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aurait dû analyser d'abord les règles de la perfectibilité humaine; peut-être alors aurait-il reconnu ce qu'il y a de vain dans ces préceptes abstraits, qui ont pour objet d'immobiliser un art qui n'a de valeur qu'autant qu'il se plie à la mobilité des rapports sociaux.

On reproche à Filangieri cette faconde sermoneuse et prolixe, cette improvisation théâtrale dans laquelle il exposa des vérités faites pour agiter les esprits. Mais il faut réfléchir qu'à cette époque on croyait que l'éloquence convenait aux sciences, témoin Hutcheson, Smith, Buffon, Raynal, Beccaria, Rousseau ; et peutêtre la crut-il plus nécessaire ici pour secouer la léthargie de l'égoïsme. Or, cette philanthropie, portée à l'excès dans Beccaria et Filangieri, était nécessaire pour révéler les outrages faits à l'humanité. Plus tard seulement, et lorsqu'elle eut renversé des institutions meurtrières, elle devait faire place à la science qui, fondée sur l'étude profonde de la nature humaine, était destinée à en donner de nouvelles; ce dont l'autre était incapable. Mais sous ce faste ne perce pas, comme chez les encyclopédistes, l'orgueil personnel; Filangieri aime véritablement l'humanité: il en déplore les maux; il cherche consciencieusement quels remèdes y apporter. C'est à cet épanchement de bienveillance qu'est due l'influence qu'il exerce sur les lecteurs; or, il serait à désirer que tous les jeunes gens de vingt ans vinssent à l'éprouver, dussent-ils puiser dans l'ouvrage quelques idées incomplètes ou exagérées.

Ce livre était l'œuvre d'un jeune homme de trente ans, c'est-àdire d'un âge où l'on commence à peine à connaître le monde. Filangieri mourut à trente-six ans, avant d'avoir pu apprendre combien il y a de distance entre les lois réelles et les lois possibles; avant d'avoir pu connaître, dans le ministère des finances auquel il était appelé, les difficultés pratiques et l'impossibilité de renouveler un peuple. Il fut du moins assez heureux pour ne pas voir dans une révolution imminente ses utopies s'évanouir devant les sévères leçons de l'infortune; et s'il n'eut pas à déployer son éloquence dans les débats parlementaires de sa patrie, peut-être dutil à sa fin prématurée de ne pas avoir à rendre le dernier soupir, pendu à la grande vergue du vaisseau de Nelson.

Peut-être, en d'autres temps, des intentions si hardies auraientelles encouru la réprobation du pouvoir; mais alors un calme général endormait les gouvernements, qui, rassurés par leurs traités avec les forts, ne s'inquiétaient pas du blâme des faibles, licen

ciaient leurs soldats, laissaient leurs places fortes tomber en ruines, et, uniquement pour faire quelque chose, se laissaient aller au mouvement qui poussait aux innovations, à la condition qu'elles seraient leur ouvrage. Bien qu'ils n'admissent aucun de ces philosophes dans les cabinets, ou qu'ils les appelassent tout au plus à quelque magistrature consultative, ils prêtèrent l'oreille à leurs projets, et permirent qu'ils eussent cette publicité restreinte que les livres obtenaient alors, dans une limite aristocratique.

Mieux régler les impôts et leur faire produire davantage; rendre l'agriculture florissante, et supprimer les vexations lucratives des exacteurs; abolir les juridictions ecclésiastiques et féodales; obliger le clergé et la noblesse à supporter leur part des charges publiques; rendre la justice plus prompte et meilleure; donner plus de sécurité à l'innocence, plus d'instruction au vulgaire, ce sont là des résultats qui profitent aux gouvernements eux-mêmes, car aucun d'eux ne voudrait, de propos délibéré, avoir des brutes pour sujets. On laissait donc toute liberté aux publicistes de s'appliquer à résoudre ces problèmes; mais aucun auteur italien ne touchait aux bases du pouvoir, et ne cherchait à tirer le peuple de sa nullité sous le rapport de la représentation politique, ni à l'arracher à la frivole insouciance des affaires publiques.

sous les Au

Bien que l'Autriche soit conservatrice par nature, la Lombardie La Lombardie cessa de décliner sous son administration. Au commencement du trichlens. siècle, les malheureuses guerres dynastiques l'avaient grevée d'impôts. Lorsqu'elle eut été assurée à Charles VI, elle perdit de plus en plus l'esprit militaire, ne fournissant qu'un régiment de dragons qui avait son cantonnement en Hongrie, sous les ordres du comte Marulli; et l'on vit avec déplaisir les Allemands envoyer de l'autre côté des Alpes les subsistances et les objets d'habillement pour leurs troupes, au lieu de répandre dans le pays l'argent qu'ils y recueillaient. Marie-Thérèse chercha à améliorer l'administration de ces provinces, bien qu'elle ne revint les visiter qu'une seule fois.

