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royaume s'appauvrissait, malgré ses riches colonies. Ce prince dépensa des sommes énormes pour avoir le titre de Très-Fidèle, et pour établir à Lisbonne un patriarche, légat a latere, avec suprématie sur les évêques du Portugal et des Indes. Lorsqu'il eut obtenu la création de ce dignitaire, Jean V, afin d'ajouter à sa splendeur, institua soixante-dix chanoines mitrés, chacun avec un traitement de cinq mille cruzades; et l'on dit que sous son règne il passa à Rome 500 millions de livres. Ce fut un prêtre dilapidateur au milieu de dilapidateurs guerriers.

Simple et grossier, malgré tout son luxe, Jean V réprimandait ses ministres à coups de bâton. Il réprima le saint-office; et ses défauts même lui avaient valu l'affection du peuple, qu'il aimait ainsi que la justice. Il fonda l'Académie portugaise, qui ne donna que peu de résultats. Elle avait cependant pour président le littérateur le plus célèbre du temps, François-Xavier de Menésès, comte d'Ériceyra (1673-1743), auteur de l'Henriqueida, composée avec toutes les conditions nécessaires pour former un poëme, moins le génie. Une autre académie fut instituée pour réunir les matériaux relatifs à une histoire de chaque évêché portugais et de tout le Portugal; des questions importantes furent débattues à cet effet; le roi lui-même intervenait dans les discussions, et les jésuites y tenaient le premier rang.

Jean V, ayant été atteint d'apoplexie, s'en remit du soin des affaires au père Gaspard, capucin, de l'illustre maison de Govea, excellent homme, mais incapable d'administrer un royaume. Le pays alla alors au hasard, et le peuple resta plongé dans l'oisiveté, dans l'indigence, dans la saleté, content de pouvoir satisfaire des vengeances particulières. Lorsque mourut Jean V, qui, roi des pays les plus riches du monde, avait construit l'aqueduc de Lisbonne et le palais de Mafra, on ne trouva pas dans le trésor l'argent nécessaire pour ses funérailles.

Joseph, son successeur, avait grandi dans l'ignorance, et atteint ainsi sa trente-sixième annnée; il prit pour ministre don SébastienJoseph Carvalho-Melho, comte d'Oeyras, depuis marquis de Pombal, qui bientôt le domina, et résolut de relever le pays. L'infant don François s'était mis à la tête d'une bande de coupe-jarrets avec lesquels il commettait dans la capitale toutes sortes d'excès: d'autres bandes, commandées par d'autres seigneurs, s'opposaient à ses violences et les imitaient; si bien qu'il ne se passait pas une

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nuit sans voies de fait et sans effusion de sang. Carvalho, qui était d'une haute taille et d'un corps vigoureux, s'unit à l'un de ses amis pour combattre ces perturbateurs, et ils se mirent à maintenir l'ordre à l'aide du désordre. Ayant reçu peu d'éducation, il acquit en voyageant l'expérience du gouvernement et de la politique; il fit connaissance avec les philosophes; et les paroles tranchantes de ces réformateurs lui persuadèrent que, pour créer des citoyens, un gouvernement, un État, un esprit public, il suffit de jeter une constitution sur le papier. Il poussa donc le roi aux innovations avec une énergie qui ressemblait à la violence.

11 pensa que la première chose à faire, c'était d'écarter les jésuites, auxquels il porta le premier le coup mortel, et d'humilier les nobles, qui le traitaient avec hauteur, quoiqu'il appartînt à leur caste, sans être de la première noblesse, et qu'il eût épousé une femme d'un très-haut lignage (d'Arcos). Ils l'attaquèrent de toutes les manières, même par le ridicule, surtout à l'occasion d'une ordonnance contre les mauvais sujets qui attachaient pendant la nuit des cornes à la porte des maris à qui il était arrivé malheur. Pombal laissait faire, et continuait à prendre des mesures énergiques. Il fit revenir au fisc un grand nombre de propriétés, tant en Asie qu'en Afrique, que les rois précédents avaient assignées à certaines familles ; il entrava les mariages entre les fidalgos, contesta aux fils les titres des pères, défendit à l'inquisition de conduire personne au supplice sans l'approbation du roi, détruisit les registres où étaient inscrits les noms de ceux qu'elle avait condamnés, ce qui était pour leur postérité une note d'infamie; il supprima la distinction entre les vieux chrétiens et les nouveaux, guerroya de toutes les manières contre la juridiction romaine, repoussa la bulle in Cœna Domini et la dépendance du chef suprême de l'Église, restreignit la faculté de léguer en mainmorte; et les écrits du comte d'Oeyras reproduisirent tout ce qui avait été dit par Sarpi et par Giannone contre la puissance ecclésiastique..

