, dénuée de goût, avec cette vanité de pays que l'on appelle du patriotisme. Avelloni, qui pilla l'esprit de Beaumarchais et d'autres encore, fait lancer contre la classe moyenne des traits satiriques par des valets et des gens de bas étage; il y a toutefois de la verve dans le dialogue, et même de la vérité dans ces caractères, qu'il put observer par lui-même.

Les autres parties de l'art dramatique n'étaient pas plus brillantes; ce qui faisait dire à Voltaire: Les beaux théâtres sont en Italie, les beaux drames en France. Après Rinuccini, le drame se plongea dans le merveilleux et dans l'inconvenance. L'Enlèvement de Céphale par Chiabrera, pour ne pas citer les mauvais dramaturges, est un fatras de mythologie et d'allégories, où l'on voit parler l'Océan, le Soleil, la Nuit, les signes du zodiaque, et où l'on saute de la terre au ciel, de l'air dans la mer. Il y a dans le Darius de François Beverini quatorze changements de décorations dans trois actes, avec camp, machines, éléphants, cavalerie et infanterie. Il se trouvait alors, pour satisfaire à ce goût de coups de théâtre, des machinistes fort habiles, surtout près des cours de Florence et de

pas considérées telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais telles que chacun les voudrait. Si un homme de lettres vit séparé du commun des hommes, c'est un sauvage, un ingrat; s'il fréquente les réunions nombreuses, c'est un paresseux qui fonde son crédit sur le préjugé du monde. » Poeta, II, 2.

Métastase.

Turin. On représenta à Venise, en 1675, la Division du monde, où
l'on vit paraître toutes les parties de la terre avec leurs symboles,
à l'aide de mécanismes merveilleux. Nous ne parlons point des
inconvenances historiques et morales, attendu que personne ne
faisait attention aux paroles. Tantôt Persépolis sautait en l'air par
l'explosion d'une mine; tantôt un globe se présentait devant César
dans la ville d'Utique, sans qu'on vit comment il était mû, et il se
brisait en trois parties; souvent on voyait apparaître en l'air des
anagrammes enflammés, des jeux de mots, des devises; puis arri-
vaient des Amours sans voiles, à grand renfort de musique, le tout
accompagné des métaphores à la mode.

Cependant la musique, en se perfectionnant, contribua à amé-
liorer les compositions. On commença à faire parler les héros
avec moins d'affectation et de puérilité; les sujets historiques
remplacèrent ceux de pure imagination, et l'on sépara le sérieux
du bouffon. Le nombre des actes fut réduit de cinq à trois; on
supprima les prologues; les airs furent relégués à la fin de la
scène, et l'on devint économe de décorations. Cette réforme fut
due en partie à Silvio Stampiglia, de Rome, mais plus encore à
Apostolo Zéno, Vénitien très-érudit. Il rédigea longtemps le Jour-
nal des lettrés d'Italie, auquel travaillèrent Maffei, Vallisnieri,
et d'autres encore; corrigea et termina l'ouvrage de Vo sius,
De historicis latinis; commenta la Bibliothèque de l'éloquence
italienne, par Fontanini, écrivain mordant qu'il ne ménagea pas
assez, et conçut la première idée de la Collection des chroni-
queurs italiens. L'art dramatique lui valut plus de gloire et d'hon-
neurs. Il se vit décerner le titre de poëte impérial (poeta ce-
sareo) par Charles VI, dont il dit: Je ne crois pas avoir jamais
été aimé d'aucun ami autant que de l'empereur. Il réussissait
surtout dans les sujets sacrés et dans l'oratorio; mais en général
ses intrigues sont lentes, ses scènes prolixes, ses incidents em-
barrassés; de plus, la précipitation nuisait chez lui à l'élégance.