Les taxes atteignaient cent fois la même marchandise; elles étaient mal réparties, d'après un cadastre suranné, et hors de proportion avec les besoins nouveaux. Le mesurage des terres ordonné par Charles VI, et terminé en 1759, servit de base à l'impôt et au système communal. On put ainsi accroître de beaucoup les contributions et toutefois soulager les contribuables, par la sup

pression d'une foule de charges onéreuses, et par une répartition plus égale. L'ouverture du canal de Paderno (1777) termina l'œuvre commencée dans un temps de liberté, à l'effet de réunir Milan aux rives du Tessin et de l'Adda. On projeta l'établissement d'un hospice pour les pauvres, et d'une maison de correction pour les mauvais sujets.

La crainte de la famine dans les fertiles campagnes de la Lombardie suggérait d'étranges empêchements à la circulation des grains, et ils eurent pour résultat de la produire. Quiconque en faisait passer hors de l'État avait la tête tranchée; celui qui en transportait d'un district dans un autre perdait la denrée et la voiture. Le fait d'en amasser entraînait la perte du grain, et une amende du double de sa valeur ; la moitié de la récolte devait être introduite dans la ville. Ces règlements onéreux avaient pour conséquence des visites dans les greniers, des vexations inutiles, des remèdes extrêmes.

Des inconvénients plus graves encore résultaient de ce que la perception des impôts était donnée à des fermiers, qui se permettaient les abus les plus révoltants afin de s'enrichir plus vite, et avaient des sbires à leurs ordres pour fouiller à leur gré dans l'intérieur des maisons. Le repos domestique en était troublé : d'infâmes délateurs se faisaient les instruments de vengeances atroces; et l'on n'osait laisser de jour ni de nuit une fenêtre ouverte, de peur qu'un malveillant n'y jetât un paquet de tabac ou de sel, et ne causât la ruine de la famille en allant la dénoncer. Une ordonnance rendue sous le gouverneur Firmiani rendait les pères responsables pour leurs enfants, et les maîtres pour leurs domestiques, en ce qui concernait la contrebande du tabac.

Les philanthropes élevaient la voix contre de pareils abus; et, en effet, le commerce des grains fut dégagé de ses entraves: en 1766, les finances furent affermées, mais avec des restrictions qui nécessitaient la présence d'un agent du fisc; puis, en 1771, elles furent émancipées; ce qui fit gagner au trésor cent mille ducats par an. De 1771 à 1779, on s'occupa d'améliorer la fabrication des monnaies; puis on dressa un tarif uniforme.

L'État, qui ne comptait en 1749 que neuf cent mille habitants, en avait onze cent trente mille en 1770; et les vieillards se rappellent ce temps avec complaisance, peut-être en le comparant avec ceux qui suivirent.

Milan vit alors ses maisons numérotées, ses rues éclairées; il

eut un jardin public, des médecins et des pharmaciens répartis dans une juste proportion. Les meilleurs professeurs furent appelés à l'université de Pavie, sans qu'une basse jalousie fît exclure les étrangers. Scarpa, Borsieri, Rezia, Spallanzani, Tissot, Mangili, Nessi, Carminati, Franck, Brambilla, firent faire des progrès à l'histoire naturelle et à la science médicale. Mascheroni, bon poëte, et Grégoire Fontana faisaient honneur aux mathématiques. Bertola et Théodore Villa donnaient des exemples et des préceptes d'éloquence et de poésie; Nani traçait les principes de la jurisprudence criminelle; Volta préparait des découvertes qui devaient faire une révolution dans la physique; Martin Natali, professeur de théologie, Zola, auteur d'une histoire ecclésiastique jusqu'à Constantin, et Tamburini, auteur des Eléments du droit naturel et de la Véritable idée du saint-siége, nourrissaient des pensées que l'on jugeait libérales à cette époque, tandis qu'en réalité ils supprimaient l'unique obstacle qui retînt encore les rois, le respect du saintsiége. L'observatoire fondé à Bréra en 1766 par le jésuite Roger Boscowitch, de Raguse, fut ensuite agrandi en 1773. On y ouvrit aussi un gymnase impérial et une bibliothèque. Une chaire d'économie publique et d'art notarial fut instituée dans les écoles palatines; plus tard, on en établit une d'hydrostatique et d'hydraulique. Un mont pour les soies fut en outre créé, afin que les particuliers ne fussent pas contraints, par la nécessité, de les vendre précipitamment.