Pour remédier à la décadence des études, décadence qu'il imputait aux jésuites, il réforma l'université de Coïmbre en y faisant prédominer les sciences mathématiques, et en y appelant des hommes distingués d'Italie et d'Irlande. Il fonda le collége des nobles, dota des hôpitaux et des écoles avec les biens des congrégations supprimées, et il songeait à instituer à Mafra un ordre rival des religieux de Saint-Maur. Il fut puissamment aidé dans l'accomplis

sement de ses desseins par la tentative d'assassinat dirigée contre le roi et par le tribunal d'inconfidenza, dont l'institution remonte à cette époque (1). Il y a là un mystère d'iniquité qui suffit pour ledéshonorer.

Le jour de la Toussaint de l'année 1755, un horrible tremblement de terre renversa les deux tiers de Lisbonne; et quinze mille de ses habitants, d'autres disent même soixante mille, arrachés à leurs occupations domestiques, furent écrasés ou enterrés vivants. La mer s'éleva de six pieds au-dessus des plus hautes marées, fracassa les navires, renversa les édifices, corrompit les provisions et stérilisa les campagnes (2). L'incendie, déterminé par les feux allumés dans les maisons, et que personne ne pouvait songer à éteindre, accrut encore la masse des ruines; des pluies torrentielles furent pour les survivants, qui s'étaient réfugiés avec la cour sous des tentes dans la campagne, une cause de maladies et de mort. D'autres villes eurent à souffrir de ce désastre, surtout Coïmbre et Braga; Sétubal fut abîmée avec tous ses habitants.

Pombal acquit une gloire sans tache en s'appliquant de porter remède à cette désolation; mais, en cherchant à rajeunir le pays, il agit avec cette précipitation inconsidérée qui était alors de mode. Hésitant dans la politique, désireux du bien sans en avoir l'intelligence, si on l'exalta en France, où l'on considérait plus les idées que les faits, les faits le montrèrent animé par la haine et par la cupidité, soigneux d'affermir le despotisme à l'aide de la calomnie et de la terreur. Il se proposait de rétablir l'ordre matériel, et il prépara le désordre moral en sapant les institutions et les croyances nationales.

Les ordonnances les plus minutieuses se succédaient coup sur coup sur la vente des marrons, sur la forme des timbres de poste; sur les vignes, dont il fallait sacrifier un tiers à la culture du froment, même dans les lieux qui n'y étaient pas propres. Il voulait tout renouveler sans écouter de conseils ni souffrir la

(1) Voyez pag. 220 et suivantes.

(2) Cette secousse se fit sentir sur un espace quatre fois plus grand que toute l'Europe dans les Alpes, sur les côtes de Suède, aux Antilles, au Canada, en Thuringe, sur les rives de la Baltique. Des fleuves éloignés furent détournés de leur cours; les sources thermales de Töplitz tarirent, puis coulèrent de nouveau, colorées d'ocre ferrugineux, et inondèrent la ville. A Cadix, la mer s'éleva jusqu'à vingt mètres au-dessus du niveau ordinaire; dans les petites Antilles, où la marée ne dépasse pas soixante-quinze centimètres, elle monta à plus de sept mètres.

T. XVII.

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Brésil.

contradiction, sans attendre l'œuvre du temps, sans être en état de soutenir la discussion. C'est en agissant ainsi qu'il put procurer d'énormes Fichesses à sa famille, et satisfaire sa passion de vengeance. Il favorisa la marine, mais il négligea les armées de terre, afin que la noblesse ne pùt y trouver avantage. Il humilia les nobles, mais il convoita leur alliance avec les siens; il chassa les jésuites, et conserva les ordres mendiants; il abolit le monopole du tabac, et établit celui du sel; il fit traduire Voltaire, Rousseau, Diderot, et brûler Raynal; il applaudit aux nouvelles doctrines, et défendit tout ouvrage périodique à Lisbonne, où il ne voulait pas que la poste arrivât plus d'une fois par semaine ; il réprima l'inquisition, puis lui donna le titre de majesté pour la faire servir à ses vengeances, et nommå son frère grand inquisiteur. Il trancha de l'esprit fort, et il accrédita les miracles de l'évêque d'Osma, ennemi des jésuites; il détruisit la puissance de cette compagnie et celle des nobles, mais pour lui substituer le despotisme ministériel; il confisqua leurs biens, mais pour en gorger ou lui-même ou les siens, sur lesquels il accumula titres, charges et honneurs.

