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1791.

Philippe Briganti, de Gallipoli, se fit l'adversaire de Mably, de Rousseau et autres écrivains du même genre, qui voulaient ramener le genre humain à la pauvreté ; il soutint que l'homme, de même que la société, tend à se perfectionner, et que les éléments du perfectionnement social sont l'activité et l'instruction.

Joseph Palmieri, de Lecce, qui écrivit aussi sur l'art de la guerre, fit supprimer, comme magistrat, les péages, certains monopoles, et le droit sur l'exportation du safran; il suggéra l'idée de faire le cadastre des terres, d'enlever à la noblesse les prérogatives royales, le droit de juridiction, et combattit le préjugé par suite duquel le commerce faisait déroger. Il soutint que la capitation et la taxe du sel étaient désastreuses; qu'il fallait faire une guerre à mort aux bandits, cette peste du royaume; et en toutes choses il s'attacha non pas à des utopies, mais à une pratique immédiate.

Melchior Delfico, de Téramo, hasarda des vérités inaccoutumées. Dans les Recherches sur le véritable caractère de la jurisprudence romaine, il s'écarta des habitudes d'administration, pour montrer le grand peuple comme l'oppresseur des libertés nationales, et l'auteur de lois qui transmirent aux modernes le despotisme et l'intolérance. Sans parler de ses travaux historiques, où il recueillit les objections des encyclopédistes sur l'incertitude et l'inutilité de l'histoire, il put faire abolir dans son pays la servitude des pâturages; les désordres du tavoliere de Pouille appelèrent son attention; il tâcha d'amener dans le royaume l'uniformité de la justice et celle des poids et mesures; enfin il proposa l'affranchissement des propriétés féodales.

On comprend que les Italiens faisaient preuve, dans leurs idées de progrès, d'une jeunesse inexpérimentée et pleine de foi, dont les vœux embrassaient à la fois, mais vainement, la réalité et l'idéal. D'autre part, le désaccord entre les écrivains et les masses empê chait les premiers d'arriver jusqu'à sentir la puissance du peuple; et ils le regardaient uniquement comme un objet de charité ou de sollicitude pour les hautes classes.

Bien que Parini ait considéré la noblesse lombarde comme oisive et galante, plusieurs de ses membres cherchaient à contribuer au bien du pays. Une Société palatine, composée des Académies, premiers seigneurs du pays, se forma pour donner des éditions importantes, telles que les Antiquités du moyen âge et les Écrivains des choses italiennes par Muratori, travaux qui ouvrirent la voie

aux recueils d'érudition, dans lesquels les étrangers eurent ensuite l'avantage. Une Société patriotique s'occupait de répandre des connaissances et des procédés utiles dans l'agriculture et dans les arts, donnait des prix et des subventions, et avait à sa disposition un terrain public pour faire des expériences. Les académies perdaient ainsi de cette frivolité qui les avait discréditées. Celle de Mantoue proposa pour sujet de rechercher les abus des lois criminelles et les moyens d'y remédier, et peu après de déterminer une échelle des délits et des peines, de donner les caractères de la certitude dans les preuves judiciaires; enfin de tracer les règles d'une instruction prompte et facile.

Une autre question bonne pour l'époque, sur laquelle elle appela l'attention, fut celle de savoir si la poésie influe sur le bien de l'État, et comment elle peut être l'objet de la politique. Le prix fut remporté par Clément Sibiliato. L'Académie de Padoue proposa pour sujet de concours d'examiner la question de la liberté du commerce, et Melchior Delfico répondit à cet appel. Charles Bettoni, de Brescia, qui s'employa activement à améliorer la conduite de ses compatriotes et à extirper les meurtres fréquents, proposa par deux fois un prix de cent sequins pour l'auteur des meilleurs contes nouveaux en prose, et cent autres à cette même académie de Padoue pour celui qui saurait trouver les moyens de réveiller chez les jeunes gens l'amour de leurs semblables. Les académies italiennes savaient donc s'occuper d'autre chose que de sonnets.