Des écoles élémentaires furent ensuite organisées; et la surveillance en fut confiée à François Soave, de Soma, l'un de ces hommes qui, s'ils ne font pas avancer la science, contribuent à la mettre à la portée de tous. Il publia, conjointement avec Campi, avec le chanoine Fromond, Amoretti et Allegranza, un Choix d'opuscules intéressants qu'on peut lire encore. Il fit ensuite des livres depuis l'A B C jusqu'à la philosophie, nécessairement incomplets, surtout dans cette dernière partie. Il s'y appuie sur Condillac et sur Locke, dont il traduisit l'Essai sur les idées, • et qu'il appelait le premier et le plus grand des métaphysiciens. >> Il devint bientôt classique cependant, grâce à sa clarté et à sa facilité; ce qui réduisit cet enseignement à une sécheresse mesquine, dont le résultat était d'engendrer la présomption à la philosophie, sans en avoir même entreva les premières lueurs (1).

(1) L'auteur de la Protologie, le père Hermenegilde Pini, est un auteur d'une bien autre portée, quoiqu'il soit presque ignoré.

1743-1816,

Le gouvernement ne prenait pas ombrage des novateurs. Carli fut appelé à la présidence du conseil suprême de commerce et d'économie publique, au moment où l'égoïsme offensé portait jusqu'à Vienne des accusations contre Verri; l'impératrice le nonima membre de la junte créée pour les affaires de finances, et ensuite du conseil suprême d'économie. Elle donna une pension à George Giclini, qui rassemblait les mémoires historiques de Milan; et Kaunitz l'excita à continuer ce travail. Deux cents écus de pension furent assignés à Argellati pour sa Bibliotheca scripto rum mediolanensium. Les gouverneurs eux-mêmes protégeaient les penseurs contre les persécutions de leurs concitoyens. On imputait à Vallisnieri d'avoir dilapidé à son avantage particulier le musée de Pavie; et Firmiani proclama son innocence dans une lettre. Borsieri, succombant aux persécutions des écoliers et à celles de ses collègues, allait abandonner sa chaire, quand Firmiani (1) lui écrivit pour l'encourager, et ajouta qu'il était nécessaire à l'honneur de cet établissement littéraire. Les lâches qui se båtent de jeter la pierre au mérite persécuté s'empressèrent de lui rendre justice lorsqu'ils le virent appuyé par les puissants. La jeunesse voulut alors l'avoir pour recteur perpétuel; et lorsque, nommé médecin de la cour, il partit dans une modeste chaise, elle l'escorta pendant un long trajet.

Joseph II voyagea en 1769 dans la Lombardie, où depuis CharlesQuint aucun empereur n'était venu. Il créa une magistrature suprême, dite camérale, où Carli, Beccaria et Verri furent appelés à siéger; le mont de Sainte-Thérèse, pour consolider les dettes publiques; une chambre des comptes, pour examiner et publier les dépenses de l'État, ainsi que ses revenus. Puis sa mère étant venue à mourir, il se précipita dans des innovations qui furent moins appréciées par le peuple, parce qu'elles n'étaient pas préparées.

Les gouverneurs, qui avaient auparavant trop de latitude pour faire le mal et empêcher le bien, cessèrent d'être investis d'une

(1) Verri exagère, en dénigrant ce personnage comme un ignorant d'un orgueil stupide. Mais M. Villemain exagère aussi en faisant de Ini le restaurateur de la Lombardie, et l'âme des philosophes de cette contrée (Cours de littérature française, leçons XXI et XXII). « L'académie savante et généreuse qui se forma à Milan sous la protection du comte de Firmiani » n'était qu'une réunion d'amis, dont la maison Verri était le rendez-vous: ce n'était pas, Dieu merci, une académie; elle n'était pas protégée.

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