Pierre Trapassi allait improvisant çà et là dans Rome, où il 1698-1792. était né, lorsque Gravina, l'ayant entendu, le prit avec lui, grécisa son nom en celui de Métastase, et lui légua en mourant 15,000 écus. Le jeune poëte en eut bientôt vu la fin; et, contraint alors de travailler, il se mit à composer des drames. Marianna Bulgarelli (la Romanina), cantatrice qui jouissait d'une grande réputation, attribuant ses succes à la beauté des vers de Métastase, entreprit, en

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se l'attachant par les liens du cœur, de diriger son génie poétique. Appelé à Vienne comme poëte impérial, avec son ancienne amie, il fut aimé et protégé par Marie-Thérèse. Les rois le traitèrent avec honneur, et lui firent à l'envi des présents. Tout ce qu'il y avait de médiocre en littérateurs sollicitait de lui quelquesunes de ces paroles de politesse auxquelles la vanité donne la valeur de jugements; les femmes, qui l'avaient protégé vivant, lui ont fait une réputation dans la postérité, et le suffrage de la moitié du genre humain compte assurément pour quelque chose. La douceur de son style, qualité qui le distingue particulièrement, lui fait pardonner jusqu'à ses nombreuses incorrections grammaticales; mais il tombe dans l'afféterie pour avoir eu le tort de choisir des sujets élevés, qui ne se prêtent pas à l'harmonie perpétuelle et à la phraséologie galante de l'opéra.

Il composait tellement à contre-cœur, que, afin de vaincre sa paresse et sa répugnance, il avait des heures fixes pour se livrer au travail; car on ne saurait dire à l'inspiration. I ressasse les mêmes caractères, les mêmes situations; ce sont partout des amants qui parlent de mort, des scélérats de profession, des femmes qui poursuivent des vengeances atroces, et des sentences aussi fréquentes que chez un prédicateur. Il foule aux pieds les convenances historiques : une princesse de Cambaie invoque les furies de l'Averne; un roi de Perse parle des bords du pále Léthé et du noir flambeau allumé dans le Phlegethon; les Babyloniens de Sémiramis invoquent l'Hyménée; Astyage, père de Cyrus, sacrifie dans le temple de la déesse triforme, et trois jeunes filles chinoises s'occupent de préparer un spectacle pour lequel la première choisit la tragédie d'Andromaque, l'autre une églogue sous le nom de Lycoris, et la troisième raconte un voyage où il est parlé de toilette et de charmante beauté.

Il y aurait de la rigueur à vouloir le juger comme un auteur tragique; mais on ne saurait se dissimuler qu'il n'ait mis à la mode des amours et des fadaises dont l'Italie n'avait rien moins que besoin. Il doubla et tripla même l'intrigue, multiplia les reconnaissances à l'aide de moyens artificiels, et abusa des à parte ainsi que des monologues obligés, qui lui servent à développer les passions. Mais ces passions, au lieu de les peindre, il ne fait que les ébaucher, en se tenant à des traits généraux, sans acception de pays ni d'époque. La rapidité de la composition le fait

Tragiques.

tomber dans l'exagération, et l'héroïsme devient ainsi de la fanfaronade, l'amour, de la fadeur. Il ne s'impose pas toutefois les mêmes entraves que Zeno et Alfieri; mais, disposant les situations avec art et connaissant à merveille la décoration scénique, il choisit avec bonheur le lieu de l'action, et sait amener des coups de théâtre imposants. Cette surabondance de similitudes, qui chez lui ralentit l'action, introduisit dans la musique mille variétés, des agréments, des imitations de sons. Mais alors l'acte se terminait par un air, comme il se termine aujourd'hui par un morceau d'ensemble; alors le récitatif abondait, et de nos jours on l'a banni, ce qui fait que ses drames ont disparu du théâtre.