Le comte Pierre Verri, de Milan, dont toute la vie fut vouée à dire et à encourager quiconque disait des vérités utiles, réunit une société dans laquelle fut rédigé le Café, série d'articles dans le genre du Spectateur d'Addison, afin de répandre, sans beaucoup de liaison, mais avec cette hardiesse qui parfois convainc plus que la vérité elle-même, des maximes de bon sens. Dans cet écrit et dans certains almanachs facétieux, Verri cribla de traits acérés la nonchalance arrogante des nobles et l'ignorance paresseuse des autres; il s'y proposait « de dompter la pédanterie des faiseurs de phrases, le bavardage des fanfarons de la basse littérature, cette préoccupation continuelle et inquiète de petites choses, qui a tant influé sur le caractère, sur la littérature, sur la politique italienne. » Il discuta ensuite d'un toh sérieux des questions économiques; et, dans ses Considérations sur le commerce de l'État de

P. Verri. 1728-1797.

Milan, il traite de l'ancienne prospérité de la Lombardie, de sa décadence présente, et des moyens de la faire renaître; il combattit les lois qui gênaient le commerce des grains et la ferme des impôts royaux. Si dans ses Méditations sur l'économie politique il est trop souvent en défaut sur des questions aujourd'hui fondamentales et à peine énoncées alors, il s'appuie volontiers sur l'expérience. Il s'inspira aussi des physiocrates. Néanmoins il aperçut l'utilité qui résulte, dans le commerce, du transport et du travail nécessaire pour que les produits arrivent à portée du consommateur. Il vit que l'argent n'a de valeur qu'autant qu'il représente les choses qu'on peut obtenir par son moyen; c'étaient toutefois chez lui des idées sans liaison, et dont il ne tira pas les conséquences.

Verri montra combien il attribuait d'importance à la propriété, quand il exhortait chaleureusement les orateurs des provinces milanaises, convoqués par Léopold II, à demander une constitution, à laquelle il donne pour base la propriété, en faisant, avec beaucoup de talent, dériver de là les garanties publiques. Il écrivit contre la torture, et publia une histoire de Milan. Si cet ouvrage fut jugé incomplet sous le rapport des faits et pauvre sous celui de la critique, s'il y fit servir les faits à prouver certaines thèses, à la manière du temps, il répudia toutefois les origines fabuleuses de la cité, porta son investigation sur les institutions et les usages, montra l'arrogance de l'oligarchie, et la force de l'union qui en triompha toutes les fois que le plus grand nombre se mit d'accord. Il suivit les vicissitudes du clergé, bien qu'avec l'esprit de l'époque, ainsi que les progrès et la décadence de la liberté, en exposant le tout d'une manière familière, avec une instruction variée et en donnant des enseignements utiles. Il ne publia qu'un volume de cet ouvrage; l'autre fut recueilli du mieux possible sur ses manuscrits; mais sa patrie s'en inquiéta si peu, qu'il n'en fut vendu qu'un exemplaire du vivant de l'auteur. Aussi se plaignait-il de se voir si peu apprécié, et de n'avoir autre chose à espérer que l'oubli de la part des gens corrompus et des intrigants (1). Les nations qui ont beaucoup souf

(1)«< Après avoir travaillé plusieurs années, et dépensé beaucoup pour mettre dans les mains des Milanais une histoire de leur patrie, et un livre qu'ils pussent indiquer sans rougir aux étrangers qui seraient curieux de la connaître, je n'ai pas même obtenu de la ville de Milan un signe qui m'indiquât qu'elle s'était aperçue que j'eusse écrit. Mais je savais qu'il en serait ainsi avant d'entreprendre un pareil travail, et je connaissais rerum dominos gentemque to

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fert se laissent aller à ce découragement dans lequel on redoute et le mal et le bien. Les rétributions tardives sont extraordinaires en Italie, au milieu des haines contemporaines.

Le marquis César Beccaria, de Milan, se dégage, dans son opuscule intitulé du Style, de ces règles et de ces préceptes qui ne forment ni un orateur ni un poëte. Il s'y proposa, en s'abandonnant à la pure impulsion du sentiment, de ramener le style, comme partie de la métaphysique, aux règles de l'analyse et du raisonnement. Il considérait les sciences du beau, de l'utile, du bien, c'est-à-dire les beaux-arts, la politique, la morale, comme fondées sur la connaissance de l'homme et sur l'idée du bonheur; de telle sorte qu'ayant les mêmes principes plus ou moins étendus, elles pourront être ramenées à cette grande unité qui est aujourd'hui le but des savants. Le plaisir des choses matérielles ne se fait sentir à l'âme qu'au moyen des sensations; d'où il suit que la beauté du style dépend immédiatement de l'expression des sensations, et du sentiment excité dans l'âme par les paroles qui les représentent. Le style consiste donc dans les sensations accessoires jointes aux principales, et il produira d'autant plus de plaisir que des sensations plus intéressantes s'accumuleront autour de l'idée capitale. Mais il faut connaître les limites au delà desquelles cette accumulation deviendrait nuisible, et trouver ensuite les moyens pour façonner l'âme à ce ressentiment vif et prompt qui excite en elle une foule de sensations variées.