Il établit ainsi un pouvoir illimité, qui devait se convertir en tyrannie. Déjà, déployant une rigueur orientale, il avait condamné au gibet, ipso facto, ceux qui s'étaient rendus coupables de vols pendant le désastre de Lisbonne; mais souvent il faisait pendre comme voleurs ceux qui se plaignaient de misères auxquelles il ne savait pas remédier, et l'on dit qu'il en envoya sommairement au supplice jusqu'à cent dans un jour. Vingt mille cruzades de récompense étaient promises à quiconque dénonçait un citoyen comme ayant dénigré des actes publics, ou tramé contre des personnes employées au ministère; il fit même un crime de lèse-majesté de toute résistance à la volonté du souverain, c'est-à-dire à la sienne. Ses ordres se terminaient d'ordinaire par cette phrase: « Nonobstant toute loi contraire. » Pierre-Antoine Correa Garçao, surnommé l'Horace portugais, rédacteur de la gazette, s'étant permis d'exprimer quelques vérités, fut jeté dans une prison, où on le laissa mourir. L'évêque de Coïmbre ayant publié une pastorale contre les mauvais livres qui circulaient librement, et surtout contre la Pucelle, le ministre le fit renfermer dans un souterrain.

Le Brésil était toujours la richesse du Portugal; et, depuis qu'il avait été soustrait à la domination hollandaise, il s'était relevé par l'industrie. Un mélange de Brésiliens et d'émigrés européens s'é

tait établi, ainsi que nous l'avons dit (1), dans le district de SaintPaul, contigu aux possessions espagnoles; c'était un ramas de vauriens entreprenants et querelleurs, auxquels on avait donné le nom de mamelouks, à cause de leur ressemblance avec ceux d'Égypte. S'étant enrichis principalement par le commerce des esclaves, ils détestaient les missionnaires, qui, en introduisant la religion chrétienne, conduisaient indirectement à la destruction de la traite. Ils se jetaient donc sur leurs paroisses; et comme Urbain VIII menaça les agresseurs d'excommunication, ils chassèrent les jésuites de leurs villes; puis ils répandirent parmi les sauvages qu'il n'existait point de différence entre leur religion à eux et la croyance aux devins brésiliens; ils nommèrent un pape, des prêtres, des évêques, qui célébraient messes et offices, et qui confessaient; de plus, ils traçaient des figures bizarres et imitaient les contorsions des devins; ce qui plaisait aux indigènes et les détournait du christianisme, qu'ils confondaient avec leurs rites nationaux.

La colonie, qui se composait d'abord d'un petit nombre de families, s'était beaucoup accrue, et comptait vingt mille âmes, outre les esclaves. S'étant déclarée libre et se confiant dans la force brutale, elle portait le ravage chez les chrétiens du Paraguay, sans s'inquiéter des menaces de Madrid ou de Rome. Mais enfin le pontife permit aux colons de faire usage d'armes à feu, ce qui leur donna moyen de réprimer ceux de Saint-Paul.

L'activité de ces aventuriers s'employa alors à la recherche de l'or, que l'on s'était borné jusque-là à recueillir dans le sable et le limon déposé par les eaux. Ils obligèrent à ce travail les nègres, qui chaque soir durent en rapporter à leur maître un huitième d'once par tête. Peu après avoir proclamé leur indépendance, ils avaient découvert la mine très-abondante d'Iaragua. Mais les trésors qu'elle procurait ne suffisaient pas à l'avidité des mamelouks qui cherchaient partout le précieux métal. En effet, quelques-uns d'entre eux s'étant enfoncés jusqu'à cent lieues dans un pays très-difficile, au milieu de sauvages belliqueux, découvrirent les mines de Sabara; d'autres pénétrèrent dans les montagnes aurifères, où ils bâtirent Villa-Ricca, qui, vingtans après sa fondation, passait pour la ville la plus opulente du monde : des aventuriers y accoururent en foule; mais les premiers occupants prétendirent dicter des lois et des conditions aux

(1) Tome XIII, page 259.

1690.

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