La première bonne tragédie est la Mérope de Scipion Maffei, qui, ourdie avec simplicité et pureté, annonce l'intelligence de l'antiquité; mais la variété des études de l'auteur l'empêcha d'y apporter cette perfection de formes qui perpétue les ouvrages. Il fut néanmoins un des meilleurs auteurs tragiques du temps. Dans Vérone illustrée, il s'élève des étroites limites d'une commune à des considérations générales, et s'exprime d'une manière fort rare en son temps, sur les problèmes capitaux du moyen âge. Il fut chargé par Victor-Amédée II de recueillir des inscriptions et des monuments pour les portiques de l'université de Turin, et il donna, par son Histoire diplomatique, une introduction à l'art critique. Les erreurs vulgaires de la magie et les erreurs aristocratiques de la che valerie furent combattues par Maffei avec cet accompagnement d'érudition auquel la passion du bien peut seule faire recourir. Tartarotti, qui niait les réunions nocturnes des sorcières, fut scandalisé lorsque Maffei nia tout à fait la magie, et l'accusa d'incrédulité. Son histoire de la Doctrine de la grâce divine lui aliéna de même les jansénistes. Le père Concina voulait le signaler comme hérétique à l'occasion de son Traité des théâtres anciens et modernes; mais Benoît XIV lui écrivit : « Il ne faut pas abolir les théâtres, mais chercher à mettre autant que possible leurs représentations d'accord avec la morale chrétienne. »

En somme, Maffei écrivit sur toutes choses; il savait beaucoup, et avait encore plus de présomption. Une dame à qui il demandait, Que donneriez-vous pour savoir autant que moi? lui répondit : Je donnerais beaucoup plus pour savoir ce que vous ne savez pas. Voltaire lui adressait des félicitations comme au Varron et au Sophocle de l'Italie; ce qui ne l'empêchait pas de publier, sous un

nom d'emprunt, une censure virulente de sa Mérope, dont il était jaloux.

Nous ne saurions passer sous silence le Galeas Sforza, d'Alexandre Verri, tragédie dans laquelle il osa secouer le frein de l'art pour se rapprocher de la vérité.

Victor Alfieri, d'Asti, aristocrate passionné pour la liberté, telle qu'on la prêchait alors, c'est-à-dire pour une liberté abstraite, n'avait lu que les écrivains français. Il en fait fi cependant; il fait fi de Rousseau, bien qu'il l'imite et le copie. Il méprise ses prédécesseurs ; il méprise l'Italie; il méprise les philosophes et les incrédules, non moins que les dévots et les ignorants; il méprise la noblesse, dont il sortait, et la plèbe, qu'il détestait'; enfin, il méprise le public. Chez lui toute passion se convertit en rage, rage d'étude, rage de liberté, rage d'amour. Or, il puisa dans le dédain et dans la colère une énergie si opposée à la mollesse louangeuse de son temps, qu'elle parut de l'originalité. Voyant les spectateurs se pâmer d'aise à la douceur de Métastase, il se fit rude et épigrammatique; il supprima les articles, dépouilla la langue de tout charme, le vers de toute harmonie. Il prétend ne pas connaître les chefs-d'œuvre français, tandis qu'il est tout à fait Français dans la forme, cherchant la pureté au risque de la monotonie, tenant son imagination en bride contre tout écart romantique, faisant de la rhétorique avec les passions: seulement c'est la république qu'il idolâtre, au lieu de la monarchie.

On peut croire aisément qu'il ne connaissait pas les Espagnols, ni les deux grands auteurs allemands, ses contemporains; et c'est à peine s'il connut, par la mauvaise traduction française, Shakspeare, qu'il admira, mais qu'il se hâta d'oublier pour rester original. Il n'étudia le grec que tard, pour lire les classiques dans le texte (1). Combien aussi il s'est écarté d'eux ! combien sa simplicité est différente de la leur ! Le style des Grecs est naïf, le sien est tout art; pour eux l'action est le moyen de peindre les caractères et les mœurs, pour lui elle est le but. Il y a aussi chez eux manque d'intrigue; mais

(1) « Mieux vaut tard que jamais. Me trouvant arrivé à l'âge de quarante-huit ans bien sonnés, et ayant exercé, bien ou mal, depuis vingt ans, le métier de poète lyrique et tragique, sans avoir jamais lu ni les tragiques grecs, ni Homère, ni Pindare, rien en un mot, je fus pris d'une certaine vergogne et en même temps d'une louable curiosité de voir un peu ce qu'avaient dit ces pères de l'art.» Vie, ch. 24.

T. XVII.

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Alfieri.

1749-1803.

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