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étaient parqués en corporations, qui entravaient par leurs prétentions et traversaient par esprit de corps toute innovation. Des règlements administratifs se jetaient à la traverse de toutes les industries, pour prescrire ou défendre certains procédés, quelquefois par ignorance, toujours au détriment de leur libre développement. Les franchises des nobles entravaient le cours de la justice, et encourageaient à des abus. Les juridictions féodales jugeaient les procès, sous l'influence du seigneur qui les salariait. Les impôts pesaient inégalement de pays à pays, de personne à personne ; il y avait peu de routes, encore y était-on assujetti à des péages; un grand nombre de droits royaux avaient été aliénés à des particuliers, et les communes, grevées démesurément pour subvenir aux besoins de la guerre, étaient surchargées de dettes. Les finances se trouvaient livrées à bail à des fermiers tyranniques, qui voulaient avoir les sbires à leur disposition, afin de pouvoir remplir leurs obligations envers le trésor, et demandaient que la contrebande fût châtiée des mêmes peines que le crime savait esquiver.

Ces principes d'une philanthropie qui, sans être toujours raisonnée et pratique, était dirigée néanmoins par des intentions droites, s'étaient répandus en Italie comme dans toute l'Europe, et ils y avaient trouvé des esprits disposés à les appliquer à la situation du pays. Les hommes généreux ne s'effrayèrent pas en voyant que le peuple ne les comprenait pas; mais de cette indolence populaire naquit en eux le désir presque général de se tourner de préférence du côté des souverains, pour leur demander et en attendre des améliorations, tandis qu'ailleurs on cherchait à les obtenir en leur faisant de l'opposition.

Les uns dirigèrent leurs vues vers des améliorations immédiates; les autres s'attachèrent à des idées plus générales. Dans la jurisprudence, on tendait à substituer les procédés d'une analyse lumineuse à l'érudition pesante, et l'autorité d'une doctrine logique aux arguties scolastiques des gens de loi; dans l'économie, on recherchait les applications plus que les systèmes, et l'on poursuivait l'idéal, non pas tant dans le vague que dans la lente transformation du monde réel.

Gabriel Pascali, de Pérouse, exposait, dans son Testament politique, des idées relatives à un commerce régulier dans les Etats de l'Église et à la navigation du Pô. Les plans du Siennois Bandini, bon économiste, concernant le desséchement de la maremme de

Sienne, furent adoptés par Ximenès. La république de Venise créa, pour le botaniste Pierre Arduino de Vérone, la première chaire d'économie rurale qu'il y ait eu en Italie, dans l'université de Padoue. Ce savant y garnit un jardin de toutes les plantes utiles dont il enseigna la culture, en indiquant celles qu'il serait convenable d'introduire, et en éclairant de ses conseils les sociétés agricoles, dont le nombre s'accroissait alors sur le territoire vénitien. Antoine Zanoni, d'Udine, améliora dans le Frioul la culture des vignes et des mûriers, fit un commerce actif avec l'Amérique espagnole, institua dans sa patrie une société géorgique, ainsi qu'une école de dessin pour les étoffes de soie, et écrivit d'après de bonnes idées pratiques. Dans la même contrée, le comte Fabio Asquini, aussi d'Udine, raviva l'agriculture, institua une académie, remit en honneur les vignes du Piccolit, introduisit le mûrier, la pomme de terre, la garance. Il connut les usages auxquels la tourbe était propre, employa contre les fièvres l'herbe de SaintJean ou armoise (artemisia cærulescens, L.), et proposa de remé. dier à la dévastation des bois, que l'on déplorait dès lors. Le marquis Jérôme Manfrini planta du tabac à Nona, en Dalmatie. Le comte Carburi naturalisa l'indigo, le sucre, le café à Céphalonie, où le gouvernement vénitien ouvrit, en 1760, une académie agricole économique.

