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1724.

La nouvelle dynastie donnait à l'Espagne, comme pour compenser les pertes qu'elle lui avait occasionnées, le sentiment de l'ordre et l'exemple de la discipline. Un nouvel art militaire lui fut enseigné; l'étiquette devint moins sévère, et le ministère du cardinal Alberoni montra que l'Espagne était encore capable de tenir le premier rang en Europe. Les grands voyaient Philippe de mauvais œil, parce qu'il manquait aux égards auxquels ils prétendaient. Mais le peuple ne s'en prenait pas tant à lui qu'à la reine, princesse intrigante, qui poursuivit l'œuvre d'agrandissement commencé par Alberoni, et voulut recouvrer ce que les traités de paix précédents avaient enlevé à sa famille.

Cédant à quelques scrupules qu'il conçut sur la validité du testament de Charles II, Philippe V abdiqua à quarante et un ans, ou plutôt il rejeta le fardeau de la royauté sans l'avoir porté, et n'en conserva que les revenus; car il se réserva 3 millions annuels, sans compter les trésors entassés à Saint-Ildefonse, retraite délicieuse qui avait coûté 45 millions de piastres à bâtir.

Philippe avait en outre fait vœu de ne plus reprendre la couronne; mais lorsque l'infant Louis, qui lui avait succédé, fut mort de la petite vérole, une commission de théologiens déclara que, sous peine de péché mortel, il était obligé de reprendre les rênes du gouvernement. La reine l'en sollicita par amour du pouvoir, de sorte qu'il se décida « à sacrifier sa propre félicité au bien de ses sujets. »

Il se mit alors entièrement à la merci de Guillaume de Ripperda, de Groningue, qui, venu à Madrid comme ambassadeur des états généraux, y avait acquis les bonnes grâces du roi et plus encore celles de la reine, dont il servait l'ambition et les vengeances. Ce ministre se miten frais de grands desseins pour rendre la prospérité au royaume, aux manufactures, au commerce, et il promettait merveilles au pays; mais, au résultat, il se trouva que tout se passait en paroles, et l'indignation publique obligea le roi de le destituer (1).

Isabelle au détriment de l'infant don Carlos, son frère; il ne fit que rétablir ainsi l'ancien ordre de succession, et se conformer à ce que les cortès de 1789 avaient demandé à Charles IV.

(1) Ripperda fut enfermé dans le château de Ségovie, d'où une jeune fille qu'il avait séduite le fit évader après quinze ans de captivité. S'étant enfui en Angleterre, puis dans les Pays-Bas, il revint au protestantisme, en changeant pour la troisième fois de religion; et peut-être se fit-il turc lorsqu'il s'en alla commander une armée de Maroc contre les Espagnols.

Nous avons parlé suffisamment des intrigues à l'aide desquelles Élisabeth bouleversa toute l'Europe pour donner des trônes à ses

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fils. Elle ne les cessa point lors de l'avénement de Ferdinand VI, qui, Ferdinand VI. bien qu'elle lui fût très-opposée, eut pour elle beaucoup de respect, non pas tant par générosité que par faiblesse de caractère. Mélancolique par peur continuelle de la mort, ayant l'inertie de son père sans ses talents, il fut surnommé le Sage, attendu qu'il parvint, à force d'économie, à rétablir les finances, et qu'il laissa soixante millions dans le trésor, où il avait trouvé un déficit de quarantecinq millions. Il releva la marine, et déclara qu'il ne voulait pas se faire le vassal de la France. Le cabinet inclina vers les Anglais, lorsque arriva au ministère don Joseph de Carvajal, homme d'un esprit borné, aux manières rudes, pointilleux sur l'étiquette, mais d'un jugement solide, et rempli d'honneur. Le marquis de la Ensenada pencha, au contraire, du côté de la France: ministre excellent, il apporta plusieurs améliorations dans les finances et dans l'industrie, et s'immortalisa (tant le pays était arriéré) en ouvrant la grande route de Guadarrama entre les deux Castilles, qui avaient été privées jusque-là de communications entre elles. Mais les intrigues des Anglais amenèrent sa destitution, et peu s'en fallut qu'on ne lui fit son procès. Le système anglais aurait prévalu alors sans la reine Barbe de Portugal, qui, moins intrigante qu'Élisabeth Farnèse, se contentait de maintenir son mari en paix avec son pays et avec l'Autriche, et d'amasser de l'argent, pour ne pas être exposée à manquer de pain à la mort de son époux.