Tous les hommes, selon lui, naissent avec une égale aptitude aux arts humains; et on les amènerait tous, au moyen d'une instruction égale et des mêmes exercices, à parler et à écrire de la même manière. Peut-être caressait-il ce paradoxe afin d'enlever leur excuse à ceux qui accusent la nature marâtre de leur incapacité.

Son petit livre Des délits et des peines eut plus de retentissement. Innocents et coupables, prévenus et condamnés, citoyens et proscrits, tous étaient traités de même, enfermés dans des prisons, gatam. En Toscane, sur la terre ferme vénitienne, en Romagne, il y a le sen timent de la patrie et l'amour de la gloire nationale. Là du moins une médaille, une inscription publique, un diplôme d'historiographe, quelque signe de vie serait donné tout au moins, afin d'animer à l'imitation; mais nous vivons languis. sants in umbra mortis. On ignorait le nom de Cavalieri; Agnesi est à l'hôpital, Frisi et Beccaria n'ont trouvé à Milan qu'obstacles et amertumes. C'est le comble du bonheur pour celui qui ose faire honneur à sa patrie, s'il obtient d'être oublié d'elle. Peut-être l'ai-je obtenu. » M. S.

Beccaria.

1735-1793.

1764.

et quelles prisons (1)! puis interrogés en secret et souvent mis à la torture. L'appréciation des délits était injuste, quelquefois absurde, l'application des peines toujours atroce, les lois incertaines, les jugements arbitraires, et la société dans l'ignorance des motifs pour lesquels un de ses membres lui était arraché. Beccaria s'entretenait sur ce sujet avec ses amis, d'après les idées alors en vogue; et, dans la chaleur du moment, il écrivait les chapitres de son livre, qui conserve en effet les caractères et le désordre de l'inspiration. Pierre Verri les assembla, en suppléant à l'indolence de l'auteur, qui, « par amour de la réputation littéraire et de la liberté, touché de compassion pour les misères des hommes, esclaves de tant d'erreurs, le fit enfin imprimer en cachette.

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Cet ouvrage passa inaperçu dans sa patrie, comme il arrive d'ordinaire, jusqu'au moment où il attira l'attention par le bruit qu'il fit au dehors. Il plut par un ton sentencieux, ardent, absolu, par sa véhémence, poussée parfois jusqu'à la déclamation, surtout parce qu'on n'y trouva ni amas de citations, ni un fastueux étalage de mathématiques, ni cette raillerie si habituelle alors, mais un air de bonté et de conviction naïve. L'abbé Morellet le traduisit en français, en y mettant plus d'ordre (2) ; et ce fut parmi les encyclopédistes à qui le porterait aux nues avec cette satisfaction qu'on éprouve à trouver chez autrui ses propres idées. Voltaire le commenta avec l'esprit qu'il avait apporté à la défense de Calas, de la Barre et de Lally. Cette hardiesse paraissait chose nouvelle (3); la société de Berne fit frapper une médaille à l'auteur; lord Mansfeld ne prononçait son nom dans le parlement qu'avec respect; les souverains applaudirent à ses réformes, Catherine II les adopta; sa patrie lui pardonna.

(1) Voy. page 204.

(2) Les motifs de tous les changements, qui se réduisent à des transpositions. sont indiqués dans l'édition sans date de 1776.

(3) « Ouvrage si hardi et si lumineux, qu'on a douté qu'il fût sorti d'un pays où régnait l'inquisition. » C'est ainsi que s'exprimait J. P. Brissot, qui commença, avec ce même ouvrage, sa Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, parce qu'il regardait ce traité comme la base des travaux faits sur cette partie, comme le premier livre philosophique qui eût encore paru dans ce genre.

Dans les Nouvelles de la république des lettres (Berne, 6 juillet 1681): Le livre DEI DELITTi e delle Pene, est-il dit, a le premier ouvert les yeux sur les abus des lois pénales.

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