Le frère Jean-Marie Ortes, Vénitien, d'un esprit bizarre, donna pour fondement à l'économie politique l'occupation. C'est son point de départ pour toutes les analyses particulières des corps sociaux. Il traita aussi De la religion et du gouvernement des peuples (1788), ouvrage dans lequel il établit que l'Église représente la raison commune, et la principauté, la force commune; au moyen de cette dernière, la raison de tous est défendue contre la force de chacun; d'où il résulte que les deux ministères de l'Église et de la principauté, combinés ensemble, forment le gouvernement. Il ne fut pas compris, parce qu'il est entortillé et obscur. Le Florentin Ferdinand Paoletti est tout à fait pratique dans ses Pensées sur l'agriculture, où il suggéra des procédés sages. Il publia ensuite les leçons qu'il donnait sur cet art à ses paroissiens dans les Véritables moyens pour rendre la société heureuse, livre lu et prôné même hors de l'Italie. Le Piémontais Maurice Solera, voyant qu'il n'y avait dans son pays ni routes, ni ponts, ni manufactures; que l'argent y était rare et le gouvernement négligent, songea à y re

médier en augmentant le numéraire au moyen d'un papier monnaie émis par une banque, qui fournirait ainsi tout ensemble au gouvernement les moyens de faire de grandes entreprises, et aux particuliers la facilité de se livrer à des améliorations. Son projet plut au roi, mais il déplut au ministre des finances, et il n'en fut plus parlé.

Jean-Baptiste Vasco, de Mondovi, proclama des vérités nouvelles alors, surtout dans le Piémont; savoir, qu'il ne faut point parquer les arts et métiers en corporations, ni réglementer administrativement les manufactures; qu'on ne doit point fixer le prix du pain ni l'intérêt de l'argent; et, afin d'empêcher l'accumulation des biens, il alla jusqu'à proposer d'abolir le droit de tester. Le jésuite François Gemelli, d'Orta, professeur à Sassari, fut employé par le ministre Bogino pour réformer l'agriculture en Sardaigne, avant de convertir, comme il le voulait, en propriétés véritables, les terres assujetties au pâturage. Gemelli publia dans ce but le Refleurissement de la Sardaigne par les améliorations de son agriculture, ouvrage où il traita de l'ancienne prospérité de cette île, puis de la communauté et de la quasi-communauté des terres, en associant toujours les exemples aux préceptes.

Le Vénitien Jacob Nani, indépendamment de son plan pour la défense des lagunes, et d'autres écrits sur la guerre, donna l'impulsion à l'extraction des combustibles fossiles, ainsi que des instructions à ce sujet et des règles pour les mines. Il traita de toutes les parties de l'économie, et en sollicita les meilleures applications. Le comte Jean-Renaud Carli, de l'Istrie, homme d'une érudition très-étendue, émit, en réfutant les paradoxes de Paw sur les Américains, des idées que les découvertes subséquentes n'ont pas démenties. Il réprouva les balances économiques, soutint qu'on ne pouvait faire une question isolée de la liberté du commerce, mais qu'il fallait la rattacher à la forme du gouvernement, et que c'est une folie de ne vouloir que des agriculteurs ou des manufacturiers. Dans son ouvrage sur le recensement, il donna des règles sages pour cette importante opération. Il recherche l'histoire des monnaies depuis Charlemagne, en se livrant à de patientes investigations sur leur bonté, leur valeur, leurs altérations, afin d'en déterminer les justes proportions; aussi Marie-Thérèse lui confia-t-elle la présidence du conseil suprême de commerce et d'économie publique, institué à Milan.

1796.

1720-1795.

Pompée Néri, de Florence, qui avait contribué avec Carli à établir le cadastre milanais, en publia une Relation précieuse, ainsi que des observations sur le prix légal des monnaies, où il expose les règles à suivre dans cette matière difficile. Il voudrait que les dépenses de fabrication fussent à la charge de l'État. Or chacun sait combien cet usage a été ruineux pour l'Angleterre (1). Jean-François Pagnini, de Volterra, traita la même matière; il écrivit ensuite un traité Du juste prix des choses, et prêcha la liberté du commerce pour la Toscane. Le marquis Charles Ginori, de Florence, introduisit dans le pays la fabrication des porcelaines, des machines hydrauliques pour travailler les pierres dures, des plantes exotiques; et, sous sa direction, le premier bâtiment sous pavillon toscan mit à la voile de Livourne pour l'Amérique. Targioni Tozzetti, qui montra que les sciences naturelles peuvent parler un langage élégant et correct, indiqua, dans le Discours sur l'agriculture toscane, les défauts et 1749-1799. les remèdes. Ludovic Ricci, de Modène, appelé par Hercule III à faire partie d'une commission pour la réforme des établissements pieux de cette ville, traita de la pauvreté et des moyens d'y obvier. Il désapprouve les aumônes, les donations, les maisons de travail et les pharmacies gratuites, les asiles pour les enfants trouvés et les femmes en couche, ainsi que les grands hôpitaux et les dots pour les filles à marier, attendu que la population se met toujours au niveau des moyens de subsistance; vérité dont on fait honneur à Malthus. Sa conclusion est que le gouvernement doit laisser tout faire à la charité privée, occuper les mendiants à des travaux d'utilité publique, aviver le commerce, et qu'il n'en faut pas davantage.