Barbe était très-puissante à la cour; le confesseur du roi n'avait pas moins de pouvoir, ainsi que Charles Broschi, musicien célèbre sous le nom de Farinelli, qui dissipait, par ses chants, les accès d'hypocondrie de Ferdinand: on n'avait en conséquence rien à lui refuser; il ne devint pourtant ni arrogant ni avide, et il donna toujours des conseils honnêtes, parfois même salutaires.

L'Espagne se considérait comme toujours en guerre avec les Barbaresques, et elle n'admit même des trêves que fort tard. Elle avait repris avec beaucoup de peine en 1720 Ceuta aux Maures, qui s'en étaient emparés vingt-trois ans auparavant, sous l'empereur de Maroc Muleï Ismail. Lorsque la marine espagnole eut grandi en puissance, il devint difficile aux Barbaresques de se procurer les objets de première nécessité, à tel point qu'ils furent obligés de traiter avec la ville de Hambourg pour qu'elle leur fournît des

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armes et des munitions, en échange de leurs prises. Les Hanséatiques avaient obtenu beaucoup de priviléges en Espagne et en Portugal, à cause des facilités qu'ils offraient pour l'écoulement des denrées de l'Afrique et de l'Amérique. Or, Ferdinand, voyant qu'ils donnaient la main aux Barbaresques en troublant le commerce et la sécurité de l'Europe, leur ferma ses ports et refusa toute médiation, tant qu'ils n'eurent pas renoncé à leur arrangement avec les Algériens. Plus tard, les efforts des Espagnols échouèrent dans une nouvelle guerre contre les Barbaresques; enfin, la paix fut conclue en 1780 avec le Maroc, et célébrée avec pompe.

Les longs démêlés de l'Espagne avec Benoît XIV furent également arrangés. On convint que le roi nommerait à tous les bénéfices consistoriaux comme aux bénéfices simples et entraînant résidence, à l'exception de cinquante-deux réservés au pape, qui ne les conférerait qu'à des Espagnols (1). En conséquence, les cédules banquières étaient abolies. On appelait ainsi une espèce de contrats entre la chambre apostolique et le candidat, qui s'obligeait pour une certaine somme, et qui, s'il ne l'avait pas, en payait un intérêt exorbitant; si bien qu'un cinquième du revenu des bénéfices passait à Rome. On supprima aussi l'usage d'abandonner au pape la dépouille des morts et le produit des vacances: on les réserva, au contraire, au profit du nouveau titulaire ou à des œuvres pies, et une partie en fut destinée à former des récompenses pour l'industrie et pour des services militaires. Le saint-siége reçut, à titre d'indemnité, neuf cent mille écus romains à l'intérêt de trois pour cent, et conserva en outre les dispenses pour mariages, qui lui rapportaient un million et demi. La bulle de la croisade, c'est-à-dire la dispense de faire maigre ou d'employer l'huile dans les jours de carême, qui se payait à raison de quinze sous par tête, fut déclarée perpétuelle.

Ferdinand ayant perdu la reine sa femme, sa mélancolie s'accrut; il ne reçut plus, ne parla plus, ne changea plus de linge, ne se rasa ni ne se coucha, et en peu de temps il suivit son épouse au Charles III. tombeau. Il eut pour successeur son frère Charles III, qui occupait depuis vingt-quatre ans le trône de Naples. Élisabeth Farnèse, qui voyait ses vœux dépassés, sortit de la retraite où elle était restée treize ans pour exercer de nouveau la puissance, qu'elle garda tant

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(1) Le nombre du clergé espagnol a été exagéré. Selon Jovellanos, il comprenait, en 1787, cent quatre-vingt mille personnes, dont soixante-dix mille appartenaient au clergé régulier.

qu'elle vécut. Farinelli fut congédié, et se retira près de Bologne. Si Charles III ne fut pas un de ces grands princes dont la force suffit pour régénérer un pays, il prépara du moins les améliorations futures. Riche de qualités naturelles qui n'avaient pas été cultivées, il régnait par lui-même, dans la tempête comme dans le calme: de mœurs pures, très-religieux sans se mettre sous la dépendance de Rome et des confesseurs, il était opiniâtre dans ses opinions, et sa passion pour la chasse lui faisait négliger ses devoirs. La haute main dans les affaires fut disputée entre le ministre Jérôme Grimaldi, Génois, et le marquis de Squillace, ami de Charles. Ce dernier, qui avait été chargé des finances et de la guerre, y introduisit plusieurs améliorations. Il fit éclairer Madrid, défendit de porter des armes, des manteaux longs et de larges chapeaux, et proscrivit encore d'autres abus. Le peuple, qui s'en prend volontiers aux ministres des finances, se souleva pour le massacrer; et, n'ayant pu s'emparer de lui, il demanda son renvoi, la diminution du prix du pain et de l'huile, la faculté de porter les longs manteaux et les chapeaux rabattus. Il fallut, pour calmer ce tumulte, que le roi envoyât quatre jésuites qui, le crucifix à la main, accordèrent toutes les demandes, raisonnables ou non.