Suivant un autre ordre d'idées, le pieux Jean Borgi, maçon illettré, connu dans Rome sous le nom de Tata Giovanni, prenait en compassion les gamins abandonnés jour et nuit par les rues; il les réunissait, les nourrissait, les corrigeait avec une rigueur rustique, mais bienveillante; et, dédaignant les avis de ceux qui débitent des principes sans s'inquiéter de la pratique, aussi bien que la protection qui entrave, il entretenait plus de cent jeunes garçons, les formait à divers métiers, les amusait; tout cela sans théories, mais par le bon sens pratique, et par ce qui complète la science en la suppléant souvent, c'est-à-dire par le cœur.

(1) La France fit de même sous Colbert de 1679 à 1689, et de nouveau en 1795.

Le comte Philippe Re, de Reggio, introduisit des plantes inusitées, et publia des éléments d'agriculture appropriés à la Lombardie, en y appliquant les théories physiques et chimiques. Il enseigna aussi à élever les moutons, à cultiver les fleurs ; il étudia les maladies des plantes, et voulut montrer que les Italiens n'avaient pas besoin d'apprendre l'agriculture des étrangers. Vincent Dandolo, pharmacien de Venise, substitua aux pratiques routinières les nouvelles découvertes de la chimie, et s'enrichit en même temps qu'il éclairait le pays; puis il s'appliqua à introduire les mérinos d'Espagne, ainsi que les meilleures méthodes pour les vignes, les vers à soie et les abeilles.

Dans le royaume de Naples, Antoine Genovesi mérita bien de la jeunesse en faisant pour elle un cours de logique, et en rendant ses écrits intelligibles pour le peuple. Barthélemy Interi ayant fondé une chaire de commerce, ce fut lui qui y fut appelé. Il fit traduire de l'anglais l'Histoire du commerce de Cary, examina les maximes par lesquelles il était régi dans le royaume, et proclama la libre circulation, même celle des grains, et la justice de soumettre les biens ecclésiastiques aux mêmes charges que les autres. Il s'éleva contre les mauvaises pratiques d'agriculture, que s'efforça aussi de détruire Jean Presta, de Gallipoli, en proposant de nouveaux procédés pour la préparation du tabac et de l'huile. L'abbé Ferdinand Galiani, de Foggia, écrivit, d'après les idées de Locke, sur les monnaies, sur l'utilité du luxe, sur le libre intérêt de l'argent, et il voulait aussi la liberté pour le numéraire et pour le trafic des grains; il écrivit à ce sujet des dialogues en français, qui charmèrent par leur verve la société parisienne; car, très-lié qu'il était avec les encyclopédistes et avec leurs amies, il s'y jouait, quoique chargé de bénéfices, de la religion et de la pudeur (1). Son esprit et ses bons mots inépuisables lui valurent de la réputation, des caresses, et des chagrins.

(1) Cela ne l'empêchait pas de se fâcher vivement contre la légèreté de tel autre de ses pareils. Ainsi il écrivait à Marmontel : « Demandez donc à l'abbé Morellet ce qu'il vient faire là. Suffit-il d'avoir entre les jambes une culotte de velours émanée de la munificence de madame Geoffrin, pour disserter à la fois sur le commerce des blés et l'emploi des doubles croches? Mieux vaut encore toutefois déraisonner musique en sablant le champagne du baron d'Holbach, et même s'y donner une indigestion, que de déclamer contre l'Église, quand on reçoit 30,000 francs par an pour prier pour elle. Voilà ce qu'il faut insinuer poliment à ce Mord-les, trop fidèle au nom que lui a imposé le patriarche. »

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