C'était un événement inouï en Espagne, et Charles III en garda rancune aux Français, qu'il soupçonnait d'en avoir été les instigateurs; mais le duc de Choiseul sut détourner son mécontentement contre les jésuites, en lui faisant entendre qu'un soulèvement qu'il leur avait été si facile de calmer ne pouvait venir que d'eux. Charles le crut, et travailla activement à la destruction de l'ordre. Afin de prévenir d'autres malheurs, le comte d'Aranda, nouveau ministre, chassa de Madrid six mille oisifs, et il y fit entrer vingt mille hommes de troupes; ce qui lui permit de serrer le frein. Il améliora aussi la politique administrative, modela l'armée sur celle de la Prusse, augmenta la marine, restreignit le tribunal de la nonciature ainsi que les lieux d'asile, établit des écoles pour suppléer à celles des jésuites; et l'inquisition, qu'il n'était pas possible d'abolir, fut du moins modérée. Il voulait, en suivant les idées qui faisaient alors des progrès, mettre des limites à l'autorité royale; mais le roi, s'en étant aperçu, l'envoya en France comme ambassadeur.

Parmi les ministres de Charles III, don Pèdre Rodriguez de Campomanes, homme instruit et habile, s'occupa de simplifier les

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23 mars.

impôts, de détruire la mendicité, d'écarter les entraves qui gênaient le commerce des grains. Paul-Antoine-Joseph Olavidéo, natif du Pérou, qui avait puisé dans ses relations avec Voltaire et Rousseau des idées philanthropiques et irréligieuses, dont il ne faisait pas mystère, fut chargé de fertiliser la Sierra-Morena, où il introduisit une colonie de Suisses, de Français, d'Allemands, de Bavarois, avec une constitution à la mode du jour, et, chose inouïe, en y tolérant les protestants. Un capucin étant venu y prêcher, s'ingéra aussi des choses séculières. Les colons portèrent en conséquence plainte contre Olavidéo, qui, accusé d'opinions anticatholiques, fut condamné par l'inquisition à rester huit ans enfermé dans un couvent, sous la surveillance de deux moines qui l'instruiraient dans la foi. Il lui fut en outre interdit de monter à cheval ou en carrosse, de s'approcher de la cour et d'aucune grande ville à la distance de vingt milles; il dut s'habiller de gros drap jaune, et ne lire que les œuvres du père Grenade. Ayant réussi à s'enfuir en France, il fut exalté comme un martyr par les philosophes; mais il vécut assez pour se désabuser, et pour écrire le Triomphe de l'Evangile (1803).

Charles III institua les sociétés des Amis de la patrie pour le progrès des arts et de l'agriculture, en y consacrant les revenus des bénéfices vacants. Les colonies n'avaient cessé d'empirer sous les derniers princes de la maison d'Autriche, et pendant la guerre de succession, quand l'Angleterre et la Hollande interrompaient les communications avec la métropole. Il fallut que l'Espagne, pour qu'elles ne vinssent pas à manquer du nécessaire, s'écartât de son système d'exclusion, et permît aux Français de trafiquer avec le Pérou (1). En conséquence les habitants de Saint-Malo, qui avaient

(1) Nous voyons, par la statistique publiée dans le Mercure Péruvien, qu'en 1791, sans compter les provinces de Quito et de Buenos-Ayres, ni le riche Potose, il y avait en exploitation dans l'intendance de Lima quatre mines d'or, cent quatre-vingts d'argent, une de mercure, quatre de cuivre ; en outre soixantedix mines d'argent abandonnées : dans le district de Tarma, deux cent vingtsept mines d'argent, outre vingt-deux abandonnées, et deux de plomb; dans celui de Truxillo, trois d'or et cent trente-quatre d'argent, outre cent soixante et une abandonnées; dans l'intendance de Huamama, soixante d'or, cent deux d'argent, une de mercure, plus trois d'or et soixante-trois d'argent abandonnées; dans le district de Cusco, dix-neuf d'argent; dans celui d'Arequipa, une d'or, soixante et une d'argent, outre quatre d'or et vingt-huit d'argent abandonnées; dans celui de Huancavelica, une d'or, quatre-vingts d'argent,

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